« Les enseignants dans l’exercice quotidien de leur métier savent que l’on ne peut réduire la question de la lecture à une seule méthode et qu’enseigner ce n’est pas exécuter des gestes ordonnés par d’autres ». Réunis à Paris le 9 mars, les trois principaux syndicats du primaire (Snuipp, Se-Unsa, Sgen-Cfdt), six mouvements pédagogiques ou éducatifs (l’Agiem (maternelles), le Crap -Cahiers pédagogiques, l’AIRDF, l’Icem, le Gfen, l’Afef, la Ligue de l’enseignement), la principale association de parents d’élèves (la Fcpe), accompagnés de plusieurs chercheurs (R. Goigoux, P. Joutard, A. Ouzoulias, R. Brissiaud, P. Meirieu) ont fait le point sur le conflit qui les oppose au ministre de l’éducation nationale sur la lecture. Début janvier, G. de Robien relançait le débat, enterré depuis 2002, des méthodes de lecture et publiait un texte interdisant la méthode globale au Cours Préparatoire. En même temps il multipliait les interventions médiatiques préconisant la seule méthode syllabique. Enfin début mars il proposait au Conseil supérieur de l’éducation un projet de programme imposant ses vues. Les chercheurs, y compris ceux qui étaient mis en avant par le ministre, et les syndicats prenaient position contre ce texte.
« Manifestement l’isolement et les interventions conjuguées des professionnels, des chercheurs, des formateurs et des universitaires ont porté leurs fruits. (Le ministre) a évolué. La phrase précisant l’existence de deux types d’approche complémentaire à savoir l’analyse de mots entiers en plus petites unités référées à des connaissances déjà acquises et la synthèse à partir des constituants est rétablie. Le rôle de la maternelle est précisé comme celui du CE1, rétablissant ainsi la notion de cycle qu’avait exclue le projet précédent. La conjugaison du travail de lecture et d’écriture est rappelée ». Le projet de programme proposé par le ministère revient donc largement sur les déclarations ministérielles et préconise des approches variées. Il reconnaît également l’importance des apprentissages à l’école maternelle.
Soulagés, les organisateurs réaffirment leur accord avec les programmes de 2002. « Nous considérons que les principaux éléments des programmes de l’école maternelle et élémentaire publiés en 2002 après de larges consultations conservent toute leur pertinence. Des difficultés demeurent. Il faut les réduire. L’apprentissage initial de la lecture peut et doit être amélioré. C’est en procédant à des recherches rigoureuses, en renforçant la formation et l’accompagnement des enseignants, en organisant une réelle évaluation du travail effectué dans les classes, en prenant en compte les élèves dans leur diversité en améliorant les conditions d’enseignement et d’apprentissage que l’école peut développer les compétences des élèves en lecture ». Roland Goigoux rappelait l’importance de la lutte contre l’illettrisme et l’orientation actuelle des travaux de recherche. Pour les chercheurs, les difficultés dans l’apprentissage de la lecture apparaissent en grande section et en moyenne section de maternelle. C’est là que l’effort doit être porté ainsi qu’en cycle 3.
La guerre de la lecture est-elle pour autant terminée ? Probablement pas. D’une part, le soir du 9 mars, lors du séminaire national, G. de Robien retrouvait un ton offensif pour vanter la méthode traditionnelle. Cas unique de double langage, dans la même journée, il arrivait à la fois à exhorter les instits à revenir à la méthode syllabique de grand-papa et à publier un projet de programme qui maintient des approches variées et associatives. Ultime baroud, posture médiatique ou obstination ? Pour Gilles Moindrot, du Snuipp, « La lecture n’est que prétexte idéologique. On aurait voulu sciemment instaurer la méfiance, la défiance même vis à vis de notre professionnalisme qu’on aurait pas mieux fait ». Pour Jean-Luc Villeneuve, du Sgen-Cfdt, « le ministre joue sur le velours, utilisant les angoisses des familles pour manipuler l’opinion. C’est facile de dire que tout est de la faute des méthodes et des pédagogues et éluder ainsi les vrais problèmes de société ».
Car le double langage du ministre laissera des traces durables. D’une part chez les militants UMP fortement mobilisés contre les enseignants et pour le retour des méthodes pédagogiques les plus archaïques, comme nous avons pu le constater lors de la convention UMP. Croire que cette mobilisation sera sans effet et que les dirigeants UMP pourront contenir leurs troupes est peut-être un pari dangereux. Il semble que dès maintenant les dérapages se multiplient.
D’autre part, le ministre n’a cessé de jeter le discrédit et la défiance sur les instits et l’institution scolaire. Il continue à inviter les parents à demander des comptes aux enseignants. Ceux-ci vont avoir à faire face à des pressions d’autant plus redoutables que l’angoisse des parents est réelle et que la réponse pédagogique est forcément nuancée et adaptive. Les organisateurs de la réunion annoncent « une campagne de pétitions, de réunions locales menées au plan local et départemental ». Et la FCPE fait part de son intention d’y participer. L’issue de la crise est à chercher dans la qualité de la relation entre enseignants et parents. Or c’est une faiblesse connue de l’institution scolaire française que de laisser peu de place à cette relation et les parents hors de l’école. Jeudi 9 mars, on aurait aimé entendre des propositions concrètes d’action pour jeter des ponts entre les uns et les autres. Seule une forte mobilisation des organisations de l’Ecole peut relever le défi lancé par de Robien.
Communiqué
Séminaire national du 9 mars : dossier Café
Rappel : le dossier Lecture du Café