Cette « bonne vieille méthode » a été
à son apogée dans les années 60. Elle
aboutissait à 30 % de redoublants au CP, à une
époque où la seule exigence de cette classe
était le « déchiffrage » puisque la « lecture
courante », puis la « lecture expressive » était de la
responsabilité des classes suivantes.( statistique
officielle du ministère ) Epoque où la
moitié des enfants quittaient l’école sans aucun
diplôme…
Epoque également où on considérait comme
normal que seuls 10 % des élèves accèdent
au lycée dans une optique « d’études longues ».
Et c’est parce que les enseignants d’alors, comme ceux
d’aujourd’hui, avaient à cœur la réussite de
leurs élèves, qu’ils ont cherché d’autres
voies d’apprentissage. Les pionniers en la matière, comme
Célestin Freinet pour ne citer que lui, en avaient
déjà proposé dès les années
30 ( difficile de le taxer de « soixante-huitard » !)
Il est temps de réfléchir
sérieusement
Apprendre à lire et à écrire, c’est
évidemment apprendre entre autres à
maîtriser le code alphabétique et le code
syllabique de notre langue. Plus personne ne le nie et les
programmes 2002 le rappellent clairement. Mais quels sont ces
codes que l’enfant doit comprendre et maîtriser ?
Le code alphabétique définit les relations entre
les 26 lettres et les 36 sons de notre langue. C’est
déjà un premier problème : 26 / 36 …
Il n’y a pas de correspondance terme à terme.
NON, la lettre « a » ne « fait » pas le son [a]. La preuve :
chapeau, maman, maîtresse…
La lettre « o » ne « fait » pas le son [o] moto, oiseau, loup,
bon…
Enfin, pour écrire le son [o], il existe au moins trois
graphies courantes: vélo, auto, chapeau…
Apprendre à maîtriser le code alphabétique
c’est apprendre que pour écrire les 36 sons de notre
langue, il existe environ une cinquantaine de graphies
différentes qu’il va falloir mémoriser.
Comprendre le code syllabique, c’est comprendre le principe de
la combinatoire. C’est à dire comprendre que ces graphies
se combinent entre elles pour fabriquer des syllabes qui
elles-mêmes construiront les mots. C’est comprendre que
pour écrire la syllabe [sã], il faut associer dans
le bon ordre les deux sons [s] + [ã]. C’est apprendre et
mémoriser qu’il existe de multiples possibilités
d’écriture de cette syllabe : sanglier, cendre,
ressembler, descendre, etc.
Pour maîtriser le code syllabique, il faut
mémoriser quelque 120 syllabes orthographiques courantes
différentes.
Voici les difficultés liées au fonctionnement de
notre langue écrite auxquelles les enfants doivent
être confrontés pour apprendre à lire et
à écrire. C’est là, la
réalité linguistique à laquelle personne ne
peut échapper. On en mesure la complexité !
En résumé, ils doivent comprendre comment
fonctionnent ces codes, et mémoriser l’ensemble des
informations pour automatiser leur lecture.
Que nous proposent les adeptes de la syllabique ? Selon eux, il
faudrait :
– Dire dans un 1er temps à l’enfant : « b » et « a »
ça fait « ba » et ne lui donner à « lire » que des
mots où « ba » se lit [ba].
– Dans un second temps lui dire « b » et « an » ça fait « ban »
comme dans bande, ruban…en évitant soigneusement
ce jour là, la rencontre avec le mot « banane »…
– Enfin, il faut construire ainsi toutes les syllabes possibles
et ne lui donner à lire « que des mots dont il
connaît les sons ».
Autrement dit, ces « pédagogues » nous proposent de
construire un apprentissage basé une succession
d’affirmations fausses car incomplètes et
contradictoires. Et ils demandent à l’enfant de les
mémoriser sans lui proposer d’aides autres que des
manipulations vides de sens.
L’ironie de la situation est qu’alors qu’ils reprochent aux
autres méthodes de s’appuyer sur la mémorisation
d’un certain nombre de mots de base pour permettre un travail
réfléchi d’analyse comparative… toute leur
« pédagogie » s’appuie sur un exercice de mémoire
… des syllabes puis des mots !
Car pour savoir que pour lire « bandeau » il faut « coller b+an »
alors que pour lire « banane », il faut « coller b+a », il faut
reconnaître ces mots.
Apprendre à lire est une tâche complexe qui va
demander du temps, des efforts de la part des enfants et de la
méthode de la part de l’enseignant. Apprendre à
lire est difficile. Dire le contraire serait mentir à
l’enfant.
La méthode « syllabique pure » qu’on veut nous imposer ne
permet au mieux que l’apprentissage d’un déchiffrage et
relègue la lecture à « plus tard »,
sans d’ailleurs dire comment passer du déchiffrage
à la compréhension.
Il faut le dire : C’est une méthode élitiste !
Pourquoi ?
Parce que seuls, les enfants qui ont le désir de lire
parce qu’ils savent ce que cela va leur apporter, qui ont les
compétences langagières (vocabulaire et syntaxe )
liées à la langue écrite, qui ont la
certitude que ce qui est écrit a un sens qu’ils pourront
comprendre, seuls ceux-là peuvent tirer profit de
l’enseignement incohérent de l’approche syllabique du
code grapho-phonique. Seuls ceux-là peuvent accepter de
faire l’effort considérable que cela leur demande sans en
être dégoûtés… Seuls
ceux-là peuvent comprendre à quoi ça sert
de mémoriser tout ceci….
Pour ceux-là, pas de danger. Pour reprendre une formule
célèbre « aucune méthode au monde n’a jamais
interdit à un enfant qui le voulait d’apprendre à
lire ! »
Pour les autres, ceux dont les conditions de vie en dehors de
l’école, n’offrent pas les occasions d’apprendre une
langue riche avec un vocabulaire étendu et une syntaxe
développée, ceux qui dans leur quotidien
n’utilisent que 150 ou 200 mots, ne fréquentent jamais
les lieux de culture, ceux qui ne rencontrent les livres et les
merveilles qu’ils contiennent qu’à
l’école…
Pour ceux-là deux solutions :
– Ou ils auront la chance de rencontrer des enseignants qui se
battent pour leur apporter ces éléments-là
de l’apprentissage de la lecture, qui leur permettent de
comprendre pourquoi ( pour quoi ) lire et comment faire pour
apprendre … et ils deviendront lecteurs
– Ou ils rencontreront les adeptes de la « syllabique
» et au mieux ils apprendront à déchiffrer
une langue écrite correspondant à leur niveau de
langue orale du quotidien… mais n’auront jamais
accès à la culture.
Les adeptes de la « syllabique pure » qui négligent
l’enseignement de toutes les dimensions langagières de
l’apprentissage, s’appuient sur le fait que les
élèves construisent ces savoirs ailleurs
qu’à l’école… Devinez où ?
Mais n’est-ce pas là, le but des initiateurs de cette
campagne ?
Il suffit d’aller sur les sites de ces « groupes de pressions
indépendants »¹ ultra conservateurs qui ne cachent
même pas leurs objectifs de réformes telles que
« faire des classes socialement hétérogènes
mais intellectuellement homogènes », ou « supprimer le
collège unique » et « créer un examen
d’entrée en sixième », ou encore « créer les
conditions d’une concurrence ouverte et équitable entre
le secteur public et les initiatives privées. Ouverte en
laissant créer et se développer toutes sortes
d’établissements privés, peu importent leur statut
et leur mode de gestion. Equitable en distribuant l’argent des
contribuables aux familles qui doivent payer les études
de leurs enfants. »²… Vous avez bien lu !!!
Quand un ministre de l’Education Nationale reprend à son
compte leur première revendication : « imposer la
méthode syllabique », en bafouant la Loi et la
démocratie, alors une chose est sûre,
l’école de la République est en danger !
Mireille Usséglio
Enseignante spécialisée AIS – Conseillère
pédagogique
Contribution postée sur le blog du Café
pédagogique
http://www.cafe-leblog.net/
http://www.cafe-leblog.net/index.php?2005/12/13/30-l-enseignement-de-la-lecture#co
Notes :
¹ voir le site de « soseducation.com » :
« quelles réformes… »
² idem : article du 21 décembre 2005 « la
faillite des ZEP »