Qu’ils soient du premier ou du second degré, les enseignants viennent d’émettre leur choix pour élire leurs représentants face à l’administration pour trois ans, dans les commissions paritaires. En terme d’équilibre des forces syndicales, pas de grands bouleversements, les syndicats de la FSU maintiennent leur leadership (SNUipp : 45%, SNES : 39%), l’UNSA maintient sa seconde place (24% dans les écoles, 7% dans le second degré) et le SGEN peine à garder son espace (7% dans le 1er degré, 10 dans le second). Ni FO (8% dans les écoles, 6% en collège-lycée) ni SUD (5%) ne parviennent à jouer les trouble-fêtes.
Mais ce qui sera sans doute regardé de plus près sera la baisse de participation : près de 4 enseignants sur 10 n’ont pas participé au scrutin, soit globalement un de plus qu’en 2002. On aura beau jeu de critiquer les modalités souvent antédiluviennes d’organisation du vote, d’invoquer la négligence, ou de souligner que ce taux est très largement supérieur aux élections organisées dans les autres corporations.
Mais tout de même, une paille : 300 000 enseignants ne se sont pas sentis suffisamment concernés pour glisser le bulletin dans l’urne. Où sont passés les champions de l’Education Citoyenne ? On invoquera l’inculture politique des jeunes, mais quelques indiscrétions me font dire qu’ils n’ont guère moins voté que leurs aînés… Parce que le syndicalisme enseignant fut longtemps un vecteur d’identité professionnelle, et que cette identité est aujourd’hui largement en crise, cette baisse de participation n’est pas étonnante en soi. Mais elle est comme un signe supplémentaire d’une tendance à l’individualisation du métier d’enseignant. « Ne croyez pas que les collègues soient forcément méfiants envers le syndicat, me disait récemment une collègue. Mais ils sont dans leur classe, bossent comme des fous, et rentrent chez eux en tentant de préserver ce qui peut l’être dans leur univers privé ».
Mais dans un univers professionnel confronté à tant de tensions, marqué tout autant par les difficultés des mouvements pédagogiques ou des associations péri-scolaires, sommes-nous condamnés au repli face au déchaînement des idées toutes faites et aux fausses recettes issu d’un passé mythifié ?
Comme l’explique André Robert, spécialiste du syndicalisme, « la difficulté est bien de faire tenir ensemble de manière cohérente, plausible et recevable pour la profession le développement d’une vision critique de l’école, le développement d’une politique syndicale protestataire et propositionnelle d’autre chose ». On ne peut plus ignorer ni les analyses sociologiques qui démontrent que l’Ecole ne progresse plus dans sa mission d’égalité des chances, ni refuser d’entendre les souffrances au travail des enseignants. Mais à ne plus trouver d’espace collectif pour s’en emparer, ne risque-t-on pas le pire ? Yves Clot, un des meilleurs spécialistes de la psychologie du travail, déclarait mercredi, au séminaire consacré au « travail enseignant » à l’INRP : « Lorsqu’il n’y a plus de « débats d’école » sur les manières de faire, sur les règles et les sous-entendus du métier, prolifèrent alors les « querelles de personnes », qui s’y substituent. Encourageons, entretenons, chez les professionnels, la passion de s’emparer ensemble de l’objectivité du réel du métier, pour en faire reculer les limites, et ainsi soigner le métier, dans les deux sens du terme. Et c’est ainsi que chacun pourra arriver, éventuellement, à faire du « bon boulot » en trouvant des ressources insoupçonnées en lui-même. »
Syndicats, associations ou mouvements de notre monde professionnel ont tous une place complémentaire pour y parvenir, même si c’est parfois aux prix de mutations dont le prix à payer peut être fort, s’ils veulent relever le défi de n’être que des instruments au service de l’élaboration d’une pensée collective qui soit capable de tracer des pistes pour un avenir moins injuste. Mais y-a-t-il une autre voie ?
Et pour finir, une anecdote significative : dans sa dernière livraison, le syndicat des inspecteurs de la FSU annonce en manchette que l’Expresso du Café Pédagogique est devenu LE site d’information de son domaine d’activité… On a beau ne pas se prendre au sérieux, il est parfois de drôles de signes…
Patrick Picard