Crise des banlieues, crise de l’Ecole
Les émeutes urbaines qui ont éclaté dans près de 300 communes touchent aussi l’Ecole. Ainsi dans l’académie de Versailles, une vingtaine d’établissement ont été l’objet de tentatives d’incendies. Plusieurs académies de province déplorent également ces attaques. Devant la crise, les organisations professionnelles réagissent. Le Snes demande » que soit restaurée la confiance de la jeunesse dans la capacité de l’école à lui offrir un avenir. Les formations offertes dans les collèges et les lycées doivent être diversifiées et ouvrir sur tous les segments de l’économie. Il ne faut pas enfermer les élèves des quartiers populaires dans des filières qui les mènent à ne satisfaire que les besoins locaux en emplois peu payés et peu qualifiés. Pour les personnels de l’Education, il faut rendre les conditions d’exercice plus attractives pour maintenir dans ces quartiers des équipes éducatives stables, notamment en améliorant les conditions de travail de tous, en allégeant conséquemment les effectifs des classes, en renforçant l’encadrement pédagogique et éducatif ». Le Snuipp « appelle les enseignants à mettre en place des initiatives favorisant le dialogue et des rencontres pour faire reculer l’incompréhension. Il invite les personnels des écoles et les parents d’élèves à participer aux actions et aux rassemblements pour développer les services publics et faire reculer les exclusions » et rappelle la manifestation du 19 novembre.
Pour le Se-Unsa, « face à la relégation de fractions entières de la population, il faut enfin prendre des mesures à l’échelle de la fracture sociale… Au plan éducatif, cela implique de repenser d’urgence la politique d’éducation prioritaire délaissée par la loi Fillon, en la concentrant sur les territoires les plus dégradés. A des problèmes hors norme doivent répondre des moyens hors norme mais au service d’un projet. Il faut en effet non seulement améliorer l’encadrement quantitatif des élèves mais aussi y joindre une amélioration qualitative. Celle-ci passe par la mise à disposition de compétences spécifiques (psychologues scolaires, éducateurs, personnels sociaux et de santé…), l’aménagement du service des enseignants favorisant le travail d’équipe, un effort particulier de formation, la prise en charge continue des élèves dans l’établissement ». Pour le Sgen – Cfdt « dans ces banlieues… l’École de la réussite prônée par le Sgen-CFDT a un rôle fondamental à jouer pour contribuer à l’intégration, par l’éducation à la citoyenneté, par la formation, la qualification. Encore faut-il lui donner les moyens de fonctionner tout particulièrement dans ces Zep que le ministre de l’Éducation nationale délaisse totalement, après avoir déclaré à la rentrée dernière qu’il en ferait sa priorité… S’il est du devoir d’un État de rétablir l’ordre, le Sgen-Cfdt estime également urgente une politique volontariste pour lutter contre toutes formes de racisme, les discriminations à l’emploi… Donner du sens au « vivre ensemble » doit devenir la priorité des priorités ».
La FCPE « dénonce le mépris et la défiance affichés à l’encontre de la jeunesse. Cette attitude concerne tous les jeunes mais plus fortement ceux qui ont le plus de difficultés à s’intégrer dans la société… Quand les responsables politiques comprendront-ils enfin que la lutte contre l’échec scolaire passe par une transformation en profondeur de l’école ? Quand les acteurs de l’Ecole accepteront-ils tous d’assumer leur mission d’éducation citoyenne ? En réduisant drastiquement le budget de l’Ecole, en mettant en péril les associations laïques qui oeuvrent dans les quartiers, en privilégiant la répression plutôt que l’éducation et la prévention le gouvernement a pris un risque majeur dont on se demande s’il est aujourd’hui capable de mesurer toutes les conséquences ».
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=459
http://www.se-unsa.org/presse/comm/page.php?id=051107
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article930.html
Le point de vue d’un pédagogue
» Ne surtout pas céder au fatalisme. Tirer le meilleur des élèves, avoir un niveau d’exigence à la fois très élevé et adapté au niveau des mômes. Les Zep doivent être efficaces : il faut absolument que 100 % des élèves arrivent au niveau 5, c’est-à-dire au CAP ou BEP ». Interrogé sur la réaction à avoir au conflit des banlieues, Alain Bourgarel, fondateur de l’Observatoire des zones prioritaires, appelle l’Ecole à l’effort. « Sortir chaque année du système scolaire sans rien, c’est un crime. On multiplie les risques de chômage et de délinquance ». Il demande aussi un effort à l’Etat » en rétablissant des crédits pour les associations de quartier, de lutte contre l’illettrisme, par exemple. Faute de subventions, elles ferment les unes après les autres. C’est le résultat de la politique de la Ville décidée par le ministre Borloo ».
http://www.ouest-france.fr/ofinfosgene.asp?idDOC=261428&idCLA=3636
A 14 ans, les beurs au boulot !
« J’ai proposé que les élèves qui le souhaitent puissent entrer en apprentissage dès l’âge de 14 ans ». Dans son allocution devant l’Assemblée nationale, D. de Villepin a annoncé son intention de revenir sur la scolarisation jusqu’à 16 ans, un acquis démocratique datant de 1959. » C’est une nouvelle chance pour des jeunes qui vont d’échec en échec » estime-t-il, alors que toutes les études internationales montrent justement l’échec de la sélection précoce.
« L’apprentissage est une voie ambitieuse » pour Gilles de Robien. Interrogé par le Café, le ministre estime qu’en apprentissage « on s’épanouit. Il y aura la possibilité pour ces jeunes de faire des études supérieures. On créera des passerelles. » Mais est-ce vraiment possible avec un bagage en enseignement général aussi faible ? Sur ce point G. de Robien ne nous a pas répondu. Pour lui, l’apprentissage devrait éviter que les jeunes traînent dans la rue et permettre des expériences positives. On peut tout aussi bien considérer, c’est du moins l’analyse du Café, que le nouveau dispositif risque d’aggraver la ségrégation sociale. Ces jeunes des banlieues devraient avoir le droit à une véritable éducation et non être considérés à priori comme inéducables. Or c’est bien l’hypothèse gouvernementale puisque aucune autre mesure éducative importante n’est annoncée. Rappelons que les travaux de T. Piketty ont mis en évidence l’efficacité d’une politique réelle de réduction des effectifs en ZEP. Le gouvernement préfère exclure de l’Ecole plutôt que renforcer l’éducation prioritaire.
Les mesures gouvernementales sont vivement rejetées par les organisations professionnelles. Pour le Sgen-Cfdt, « les propositions du ministre aggravent l’exclusion… Ce n’est pas en rétablissant le couvre-feu qui ne peut que ramener à une période difficile de notre histoire que les banlieues vont reprendre confiance… Rétablir l’apprentissage à 14 ans pour ces jeunes en difficulté est une régression considérable. L’apprentissage n’est pas une remédiation à l’échec. Le Premier ministre ne semble plus croire au rôle fondamental de l’École dans la société. Que devient le socle commun qui figure dans la loi Fillon ? Que devient le nécessaire » vivre ensemble » ? Pendant que nous y sommes pourquoi ne pas rétablir le travail des enfants ? » Le Se-Unsa dénonce une mesure » réactionnaire et rétrograde… Pour des jeunes qui vivent au jour le jour la relégation sociale, il s’agirait donc de rétablir une voie de relégation scolaire abandonnée depuis trente ans ! L’égalité républicaine est-elle compatible avec l’orientation précoce ? » Pour la FSU « c’est lamentable. Loin d’améliorer la situation, cela va enfoncer encore plus les jeunes en situation de précarité, les mettre à l’écart de toute possibilité de vraie qualification et d’emploi… Le gouvernement veut accentuer le tri social, condamner définitivement à l’exclusion les jeunes les plus en difficulté ».
La FCPE clame aussi son indignation. » Alors que les jeunes ont besoin, pour s’insérer socialement et professionnellement, de plus d’école, mais surtout de mieux d’école, le gouvernement rétablit l’apprentissage à 14 ans. Il revient 30 ans en arrière, lorsque la fin de la scolarité obligatoire était fixée à 14 ans ! Jamais encore on n’est parvenu à un tel niveau dans l’aveuglement et dans l’impuissance. ».
http://www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/interventions_premier_ministre_9/allocutions_parlement_496/etat_urgence_declaration_premier_54337.html
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=460
Robien et les « apprentis-juniors »
[img=robien.jpg:G. de Robien, Photo Café pédagogique] » C’est une nouvelle formule d’ « apprenti-junior » qu’il nous faut imaginer. Elle préservera des liens avec le collège ». Alors que les critiques pleuvent sur le projet d’apprentissage dès l’âge de 14 ans lancé par le premier ministre lundi 7 novembre, G. de Robien nuance. Il annonce le 9 novembre un » l’équilibre à trouver entre l’activité en entreprise et l’enseignement aménagé des matières fondamentales, un enseignement plus moderne faisant appel aux nouvelles technologies… Il ne s’agit pas de quitter complètement le système, mais d’ouvrir un chemin différent pour certains élèves ; cette voie ne sera d’ailleurs pas forcément définitive ! L’apprentissage être l’occasion pour un jeune de reprendre confiance en soi, de reprendre goût au travail, à l’effort, et éventuellement, de poursuivre vers un BAC pro, voire une filière générale ». On voit mal quand même comment avec aussi peu d’heures d’enseignement général un jeune en apprentissage dès 14 ans pourrait ambitionner une admission en lycée ou des études supérieures.
Mais le plus ahurissant est ce jumping d’une solution miracle à l’autre. Lundi le premier ministre enterrait en quelques minutes 50 ans de politique éducative sans avoir consulté personne. L’apprentissage à 14 ans était présenté comme le remède capable de domestiquer une jeunesse sauvageonne. Aujourd’hui, le ministre parle d’apprentissage et de maintien scolaire, les TICE étant mobilisées pour résoudre miraculeusement l’équation éducative.
Cette agitation qui, jour après jour, joue avec le destin des jeunes et les valeurs de l’Ecole met en évidence une absence de respect pour les uns et de projet pour l’Autre.
Après que le chef du gouvernement ait annoncé sa décision, le ministre de l’éducation nationale propose d’organiser une « grande concertation » avec les élus locaux et les organisations patronales et syndicales pour « inventer une forme d’apprentissage qui soit adaptée à ce public des 14-15 ans, qui leur fasse découvrir pleinement le monde du travail, les motive et les responsabilise, tout en leur garantissant l’acquisition des connaissances générales de base ». Tout cela est-il crédible ? Il semble ne pas pouvoir imaginer pour les pauvres la même école que pour les riches.
http://www.education.gouv.fr/actu/element.php?itemID=20051191936
Nouvelles réactions au projet d’apprentissage
Dans Le Figaro, Thomas Piketty plaide pour la relance des ZEP. « Si cela ne fonctionne pas, c’est parce que l’on ne concentre pas suffisamment les moyens budgétaires. Actuellement, la taille moyenne des classes de CE1 est de 22 élèves en ZEP, contre 23 ailleurs. La différence est minime. Mais pour réduire l’échec scolaire, il n’y a pas pour autant besoin de passer à 10 élèves par classe. D’après mes simulations, l’inégalité de réussite scolaire pourrait être réduite de 40% avec une taille moyenne de classe de 18 élèves en ZEP et de 24 élèves hors ZEP, à budget global constant évidemment ! ». L’Union nationale des lycéens condamne le projet ministériel. « Monsieur le Premier ministre, votre réponse concernant l’apprentissage est scandaleuse ! Vous choisissez la voie la plus facile en décidant d’exclure les jeunes « en difficulté » du système éducatif dès 14 ans. Cette remise en cause du collège unique entretient la reproduction des inégalités sociales plutôt que de permettre à tous les jeunes d’avoir accès à un niveau de formation élevé ». Les parents de la PEEP demandent que l’apprentissage soit adapté et scolarisé. « La Peep reconnaît que… l’apprentissage dès 14 ans peut être une solution adaptée à certains élèves qui ont besoin d’une « école différente »… La Peep est favorable à la diversité des parcours dès l’instant où ils sont préparés, adaptés et acceptés par les élèves et leur famille. L’apprentissage à partir de 14 ans doit avoir une organisation scolaire différente de celle qui existe actuellement et une obligation essentielle : l’acquisition du socle des fondamentaux. La Peep entend défendre ce parcours scolaire mais refuse qu’il soit réservé aux élèves en rupture scolaire ».
http://www.lefigaro.fr/societe/20051109.FIG0019.html
http://www.unl-fr.org/?p=actu_view&id=91
http://www.peep.asso.fr/actualite.php?id_actu=72&PHPSESSID=ab9ed5b45d1d072517c61d48fca6814e
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2005/11/index091105.aspx
Les émeutes, en parler ou pas ?
En parler ou pas ? C’est la question que se posent beaucoup d’enseignants devant la gravité de la situation, ses risques politiques, les peurs ou la révolte des élèves. Certains enseignants se lancent et proposent des dossiers documentaires. C’est le cas par exemple de Claude Bordes, professeur de SES qui met enligne un copieux dossier. Le Nouvel Observateur, comme d’autres médias, propose un dossier. Le Monde agrémente le sien de documents sonores. Enfin, dans Libération, les sociologues Didier Lapeyronnie et Laurent Muchielli évoquent l’humiliation des jeunes. « L’émeute et la violence urbaine charrient toutes les déviances qu’elles mêlent au sentiment d’une humiliation démultipliée. Une humiliation scolaire. L’école n’est pas vécue par une partie de ces jeunes comme un instrument de promotion mais comme le lieu d’une sélection qui transforme leur destin social en autant d’humiliations personnelles. A leurs yeux, la promotion par l’école est réservée à d’autres, qui savent tirer tous les bénéfices et qui sont généralement des «Blancs» quand eux sont généralement des jeunes issus de l’immigration. Ne serait-ce pas ces mêmes «jeunes de banlieue» qui, au mois de mars dernier, dépouillaient et frappaient les lycéens venus manifester pour défendre leur école ?… L’émeute naît ainsi d’abord du vide politique. La violence surgit quand la politique est absente, quand il n’y a plus d’acteurs sociaux ni même de conflit, quand il ne reste plus que la défense de l’ordre et de l’identité nationale. Certes, il est urgent de rétablir un minimum de politique sociale, de lutter contre les discriminations, d’en finir avec des pratiques policières indignes d’une démocratie et surtout de stopper cette ségrégation urbaine qui structure de plus en plus nos modes de vie. Mais les émeutes nous rappellent qu’il est avant tout indispensable de reconnaître et de respecter toute une population, de considérer qu’elle ne constitue pas un problème mais qu’il s’agit bien de citoyens de notre pays ».
http://press-ses.blogspot.com/
http://www.nouvelobs.com/articles/p2140/hebdo.html
http://www.liberation.fr/page.php?Article=337030