« La question religieuse a ressurgi en France assez brusquement et nous avons tous semblé pris de court…S’agit-il bien d’un retour ? « demande Marie Raynal dans l’éditorial de ce numéro 142 de VEI diversité. « Nous avons vécu une sécularisation de la société et voulu croire que le monde était définitivement « désenchanté »… Mais … on ne se débarrasse pas de Dieu par le simple fait de séparer l’Eglise de l’Etat ». Pour le découvrir, la revue propose trois explorations : ce que les sociologues ont à dire du phénomène religieux aujourd’hui, ce qui se passe dans les quartiers et ce qui fait débat dans l’école autour de l’enseignement du fait religieux. Et elle a mobilisé les spécialistes : Emile Poulat, Marcel Gauchet, Dominique Borne par exemple.
C’est que le phénomène religieux n’est pas immobile et accompagne les évolutions de notre société. Ainsi Martine Cohen (Cnrs) montre que la question religieuse est étroitement mêlée aux revendications identitaires ce qui remet en question la « laïcité à la française ». « Les partisans de la laïcité sont partagés entre attachement aux libertés individuelles et au pluralisme culturel d’un côté, crainte de voir ce particularisme dériver vers une fragmentation sociale (communautarisation) de l’autre. Mais l’opposition entre laïcité française et multiculturalisme est-elle tenable ? ». Françoise Lorcerie (Cnrs) semble répondre à la question en situant la question laïque dans la perspective d’une flambée nationaliste. Pour elle « la représentation de la laïcité, la doxa laïque, à laquelle les élus ont massivement donné leur aval, est une nouvelle vision de combat pour l’identité nationale menacée, non plus contre l’Eglise catholique mais contre l’islam qui se voit ».
Alors quel regard jeter sur l’islam des quartiers ? Nathalie Kapko (Paris 8) montre que l’islam des filles marque d’abord des signes d’affranchissement qui n’est pas sans rapport avec l’occidentalisation. « Le sens que les filles donnent à la religion est très éloigné des conceptions parentales de l’islam : les transmissions religieuses ne sont pas linéaires et se déroulent au travers de recompositions, de négociations et de conflits… On assiste à la production individuelle de petits systèmes de significations religieuses qui se construisent en fonction des besoins… Cette individualisation du croire s’inscrit dans le contexte des sociétés démocratiques ».
Mais pour les enseignants, c’est le projet d’un enseignement du fait religieux qui fait débat. Dominique Borne, ancien doyen de l’Inspection générale, en donne une vision apaisée. « L’enseignement du fait religieux n’est pas du tout une approche des croyances… C’est une approche à travers le fait, autrement dit les signes du religieux ». C’est aussi à ses yeux un outil pour que toutes les communautés trouvent leur place à l’Ecole. Marcel Gauchet est plus critique. « Cet enseignement du fait religieux me semble dans le principe excellent mais, très franchement, sur l’exécution, je suis sceptique. Je crois que nous ne savons pas le faire. C’est un bon programme mais je crois qu’il va semer une grande perplexité dans les esprits des enseignants ». Il signale une autre dérive : celle qui consiste à transformer la laïcité en chose sacrée. « Il y a un danger à présenter la laïcité comme un argument d’autorité qui revient à inverser son sens originel. Nous nous sommes battus contre l’autorité,ce n’est pas pour que l’on en fabrique une autre en nous la donnant comme quelque chose de sacré,d’intangible.. Décléricalisons la laïcité ! ».
Education et religion, Ville école intégration diversité, n°142, septembre 2005.
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