Bibliographie
Si vous êtes né après les années 60, peut-être que le nom d’Establet ne fait pas immédiatement connecter vos neurones. Pourtant, vous diraient vos aînés, Baudelot et Establet, ça fait partie des classiques : « L’Ecole capitaliste en France » est le premier de leurs méfaits, en 1971, analysant dans une perspective sociologique la reproduction sociale, dans la lignée des Bourdieu et Passeron. Dans les années 80 et 90, la sociologie apprenant à regarder plus finement le monde, « Le niveau monte » et « Allez les filles » sont deux pavés qui font date. En 2000, « Avoir 30 ans en 1968 et en 1998 » détaille comment les aspirations des classes populaires devant l’école se sont élevées, sans que la réussite des enfants d’ouvriers et d’employés ne soit totalement au rendez-vous (voir à ce sujet http://www.snuipp.fr/article80.html ).
Le dernier ouvrage que Roger Establet coordonne va-t-il devenir également une référence ? Il en a tout les pré-requis, comme diraient quelques pédagos de mes amis. Baudelot a décidé de reprendre les questionnaires de la consultation lancée en 1998 par Philippe Meirieu (3 millions de réponses, une paille…) pour en extraire 10 000 questionnaires sur lesquels son équipe exerce une radiographie sociologique.
Grand connaisseur de l’enseignement professionnel, Establet souligne son émergence comme filière d’enseignement « à part entière », dont les élèves ont les mêmes exigences envers leurs professeurs, à qui ils demandent à la fois de les écouter, de les conseiller et de bien les préparer aux examens.
Au delà des différences de filières, le plus grand enseignement de cet ouvrage est justement à chercher du côté des représentations que les lycéens se font des différentes disciplines, qui peut peut-être expliquer une part de la désaffection pour les filières scientifiques : même les lycéens de ces sections ne trouvent aucune valeur de formation éthique ou personnelle aux sciences « dures » (maths, physique…) qui arrivent systémtiquement en queue de peloton. A l’inverse, les « humanités classiques » (français, philo, histoire) sont plébiscitées pour la formation personnelle, même si leur utilité sociale est jugée faible.
Ce sont donc les matières enseignées en ES (langues, sciences sociales et même biologie) qui conjuguent finalité professionnelle et valeur pour le développement personnel.
L’EPS fait figure d’OVNI, brillant par son absence dans les réponses des lycéens, ce qui pour l’auteur doit faire réfléchir ces enseignants sur la définition et les objectifs de cet enseignement
Pour Establet, c’est la marque que l’émergence de la « citoyenneté » des jeunes les amène à vouloir qu’on leur enseigne des disciplines qui entrent dans leur système de valeur, et non uniquement pour leur présumé potentiel de formation de l’esprit ou d’apprentissage de l’abstraction. « Plus qu’un malentendu, il s’agit d’une véritable tension qui ne peut éventuellement trouver d’issue que dans le travail pédagogique en classe ».
Establet ne dit-il pas qu’un bon étudiant de sociologie est celui qui réalise toutes les phases d’une enquête, de l’élaboration du protocole à l’interprétation, en passant par les indigestes saisies et traitements, au motif que toute division du travail en limite la valeur formative… ?
D’ailleurs, n’est-ce pas ce que les lycéens expriment lorsqu’ils insistent tant sur la qualité du prof, au-delà de sa matière : importance du respect mutuel, du tricotage entre la discipline et l’intérêt de l’élève, dans un lycée devenu de plus en plus un espace construisant une « microsociété » socialement moins homogène que dans les années 70, et donc confrontée à toutes les contradictions du « vivre ensemble » ?
Mais tout n’est pas perdu puisque, dit Establet, le « réformisme investi » l’emporte largement sur le « réformisme des mécontents », personne n’envisageant, au-delà des manifestations de mauvaise humeur, de « casser la baraque ».
Cerise sur le gâteau, on ne manquera pas la préface de Philippe Meirieu qui ne se cantonne pas à une aimable introduction. En 15 pages, il revient sur son très controversé passage comme « chargé de mission » du ministre Allègre (et non « conseiller », insiste-t-il), pour mieux faire connaître sa version de ce moment qui reste dans toutes les mémoires comme l’exemple de la controverse exacerbée… et ne déboucha pour l’essentiel que sur le statu-quo !
Radiographie du peuple lycéen
Pour changer le lycée
coordonné par Roger Establet (avec Jean-Luc Fauguet, Georges Felouzis, Sylviane Feuilladieu, Pierre Vergès)
ESF Editeur.
191 pages. 23 Euros.