Professeur de latin – français, François Giroud suit les Travaux Personnels Encadrés en terminale littéraire. Il témoigne ici des effets positifs de ce dispositif sur les apprentissages.
FJ- Français, anglais, documentation : avec les TPE c’est une association qui déroge par rapport au cloisonnement habituel des disciplines. Comment les élèves s’y retrouvent-ils entre ces trois professeurs et ces trois matières ?
FG- Comme ce type de fonctionnement est instauré dès les TPE de la classe de Première, nous avons deux ans pour essayer de leur faire admettre que l’ambition des TPE ne se mesure pas qu’en termes de contenu : la tendance des élèves est naturellement à considérer qu’il faut des spécialistes pour leur servir de référent. Il ne faut pas nier l’importance du contenu, loin de là, mais éviter une focalisation excessive sur celui-ci. En définitive, beaucoup se sentent plutôt à l’aise avec des enseignants divers, et cette façon de faire favorise notre discours sur l’importance de la démarche, de la problématisation, de la structuration. L’autre avantage se mesure au niveau relationnel : le cadre des TPE se prête à une « décrispation » des rapports, et ce décloisonnement y contribue encore davantage, par son caractère « à géométrie variable ».
Du côté des enseignants, il faut reconnaître que cette organisation n’a posé aucun problème chez nous en série L.
Notre principe majeur est la souplesse : les élèves ont la possibilité de nous solliciter tous les trois à volonté, et parfois ils le font à d’autres moments de la semaine que pendant les deux heures prévues à l’emploi du temps pour les TPE.
FJ- Pensez-vous que le français soit instrumentalisé dans un tpe ou celui-ci apporte-il quelque chose de propre à votre enseignement du français ?
FG- D’abord, les TPE sont l’occasion d’un travail de rédaction et d’argumentation à une échelle que nous ne connaissons pas en cours, que ce soit en Première ou en classe de Terminale. De plus, le sujet résulte d’un choix assez libre de l’élève. Les conditions sont ainsi créées pour que celui-ci se sente un peu libéré des contraintes et des codes de l’écriture telle qu’il la pratique dans une perspective de préparation à l’examen. Je vois ainsi des élèves en difficulté dans les exercices habituels manifester du plaisir à rédiger dans un format long pour le TPE. Plus généralement, c’est l’occasion pour eux de rédiger « autrement », et en tout cas en se mettant moins de « pression » par rapport au professeur de français. Sur un de mes élèves, actif en cours mais peu « scolaire », cette façon de travailler alliée à l’ambiance différente semble avoir créé un déclic à l’écrit en littérature.
Par ailleurs, les sujets de TPE en L portent souvent sur l’image (arts plastiques, cinéma…) ; cela correspond à leurs centres d’intérêt, mais aussi à une dimension de l’enseignement des lettres fréquemment reléguée au second plan. Ainsi, j’ai un groupe qui travaille sur la problématique : « Enki Bilal : une image baroque de la société du XXème siècle » ; mais je ne me sens pas exclu pour autant si d’autres traitent de « Jack l’éventreur, miroir de la société victorienne »…
FJ- A première vue rien ne semble plus opposé que la machine électronique avec ses octets et son langage binaire et des disciplines littéraires comme le français ou l’anglais. Pensez-vous que les TIC soient indispensables pour mener à bien un tpe ?
FG- Les disciplines littéraires ne sont pas incompatibles avec la rigueur ! Quoi qu’il en soit, la recherche documentaire dans un CDI impose à l’évidence de respecter quelques étapes, ne fût-ce que pour se repérer, tandis que le recours à l’outil informatique crée une erreur de perspective : les élèves ont le sentiment de pouvoir s’en sortir seuls et vite ; leurs erreurs de jugement ou de méthode ressortent bien mieux ainsi, ce qui facilite la remédiation. Les TICE sont un formidable révélateur des lacunes des élèves devant l’information, sa recherche, son traitement, sa « digestion », et donc elles constituent un levier pédagogique très efficace ; à l’évidence, l’apprentissage du clavier et des formats de documents ne sont pas seuls en jeu, loin de là, même si ces savoir-faire ne sont pas complètement inutiles. En effet, c’est l’occasion de procéder à une petite mise à niveau qui n’est pas inutile avec mes élèves de série littéraire. D’un côté, j’ai été amené à préciser les démarches pour sauvegarder l’information et la rendre portative et accessible. D’un autre côté, il ne faut pas croire que des élèves de terminale connaissent si bien que cela la logique de fonctionnement des moteurs de recherche (libellé de la recherche, mode de classement des résultats…) ; ils se trouvent en TPE dans des conditions de travail et un contexte qui me permettent de compléter leurs connaissances dans ce domaine, et la technique me fournit un argument pour évoquer avec eux le fond !
Concernant la mise en forme, il ne faut pas se leurrer : il ne s’agit pas de les aider à « faire joli », car beaucoup ont tendance à s’y complaire, et à considérer qu’un objet WordArt va leur rapporter des points. Mais précisément, parce que les TIC amplifient des modes de fonctionnement inappropriés, elles constituent une école de rigueur, par les pièges qu’elles tendent, et qui ne sont pas de nature technique mais plutôt méthodologique. Quoi de plus tentant que de retenir la photo la mieux définie, plutôt que la plus pertinente ? Que de consacrer du temps à soigner la présentation ?
Au delà du traitement de l’erreur, les TICE offrent des possibilités techniques de mise en page et de présentation qui devraient être mises au service de l’argumentation de façon réfléchie et consciente, mais le temps manque pour seconder vraiment les élèves dans cette démarche – et la suppression des TPE en terminale n’arrangera rien à cet égard.
FJ- L’apport du documentaliste est donc essentiel ?
FG- Le documentaliste a un autre regard que l’enseignant sur la recherche documentaire, un autre contact avec les élèves. Réciproquement, le regard des élèves sur les documentalistes en est modifié dans le bon sens.
En général, malgré d’autres temps de recherche, mais sur des sujets beaucoup moins libres comme en ECJS, les outils informatiques spécifiques au CDI sont méconnus et sous-utilisés par les élèves ; ceux-ci ont souvent la surprise d’être ramenés par les réponses de ces mêmes outils … à des publications traditionnelles sur papier qui se trouvent à côté d’eux. La boucle est ainsi bouclée : les TPE contribuent à faire mieux connaître le CDI aux élèves, qui l’utilisent davantage.
Par exemple, le fait que Superdoc, logiciel de gestion documentaire, soit disponible sur tous les bureaux de tous les postes du lycée, n’en a pas fait un outil familier autant que les TPE. J’ai un regret : les documentalistes ne sont pas autant investis dans l’encadrement que je le souhaiterais, mais c’est dû à notre structure de cité scolaire et à leur nombre insuffisant ; de même, s’ils jouent un rôle dans l’évaluation continue par leur regard sur le travail des élèves, ils ne sont plus autant sollicités lors des évaluations finales. Du reste, les TPE sont une occasion supplémentaire d’échanger entre les enseignants et les documentalistes, qui sont rarement libres aux mêmes horaires.
FJ- Les TPE vont être supprimés en terminale. Faudra-t-il les regretter ?
FG- Oui, d’autant que les TPE risquent d’être supprimés, tout court : en une seule année et avec une évaluation « hors bac », les bénéfices seront faibles, et je suis sceptique sur l’espérance de vie des TPE de Première.
Bien sûr, la formation des élèves aux outils informatiques se passera plus ou moins des TPE, mais ils constituent une mise en pratique grandeur nature des savoir-faire techniques, en connexion avec de vrais contenus. Sur le plan humain, la qualité des relations entre élèves et enseignants ne dépend pas que des TPE, tout comme les savoirs disciplinaires existaient avant eux ! Cependant, les TPE constituent une occasion de faciliter les progrès dans ces trois registres. Rappelons qu’au delà des contenus, il s’agit pour les élèves de répartir au mieux les efforts, d’organiser le travail, d’apprendre à vraiment opérer en groupe (et pas « tu fais le I, je fais le II »), de se mesurer à la difficile notion de problématique. En cela, le premier essai réalisé en classe de Première est un apprentissage utile, qui leur permet un réel progrès en Terminale.
Par ailleurs, n’allez pas croire que je suis aveugle sur les défauts des TPE tels qu’ils sont pratiqués : les modes d’évaluation en Terminale ne me satisfont pas, et les moyens humains mis en oeuvre sont nettement inférieurs à ce que j’ai connu lors du lancement. J’ai également conscience que la diversité des situations d’un établissement à l’autre engendre non seulement des difficultés d’évaluation, mais aussi des perceptions très différentes des TPE. Pourtant, j’ai pu aussi constater que certains discours radicalement opposés aux TPE de la part d’enseignants échaudés par des réformes précédentes ont évolué vers un bilan plus mitigé de l’expérience : la plupart s’accordent à reconnaître que l’essai d’un véritable bilan sur une demi-douzaine d’années serait nécessaire avant de prendre toute décision précipitée.
François Giroud
Professeur de Français – Latin au lycée Chateaubriand de Combourg