Dossier spécial
Dans Le Monde, l’essayiste américain Alain de Botton a signé un article provoquant :
Travailleurs de tous les pays, détendez-vous ! :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-378714,0.html
Selon l’auteur, « la caractéristique la plus remarquable du travail à l’époque moderne » [tient à] « la conviction, largement répandue dans le monde occidental, que notre travail doit nous rendre heureux ». Après avoir montré qu’il n’en a pas toujours été ainsi, l’auteur soutient qu’à trop attendre du travail, on s’expose à de sérieuses déconvenues. Selon lui, nous gagnerions à remettre le travail à sa vraie place. Celle d’un simple gagne-pain. De fait, « le travail est souvent plus supportable quand nous n’espérons pas que, outre de l’argent, il nous procurera infailliblement du bonheur ».
¤ Faut-il travailler pour être heureux ?
A l’évidence, le travail ne fait pas le bonheur, mais il y contribue…
– Le bonheur et le travail en France, une conférence de Christian Baudelot et Céline Bessière à l’ENS Lyon, 2003 (real player, 1 heure + 50 mn de discussions) : http://socio.ens-lsh.fr/conf/conf_2003_03_baudelot/conf_2003_03_baudelot.php
– Faut-il travailler pour être heureux ? (Insee Première, décembre 1997) : http://www.insee.fr/FR/FFC/DOCS_FFC/ip560.pdf
Voir aussi le tableau 1 in Des actifs à la recherche d’un nouvel équilibre entre travail et hors travail, Premières synthèses, Dares, mai 1999 : http://olivier.godechot.free.fr/travaux/travhorstrav.pdf
– La place du travail dans l’identité des personnes en emploi (Premières synthèses, Dares janvier 2004) : http://www.travail.gouv.fr/publications/picts/titres/titre2069/integral/2004.01-01.1.pdf
– Les transformations des conditions de travail des ouvriers – Maxime Parodi, revue de l’OFCE, janvier 2004 (pages 11 à 13 : bonheur et malheur au travail) : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/9-88.pdf
Un bon moyen de tester l’effet bénéfique du travail est de considérer le cas des chômeurs.
¤ Le cas des chômeurs
Des enquêtes menées dans l’UE montrent que les chômeurs sont les actifs les moins heureux et ceux qui affichent les scores les plus élevés de « stress mental » : cf. le tableau 2 et le graph. 11 de ce rapport anglais : http://www.number-10.gov.uk/su/ls/paper.pdf
De façon générale, le chômage nuit gravement à la santé :
– Nicolas Bourgoin – dans Suicide et activité professionnelle, INED, Population vol.1, 1999 – a montré que c’est chez les chômeurs que le taux de suicide est le plus élevé (de très loin) : cf. page 108 du Rapport « Violences et Santé » (mai 2004), Haut Comité de la santé publique : http://hcsp.ensp.fr/hcspi/docspdf/hcsp/hc001688.pdf
– sur le lien dépression et chômage, cf. cette étude du Credes (not. le graph. de la page 5) : http://www.irdes.fr/Publications/Bulletins/QuestEco/pdf/qesnum21.pdf
– sur la surmortalité des chômeurs, cf. ce numéro d’Economie et Statistiques (not. le tableau 4) : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES334B.pdf
Cela posé, on peut douter que les gens attendent toujours plus du travail. En particulier, on peut douter qu’ils en attendent toujours plus de bonheur. La raison en est simple : le travail occupe de moins en moins de place dans la vie des gens…
¤ Les français travaillent de moins en moins…
De fait, le temps de travail des actifs occupés a beaucoup baissé depuis 1800 :
– Statistiques sur le travail en France (1800-2000), not. le graph sur la durée du travail – issues de Claude Thélot et Olivier Marchand, Le travail en France (1800-2000) : http://www.sciences-sociales.ens.fr/hss2001/travail/statGen/statistiques.html
– en contrepoint, on peut lire ce texte sur le travail paysan à la fin du 19ème siècle, extrait de « La vie d’un simple » d’Emile Guillaumin : « Jamais de plaisir : le travail ! le travail ! toujours le travail ! » : http://musee-emile-guillaumin.planet-allier.com/egp/rural03.htm#
– La durée de vie active en France de 1896 à 1997- in Les chiffres de la retraites en France (Observatoire des retraites), cf. les graphiques et tableaux des pages 28 à 30 :
http://www.observatoire-retraites.org/observatoire/rubriques/chiffres/lorc3/lorc3.pdf
Un phénomène qui se retrouve ailleurs, même si les français sont parmi les occidentaux qui travaillent le moins. Pour des données sur le PIB par hab., la durée du travail et les taux d’emploi dans les grands pays de l’OCDE en 2002, cf. le tableau 1 dans cette lettre du CAE résumant le rapport Productivité et croissance (Patrick Artus et Gilbert Cette, juin 2004) :
http://www.cae.gouv.fr/lettres/CAE-2004.04.pdf
En vérité, les travailleurs n’ont pas attendu Alain de Botton pour remettre le travail à sa vraie place. Pour preuve, l’étude qu’a réalisé Kahneman au Texas. 1000 femmes actives se sont vues demandées de segmenter le jour précédent en épisodes, comme dans un film. Typiquement, cela a permis de dégager quinze épisodes correspondant à des activités distinctes. Pour chacun de ces épisodes, on a demandé aux femmes quels sentiments elles avaient éprouvés, avec quelle intensité, ce qui a permis de les situer sur un indice du bonheur ressenti. De toutes les activités, c’est le sexe et la socialisation qui arrivent en tête, tandis que le travail et le « commuting » arrivent bon derniers :
Cf. tableau 1 in Richard Layard, Lionel Robbins Memorial lectures – LSE 2003 :
http://cep.lse.ac.uk/events/lectures/layard/RL030303.pdf