Barbara Dieu, brésilienne, enseigne l’anglais au lycée Pasteur de Sao Paulo (Brésil). Elle utilise avec ses élèves un outil nouveau et dans l’air du temps : le Blogue.
FJ- Vous êtes brésilienne, de langue maternelle polonaise et vous enseignez l’anglais dans un lycée français après avoir été professeur au British Council. Avec ces décalages culturels, quel jugement portez-vous sur l’enseignement des langues « à la française » ?
BD- Je peux dire que le programme de langues étrangères français est bien détaillé et complet, très riche et intéressant par le choix des thèmes et repères culturels. Il vise à amener l’élève à un niveau de compétence avancée comparable à celui des écoles spécialisées en langues étrangères du type British Council, Goethe Institut, etc.
Néanmoins, j’ai constaté que l’enseignement des langues en France n’ encourage pas l’ élève à s’ exprimer librement, spontanément. Les échanges sont extrêmement contrôlés et il y a une forte tendance à exiger une production très rigoureuse tant à l’oral comme à l’écrit. L’accent est mis sur l’erreur plutôt que sur la réussite, même partielle. Donc, l’effet Pygmalion négatif. Je pense qu’il faut croire aux possibilités des élèves, qu’ils sont capables de progresser. Il faut que l’apprenant des langues ait confiance en soi et une image positive de la langue cible.
FJ- Avec vos élèves vous utilisez un nouveau type de site sur Internet, le Blogue. Que vous apporte-il pour l’enseignement de l’anglais ?
BD-Le blogue est en même temps une forme d’expression et un outil d’expression. Je pense que pour parler et comprendre n’importe quelle langue il faut lire beaucoup et s’exprimer, pouvoir dire ce qu’on pense librement, le plus souvent possible, et pas nécessairement avec des locuteurs natifs. La régularité de l’exposition et de l’utilisation de la langue cible compte plus, à mon avis, que des explications sur l’usage ou le fonctionnement de la langue. C’est en essayant de construire son discours dans des occasions diverses que l’apprenant va se confronter à ses besoins linguistiques et essayer de les combler.
Le blogue comme outil remplit ces attentes parce qu’il est facile à manipuler et dans la plupart des cas, gratuit. Pour publier, il ne vous faut pas d’expertise informatique ou dépendre de quelqu’un. On peut y avoir accès n’importe où, à l’école, au cybercafé, ou depuis sa maison.
Le blogue comme forme d’expression est très motivant. On peut se servir des hyperliens pour donner une explication supplémentaire. Les élèves qui cherchent sur Internet des sites en langue cible, lisent davantage pour complémenter leurs idées. Quelques enseignants se plaignent que les élèves copient l’information ou des mots. Je n’encourage pas le plagiat, mais je vois cela comme un premier pas pour s’approprier de la langue. Les élèves sont exposés à des mots, à des paragraphes et ils choisissent ceux qui les intéressent. Il faut néanmoins veiller qu’ils citent leurs sources et que ça ne devienne pas systématique. Après un certain temps il faut vérifier si ces élèves ont intégré les nouveaux mots ou structures et demander qu’ils les réutilisent.
Le blogue est un mode de communication asynchrone, donc il permet aux apprenants de langue de réfléchir avant de publier leurs pensées et de corriger et republier leur texte. Je ne corrige pas systématiquement tous les messages, mais les élèves viennent me voir ou me demandent par mail comment formuler une phrase ou une autre parce qu’ils ont le souci de bien faire. La correction ici n’est pas punitive. Il faut savoir apprendre à se servir de ses erreurs et de ses échecs pour progresser.
Le blogue aide à développer l’expression écrite et la lecture et aussi à les connecter avec des élèves d’autres pays et interagir avec eux. Le blogue peut servir à ce moment là comme une plate-forme de rencontres et de connexions.
J’appartiens à une communauté de pratique internationale, donc je connais d’autres enseignants intéressés par des échanges entre classes et nous mettons nos élèves en contact. Le blogue permet aussi des échanges courts, informels sans un projet préétabli trop en avance. Nous créons ainsi des communautés internationales d’apprenants d’anglais qui se rencontrent.
On peut demander que des élèves ou des professeurs d’un autre pays interviennent sur un thème qu’on vient de développer. Maintenant, par exemple, mes élèves de 1ère L sont en contact avec des élèves de droit international d’une université en Biélorussie. L’année dernière mes secondes ont interagi avec des élèves d’une école à Naples (qui d’ailleurs nous ont rendu visite en juillet dernier, suite au succès des échanges sur le blogue.
Le fait que le niveau de langue n’est pas le même, n’est pas si important. Les élèves comparent leurs performances. Ceux qui parlent mieux sont fiers mais doivent faire des concessions, ceux qui n’arrivent pas à bien s’exprimer, en éprouvent le besoin. L’anglais sert comme langue de communication et ils doivent s’adapter au différents accents et formes de s’exprimer. Il y a aujourd’hui plus de personnes qui utilisent l’anglais sans être natifs de la langue que le contraire
FJ- Mais comment faire ? Faut-il organiser les débats ?
BD- Premièrement je consacre quelques sessions dans le labo ordinateurs pour expliquer aux élèves comment faire pour avoir un blogue et comment s’en servir. Les instructions écrites pour ouvrir un blogue sont assez simples et se prêtent très bien à une tâche réelle à accomplir (task-based learning).
Les élèves qui ont plus de facilité peuvent aider les autres (peer-tutoring) et il y a eu même des occasions ou quelques élèves m’ont montré comment manipuler le code et personnaliser le blogue. En bloguant et expérimentant ensemble, les élèves et les enseignants deviennent partenaires au-delà de la salle de cours.
J’ai utilisé le blogue de plusieurs façons.
en classe:
– comme cahier virtuel individuel pour documenter une recherche sur l’Internet, car les élèves peuvent y ajouter des liens et des photos, organiser, classifier et indexer leur matériel.
– comme outil de communication – les élèves devaient donner dans le blogue leur avis sur des sujets et thèmes divers traités en classe, lire ce que d’autres collègues (de la classe ou dans d’ autres pays) ont écrit sur le même sujet et faire des commentaires en utilisant le vocabulaire et des expressions apprises en classe.
– comme outil d’interaction entre un invité mystère qui pose des questions et les élèves qui postent des réponses. J’ai invité des professeurs natifs ou des adultes d’autre pays qui ont dialogué avec mes élèves pendant une période de temps. On peut imaginer la même procédure avec un expert (restaurateur, publicitaire, écrivain, artiste) avec qui on établi contact et qui peu répondre à des questions que les élèves posent. Normalement les gens concernés sont assez ouverts pour ce type d’interaction.
– comme une plate-forme internationale où plusieurs élèves interagissent. Je ne cherche pas spécialement des natifs – simplement des professeurs avec des élèves qui veulent se communiquer et nous établissons ensemble quels thèmes traiter pendant cet échange. J’essaie d’établir des ponts, de sorte que les élèves puissent utiliser ce qu’ils ont fait en classe.
Hors classe:
– comme un compte rendu et réflexion hebdomadaire individuelle sur les activités dans le cadre de la classe.
– commentaire/compte-rendu du contact personnel avec la langue cible hors du contexte classe (comme par exemple les chansons, programmes TV, films, hobbies)
– comme un endroit pour s’exprimer librement sur des choses qui les intéressent : sports, sorties, vacances, loisirs)
FJ- Les élèves s’accaparent-ils le blogue ?
BD- La majorité des élèves aime bien écrire et publier leur contenu eux-mêmes en sachant que quelqu’un va lire ce qu’ils ont à dire et peut-être commenter dessus. Ils aiment découvrir des nouvelles choses sur Internet, illustrer leurs recherches et suggérer des adresses intéressantes aux collègues. Ils aiment qu’on lise ce qu’ils ont à dire. Ils forgent une identité, avec leur choix de couleurs, présentation et thèmes et ils développent leur propre voix, leur propre façon d’écrire et de raconter les choses.
FJ- La situation de communication est-elle réelle ? Le blogue est-il fait pour être lu depuis l’extérieur ? Est-il une trace structurante du groupe ? Comment se situe t il par rapport aux autres outils type liste de discussion, Yahoo groupes etc. ?
BD- Avec le blogue, c’est l’utilisateur qui a le contrôle de ce qu’il veut dire, comment et quand publier son contenu. Un blogue peut être un journal intime ouvert ou l’auteur dialogue d’abord avec lui même et les autres peuvent (on non) lui répondre. C’est là que réside la beauté de cet outil car contrairement à des forums, où les messages se succèdent les unes après les autres et où il est parfois difficile de retrouver le fil, le blogue est avant tout un espace individuel d’ écriture et réflexion. Il indexe automatiquement les messages par contenu et par date et permet des commentaires sur des messages précis. Il est graphiquement plus attractif et motivant que les listes de discussion et les groupes Yahoo car il ressemble à une page web personnelle. Les listes et les groupes sont très pratiques mais se prêtent à des usages différents. Ils sont souvent plus restrictifs, modérés et fermés.
Tout dépend vraiment de l’objectif qu’on se donne. Le blogue peut devenir ce qu’on veut. En fait, ça dépend de votre imagination et de vos objectifs. Il y a des blogueu de tous les genres ; libres et encadrés ; individuels et collectifs.
J’ai fait une présentation sur les blogues à Cyberlangues 2004 où je montre quelques possibilités d’utilisation avec des exemples concrets. Voir : http://members.tripod.com/the_english_dept/blogues/blog00.htm
Je viens de publier un article en anglais dans le dernier Tesol Essential Teacher (Autumn 2004 edition) sur les Blogues dans l’ Enseignement des Langues.
Il y a aussi un livret en ligne (en anglais) « Blogueging and Presence Online » que j’ai créé pour une présentation sur les blogues à TESOL EVOnline 2004. http://the_english_dept.tripod.com/blog04/
FJ- Vous venez de lancer un blogue sur les TPE de vos élèves dans quel but ?
BD- Cette année j’ai utilisé le blogue comme carnet de bord pour les élèves et comme carnet de réflexion pour l’équipe enseignante. http://tpe1les.blogspot.com/
Je pense que le blogue remplit bien ces deux types de fonction. Comme carnet de réflexion car souvent l’enseignant qui encadre les groupes d´élèves pendant la première heure n’a pas tellement le temps pour se concerter avec celui qui le suit. Poster ces réflexions sur le déroulement de la session et dialoguer à travers le blogue est un moyen pratique et permet de mieux suivre les élèves et de répondre aux besoins de chaque groupe.
Pour le carnet de bord des élèves, on peut proposer un modèle que les élèves adoptent (ou non), on peut ajouter des références utiles (les sujets et thèmes, les critères d’évaluation, comment faire une bibliographie, fiches doc, outils pratiques de recherche) qu’ils puissent consulter pendant leur parcours. En sachant utiliser la nouvelle fonction RSS(1), les élèves pourraient avoir accès direct à ce qui les intéresse sans perdre trop de temps.
J’ai rencontré néanmoins pas mal de réticences de la part de quelques membres du corps enseignant qui ne sont pas encore tout à fait à l’aise avec l’informatique et préfèrent condamner l’outil à priori plutôt que de se lancer dans l’expérimentation et mettre de côté leurs pratiques traditionnelles qu’ils dominent.
FJ- Peut-on généraliser le blogue dans l’enseignement ?
BD- Le blogue est un outil très intéressant non seulement pour les langues mais pour toutes les matières. Il se prête à des usages pédagogiques variés. Mais comme avec tous les outils, il faut savoir l’utiliser pour qu’à la place d’un moyen de communication et ouverture, il ne devienne pas un outil d’oppression et de contrôle.
Entretien : François Jarraud
1 « Le RSS est un format de données capable d’indexer le contenu d’un site d’informations et de le mettre instantanément à disposition de personnes intéressées ou auprès d’autres sites. Ce format standard, dont l’abréviation signifie en anglais Real Simple Syndication (syndication vraiment simple), facilite le partage et l’agrégation de contenus. Via un logiciel de lecture RSS qui regroupe les fils d’informations d’une multitude de sources, l’internaute évite de naviguer de site en site pendant des heures. »
http://www.letemps.ch/template/print.asp?article=140798