FJ – Ce qui frappe quand on prend connaissance du projet Ordina 13, c’est la justification pédagogique : remédiation, individualisation de l’enseignement par exemple. Ces objectifs sont-ils atteints ? Le département accompagne-t-il pédagogiquement le matériel mis en place ? Peut on voir en ligne des exemples pédagogiques d’application ?
JE- Il convient tout d’abord de préciser que la dimension du projet initié et mis en place par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône, dénommé Ordina 13 comporte 6 volets essentiels :
1 – un ordinateur portable pour chaque élève de 4ème depuis la rentrée de septembre 2003
2 – un ordinateur portable pour chaque élève de 3ème à la rentrée de septembre 2004
3 – le câblage courant fort/courant faible, bornes WIFI des 180 collèges publics et privés du département
4 – l’équipement de chaque collège, public et privé, d’un ordinateur fixe pour 5 élèves
5 – la mise en place d’un Accompagnateur Technique Informatique (ATI) dans chaque collège public du département bénéficiant d’une expertise et d’une expérience, sous l’autorité du principal, pris en charge financièrement par le Conseil Général des Bouches-du-Rhône
6 – la prise en charge par le Conseil Général d’un abonnement Internet de
10 h/mois utilisable hors temps scolaire pour chaque utilisateur (élèves, professeurs et parents d’élèves)
L’ensemble du dispositif est déployé, à l’exception des câblages que nous espérons terminer pour la rentrée de septembre 2004.
Il s’agit là d’une action volontariste et politique du Conseil Général au service de l’éducation et de la modernisation des outils pédagogiques. D’ores et déjà un certain nombre d’applications sont enregistrées : cours intégralement assumés avec les ordinateurs portables, élaboration de sites web, montage de projets scientifiques notamment en liaison avec le CNRS, création de site intranet, etc.
Le Conseil Général a mis en place un site scientifique qui permet à l’ensemble de la population des Bouches-du-Rhône de mesurer les appropriations, de partager les pratiques et les expériences, de tisser des collaborations multi latérales.
FJ – Peut on parler d’efficacité pédagogique du dispositif ? A t on des outils pour la mesurer ?
JE- Oui on peut très clairement parler d’efficacité pédagogique du dispositif. Bien entendu il convient de laisser du temps au temps pour permettre une appropriation pleine et entière de ce formidable outil. Deux instances ont été créées pour assurer un bon développement et l’évolution de ce dispositif :
– Un comité de concertation, placé sous mon autorité, et co-présidé par le Recteur d’Académie. Cette instance assure les représentations institutionnelles et réalise la conduite politique générale en concertation avec les divers partenaires
– Un comité scientifique, placé sous la responsabilité d’une conseiller général, particulièrement centré sur les contenus, les usages et l’évaluation du dispositif
Par ailleurs, un comité de pilotage, interne au Conseil Général, est chargé essentiellement des questions logistiques, administratives et techniques.
Ce comité est une instance d’expertise, de proposition et d’instruction technique des dossiers et projets concernant le domaine des usages éducatifs et culturels des technologies de l’information, il est exclusivement composé de scientifiques ou d’experts en ce domaine.
Il convient de préciser que dans l’esprit du Conseil Général, les choses sont claires et c’est ce qui explique peut être la réussite de cette première étape cruciale de l’installation : le Conseil Général s’attribue une obligation de moyens (l’équipement en ordinateurs, câblage, ressources humaines, ATI) l’Etat a seul, via le ministère de l’éducation et les enseignants, la responsabilité de la pédagogie. Le Conseil Général s’interdit donc formellement toute intrusion ou intervention dans la définition des contenus ou l’opportunité de leur choix, même s’il aide financièrement à leur acquisition par les établissements.
FJ- Comment ont réagi les enseignants, l’institution éducation nationale ?
JE- Si l’on en juge au résultat, la réaction des enseignants et des communautés éducatives (parce que la position du Conseil Général a bien été expliquée) est très positive. A ce jour plus de 97 % des établissements publics et privés de notre département ont adopté le dispositif, 32 000 collégiens et professeurs de 4ème sont en possession de leur ordinateur portable, les 130 ATI ont été recrutés et fonctionnent d’ores et déjà sous l’autorité du principal dans les communautés éducatives.
Le Recteur d’Académie, avec lequel nous entretenons de bonnes relations, comme l’Inspecteur d’Académie ont été certes un peu » bousculés » par notre initiative mais très vite ils ont décidé d’accompagner l’opération et un vrai travail collectif a été mené en y associant toutes les organisations syndicales d’enseignants ainsi que les fédérations de parents d’élèves. Lors de la présentation du premier bilan voilà quelques semaines, l’Inspection Académique a déclaré : » auparavant l’informatique était relativement réduite. D’une manière générale son usage était généralisé en cours de technologie et volontaire dans les autres disciplines. Aujourd’hui, les Bouches-du-Rhône sont en tête toutes catégories des départements pour l’informatisation des collèges. C’est sans doute la première fois au monde que cela se fait à une telle échelle « .
FJ- Un des grands enjeux des ENT c’est de savoir qui décidera des contenus éducatifs. Dans les Bouches-du-Rhône, comment seront-ils définis ? Allez vous distribuer un budget à chaque établissement à charge pour lui de choisir les contenus ou sélectionner les mêmes contenus pour tous les collèges ?
JE- La finalité profonde d’Ordina 13 est d’évoluer vers une véritable ENT. Le Conseil Général n’est pas, ne souhaite pas être et ne sera pas un acteur de la pédagogie dans les collèges. Il n’a donc pas de contenu à proposer. Sur ma proposition, le Conseil Général a adopté le vote d’une enveloppe d’un million d’euros pour permettre les acquisitions de contenus souhaités et dotés au niveau de chaque chef d’établissement.
Nous sommes d’ailleurs dans ce domaine très surpris de voir que le gouvernement face à une expérience de cette ampleur, unique en Europe, (avec une collectivité qui a débloqué pour cette seule année plus de 52 millions d’euros), ne soit pas à la hauteur de l’enjeu. Sorti des grandes déclarations formulées sur l’éducation numérique, le ministère de l’éducation n’a fait état que d’une enveloppe légèrement supérieure à 100 000 euros pour permettre aux collèges du département l’acquisition de contenus. Nous avons pour notre part des ambitions plus grandes pour l’éducation et le manifestons concrètement par ce dispositif.
Nous laisserons pour les financements que nous octroyons une liberté totale à chaque chef d’établissement pour sélectionner les contenus utiles au projet pédagogiques du collège.
FJ- Un département peut-il mettre beaucoup d’argent dans l’achat de contenus pédagogiques ? Comment allez vous financer cela ? Que pensez vous du risque d’inégalité entre départements dans la mise en place des ENT ?
JE- Votre question est très importante mais néanmoins théorique. Le Conseil Général des Bouches-du-Rhône ne se contente pas d’affirmer que l’éducation est une priorité, il le prouve dans les faits. Il s’agit donc d’une priorité politique. Je précise que le financement d’Ordina 13 ne se fait pas par redistribution des autres budgets de l’éducation, notamment ceux de la construction des établissements, de leur rénovation, de la maintenance ou des politiques éducatives qui toutes sont en augmentation chaque année. Nous ne partageons pas en cela les orientations gouvernementales qui pénalisent l’éducation au profit d’une politique sécuritaire qui dégage des budgets pour construire des prisons et pas des écoles. Il y a un vrai risque d’inégalités, comme vous l’avez souligné, entre différents départements face à l’ENT. Il appartient à l’Etat de compenser financièrement en aidant les territoires les plus pauvres et pourquoi pas à partir d’une dotation pour l’éducation numérique. Il s’agit la d’un élémentaire souci de solidarité au niveau de la nation et d’un investissement minimal pour préparer l’avenir.
FJ- Plusieurs départements limitent leur utilisation du réseau à des taches de gestion (inscriptions, matériels etc.), Pourquoi les Bouches-du-Rhône font-ils plus ?
JE- Peut être parce que la communauté éducative, les élus de gauche du Conseil Général (il faut préciser que les élus de droite ont voté contre le projet Ordina 13) ont vocation à être un modèle un peu à l’avant garde, qu’il s’agisse de l’intégration, de l’éducation et de bien d’autres domaines certainement.
FJ- Pensez vous faire bénéficier les parents des avantages de gestion liés au réseau ? Par exemple mettre en ligne des résultats scolaires ? Jusqu’où peut on aller dans la transparence ?
JE- C’est évident ! ! Depuis plusieurs années les institutions de l’éducation, les parents d’élèves, les syndicats d’enseignants et le Conseil Général travaillent ensemble pour l’élaboration des politiques publiques d’éducation des Bouches-du-Rhône.
Ordina 13 a d’ailleurs été, dès l’origine, présenté comme une expérience devant se dérouler également hors temps scolaire et donc sous la responsabilité et sous l’autorité des parents d’élèves. Le Comité de pilotage que je préside réfléchit en ce moment à une implication forte par le biais de la formation notamment des parents d’élèves pour l’appropriation des technologies de l’information pour l’éducation. Il n’appartient pas au Conseil Général de définir jusqu’où peut et doit aller la transparence, nous faisons confiance aux enseignants et aux parents d’élèves, qui ont en la circonstance les mêmes intérêts pour définir les limites qu’ils s’assignent.
FJ- Ordina 13 montre un réel engagement pédagogique du département. C’est rare. Comment situez vous le département comme acteur pédagogique ? Est il légitime dans ce rôle ou l’assume t il par suite de l’affaiblissement des autres acteurs ?
JE- Je vous ai répondu concernant la pédagogie, il est évident que le Conseil Général des Bouches-du-Rhône assume cet engagement et qu’il le situe par rapport à un affaiblissement sans précédent des moyens humains, techniques, pédagogiques mis à la disposition des enseignants par le gouvernement actuel.
FJ- Quels développements dans le futur pour Ordina ?
JE- La visée d’Ordina 13 c’est bien évidemment la notion de collège numérique, de collège intelligent. C’est la mise à disposition des classes sociales les moins aisées d’outils technologiques encore chers afin que la fracture sociale ne pénalise pas le développement et la réussite des enfants des familles les plus modestes mais c’est aussi à terme la volonté de rétablir au collège une nouvelle centralité dans la société afin de l’innerver et de permettre pour la plus grande partie de la population, une appropriation massive, pertinente des technologies de l’information et de la communication.
Janine Ecochard
Entretien : François Jarraud
Le site d’Ordina 13 :
http://www.ordina13.com