Il s’agit d’une étude de cas effectuée dans le cadre de notre thèse à l’Université Paris 5 au laboratoire EDA » Education et Apprentissages « . Les enseignants interviewés dans le cadre de notre recherche ne constituent pas un exemple caractéristique de tous les professeurs français de sciences physiques au lycée, mais des cas particuliers. Notre recherche porte sur une communauté virtuelle d’enseignants qui communiquent dans deux listes de diffusion et nous considérons les interactions des enseignants dans le cadre des ces listes construisent un travail collectif important pour l’évolution des leurs pratiques et de leurs rôles.
Quelques aspects méthodologiques
Le premier outil méthodologique de cette recherche est constitué par la sélection quelques messages envoyés par les enseignants de sciences physiques dans les deux listes de diffusion suivantes du Ministère de l’Education : (i) la liste TPE-TICE qui concerne l’introduction des TPE dans l’enseignement secondaire, qui se trouve à l’adresse : http://listes.educnet.education.fr/wws/info/tpe-tice ; (ii) la liste PHYSCHIM qui concerne l’enneigement de sciences physiques, qui se trouve à l’adresse : http://listes.educnet.education.fr/wws/info/physchim. Le deuxième outil méthodologique est constitué par les 26 entretiens semi-directifs effectués avec les enseignants de sciences physiques abonnés à au moins une des deux listes de diffusion étudiées. Nous faisons l’hypothèse que les listes de diffusion TPE-TICE et PHYSCHIM sont des communautés virtuelles d’enseignants et leurs archives constituent des éléments fondateurs de la communauté. Le contenu des messages envoyés par les enseignants dans ces deux listes peut nous fournir de précieuses informations à propos de leurs nouveaux rôles et de leurs nouvelles pratiques en classe.
Quelques aspects théoriques
Selon CASTELLS (2002, p.164), les réseaux en ligne peuvent engendrer de véritables communautés ; des communautés certes virtuelles, différentes en cela des communautés physiques, mais pas nécessairement moins fortes ou moins efficaces pour maintenir un contact. D’après BELL (2001, p.99), les communautés en ligne sont considérées comme des organismes destinés à remplir l’espace qui n’est pas rempli par les communautés traditionnelles. Le même auteur ajoute que pour les communautés virtuelles, Internet peut devenir un lieu de détérioration, un endroit pour reconstruire l’identité collective, voire une patrie numérique imaginée (BELL, 2001, p.21).
Tout aussi essentiel dans les environnements d’apprentissage virtuels, comme les listes de diffusion, est le fait que les enseignants – apprenants peuvent travailler ensemble pour découvrir de nouveaux univers de pratiques tout en gardant l’entière responsabilité de leur apprentissage et de leur autoformation. Dans ces conditions, le groupe joue un rôle de soutien (HENRI et LUNDGREN-CAYROL, 2001, p.6). Ces auteurs pensent que : » au fil des échanges et des travaux du groupe, l’apprentissage se réalise par la discussion, le partage, la négociation et la validation des connaissances nouvellement construites « . En conséquence, il est possible d’utiliser l’approche suggérée par PORTER (1986, p.43) selon laquelle : » une lecture critique du discours d’une communauté peut être la meilleure manière de la comprendre « . Dans l’espace de communication de listes de diffusion existent les » offreurs et demandeurs » (PORTELLI, 1995) qui sont en même temps formateurs et formés par la production des messages, des demandes, des projets ou des intentions. Les enseignants élaborent alors un discours dans les listes de diffusion disciplinaires dans le but de rendre intelligible, communicable leur expérience et leur pratique professionnelle.
Quelques résultats
En ce qui concerne les réponses d’enseignants de sciences physiques interviewés sur l’utilisation des listes de diffusion TPE-TICE et PHYSCHIM, ils estiment que ces listes constituent une aide considérable pour les nouveaux programmes et soulignent qu’elles limitent l’isolement de l’enseignant. Pour eux, il s’agit d’un partage important de savoir et savoir-faire. De plus, les enseignants de notre recherche ont le sentiment de » se rassurer » en utilisant ces listes de diffusion, en lisant les questions et les réponses des abonnés (KALOGIANNAKIS, 2003). Les professeurs interviewés utilisent les listes de diffusion pour échanger des idées avec leurs collègues, pour poser des questions et avoir des réponses, discuter, partager des pratiques et limiter leur isolement grâce à ce contact virtuel. A ce propos, un enseignant mentionne : » ça permet à des collègues qui ont besoin de l’expérience des autres de les avoir assez rapidement « . Il est évident que la mutualisation des pratiques constitue pour les professeurs interviewés un aspect très important de l’utilisation des listes de diffusion. Souvent le professeur de sciences physiques se sent isolé dans son lycée et éprouve le besoin de communiquer avec ses collègues pour régler les problèmes qu’il rencontre, ou simplement pour discuter de sujets qui le préoccupent. Fréquemment, les réponses des collègues aux différentes questions qu’il pose lui donnent davantage d’assurance pour les pratiques qu’il utilisera avec ses élèves. Il a en outre l’impression d’aider lui aussi ses collègues en répondant aux diverses questions posées dans les listes de diffusion et, parallèlement, il pense qu’il trouvera à son tour les réponses adéquates aux questions qu’il pourra poser dans l’avenir.
Un autre élément très important mentionné par plusieurs enseignants interviewés est la participation aux listes de diffusion de personnes » ressources » des concepteurs des programmes de physique dans le groupe d’experts du GEPS (Groupe d’Experts pour les Programmes Scolaires), anciennement appelé GTD (Groupe Technique Disciplinaire). Comme le note précisément un enseignant interviewé : » c’est vraiment extra pour un enseignant d’être en relation directe avec ceux qui ont réfléchi en profondeur sur les programmes, qui ont fait les documents d’accompagnement. On n’est pas en relation seulement avec les professeurs, on est en relation avec ceux qui ont fait les programmes, et ça c’est essentiel. C’est vraiment utile, des fois quand on lit un programme on peut avoir des interrogations et là on peut discuter entre collègues sur l’interprétation des programmes, mais l’idéal c’est d’avoir l’avis de celui qui a créé le programme « .
Le professeur de sciences physiques n’est plus l’unique détenteur du savoir, et son rôle semble changer. Il est désormais pour ses élèves un collaborateur et un guide (KALOGIANNAKIS ET CAILLOT, 2003). Comme le souligne précisément un enseignant interviewé : » l’enseignant n’est plus considéré comme le détenteur du savoir et la bibliothèque ambulante qu’on peut interroger de façon simple. […] alors que l’on ne connaît pas forcément tous les domaines de sujets que les élèves peuvent être amenés à choisir, donc notre rôle est plutôt de leur conseiller comment naviguer dans une gigantesque base documentaire et essayer un petit peu de s’y retrouver et d’être critiques et sélectifs « . Toutes aussi caractéristiques au sujet des rôles de l’enseignant de sciences physiques se révèlent les positions suivantes : » c’est plus un rôle d’animateur qu’un rôle de celui qui a le savoir et qui le donne aux autres « . Pour un autre interviewé, le professeur de sciences physiques n’est plus une autorité en classe : » de plus en plus, je dirai qu’on garde le rôle d’un enseignant, mais à une époque on était vraiment l’autorité, dans la classe, qui donnait le savoir, alors qu’aujourd’hui on est un animateur qui va permettre aux élèves d’aller chercher le savoir. On n’est plus celui qui fournit, on est celui qui guide vers l’information « .
En guise de conclusion
Nous admettons, comme le souligne un enseignant interviewé, que les listes de diffusion constituent t un véritable réseau pédagogique dans une autre dimension, c’est de la maïeutique de Socrate. Plus précisément cet enseignant mentionne que: » c’est un véritable réseau pédagogique, oui, mais dans le sens à ce moment-là de la véritable maïeutique de Socrate, c’est-à-dire de faire émerger dans l’esprit d’autrui des idées sans lui montrer qu’on est le maître. C’est vraiment ça, pour moi l’enseignement, c’est une maïeutique, un accouchement. Et la liste de diffusion, c’est aussi un peu ça, c’est-à-dire qu’on fait émerger par nos questions chez nos collègues des tas de réflexion, des questions qu’ils ne se sont jamais posées. « .
Michail KALOGIANNAKIS
Docteur – Université René Descartes – Paris 5
Laboratoire Education & Apprentissages (EA 3626)
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mkalogian@noos.fr, mkalogian@hotmail.com
Bibliographie
BELL, D., 2001. An introduction to cybercultures. London : Routledge. 246 p.
CASTELLS, M., 2002. La galaxie Internet. (trad. Chemla, P.) Paris : Fayard. 367 p.
HENRI, F. ET LUNDGREN-CAYROL, K., 2001. Apprentissage collaboratif à distance. Canada : Presses de l’Université du Québec. 184 p.
KALOGIANNAKIS, M., 2003. Information and Communication Technologies in class practice: a case study of secondary physical sciences teachers. Welsh Journal of Education (Special Issue on ICT), 12, 1, 64-74.
KALOGIANNAKIS, M. ET CAILLOT, M., 2003. Les enseignants de sciences physiques face à l’innovation (TICE et TPE). In Albe, V., Orange, C. et Simonneaux, L. (Eds), Actes des 3èmes Rencontres Scientifiques de l’ARDIST : Recherches en Didactiques des Sciences et des Techniques : Questions en débat, 29-36, Toulouse : France.
PORTELLI, P., 1995, Un réseau d’échanges réciproques de savoirs : un lieu de pratiques sociales d’autoformation individuelle et collective ?, Education Permanente, 122, 1, 63-78.
PORTER, J.-E., 1986. Intertextuality and discourse community. Rhetoric Review, 5, 34-47