Dossier spécial
« We do not have tanks or rockets, but we have something superior—our exploding Islamic human bombs, explique à Nasra Hassan ce membre d’Al Qassam. In place of a nuclear arsenal, we are proud of our arsenal of believers »
Apparus au Liban en 1983, les attentats-suicide se sont multipliés depuis vingt ans. Chaque année marque un nouveau record. Les économistes et les politologues nous aident à comprendre leur logique.
¤ Contrairement à une idée reçue, il n’y a pas de relation directe entre la religion et les attentats-suicide. Ainsi, les « suicide-bombers » du Sri Lanka n’étaient pas religieux, pas plus que les kamikazes japonais de la WWII ; la loyauté au groupe, le ressentiment et l’endoctrinement (qu’il soit nationaliste, religieux, ou idéologique) suffisent à garantir dans certaines circonstances historiques une offre quasi-illimitée de martyrs — « Our biggest problem is the hordes of young men who beat on our doors, clamoring to be sent », dit un dirigeant du Hamas. De même, il n’y a pas de relation directe entre la pauvreté, ou l’éducation, et les attentats-suicides. Par exemple, les membres du Hamas et du Hezbollah sont moins pauvres et mieux éduqués que la moyenne, et c’est encore plus vrai des « suicide-bombers ».
¤ Fondamentalement, les attentats-suicides relèvent du champ des conduites rationnelles. Leur multiplication s’explique par leur redoutable efficacité : ils font en moyenne quatre fois plus de victimes que les autres attentats terroristes. Pour Ayman Zawahiri, le second de Ben Laden, ce type d’opérations constitue « the most successful way of inflicting damage against the opponent and the least costly to the mujahideen in terms of casualties ». L’objectif est de terroriser les opinions publiques de certaines nations démocratiques (Israel, Turquie, Sri Lanka, Etats-Unis…) pour amener leurs dirigeants à réviser leur politique. Avec succès parfois, comme au Liban où les attentats-suicides perpétrés par le Hezbollah ont conduit les américains à battre en retraite en 1983. La société israélienne, qui a connu depuis deux ans quelques dizaines de « 11 septembre », serre les rangs derrière ses dirigeants ; mais, selon Sheik Yassine, le leader spirituel du Hamas, la stratégie de la terreur devrait finir par payer : « les israéliens seront bientôt à genoux ; déjà, la peur est partout ». Car « les israéliens aiment la vie », explique cet autre leader du Hamas, et c’est là leur faiblesse ; par contraste, dit-il, le « shaheed » palestinien accueille la mort avec « un sourire joyeux ».
¤ L’offre de « martyrs » étant pratiquement illimitée, c’est seulement sur la demande qu’on peut agir, celle des organisations commanditaires. La préparation d’une opération-suicide suppose en effet des cadres locaux, des instructeurs, des passeurs, des artificiers, des logeurs, des agents de repérage, des collecteurs de fonds, des donateurs… Toute une infrastructure de militants que ces organisations ont su attirer dans leurs filets, notamment en offrant à la population toutes sortes de biens publics de base : services d’entraide et d’assistance, de santé, d’éducation, de police… De façon générale, les organisations terroristes prospèrent là où l’Etat est absent.
Selon Suleiman Abu Gheith, le principal porte-parole d’al Qaeda, « Those youths that destroyed Americans with their planes, they did a good deed. There are thousands more young followers who look forward to death like Americans look forward to living. » Il est possible que l’Amérique et l’Europe aient bientôt à affronter une épidémie d’attentats-suicide…
Références (en anglais) :
¤ Education, Pauvreté et Terrorisme
Education, Poverty and Terrorism: Is There a Causal Connection? par Alan Krueger et al. (Princeton) :
http://www.wws.princeton.edu/%7Erpds/downloads/krueger_maleckova_education_poverty_political.pdf
Evidence About The Link Between Education, Poverty and Terrorism Among Palestinians, par Claude Berrebi (Princeton) :
http://www.princeton.edu/~cberrebi/edu-pov-terror.pdf
¤ Socio-économie des sectes religieuses
« The Market for Martyrs » par Laurence Iannaccone (George Mason Univ) :
http://gunston.doit.gmu.edu/liannacc/Downloads/Iannaccone – Market for Martyrs.pdf
¤ La logique stratégique des attentats-suicide
The Strategic Logic of Suicide Terrorism by Robert A. Pape, University of Chicago, American Political Science Review juil. 2003 :
http://danieldrezner.com/research/guest/Pape1.pdf
¤ Organisations islamistes et offre de biens publics
Elie Berman (UC san diego) : “Hamas, Taliban and the Jewish Underground: An Economist’s View of Radical Religious Militias”,
http://econ.ucsd.edu/~elberman/tamir.pdf
The Logic of Suicide Terrorism by Bruce Hoffman, director of the Rand Corporation’s (Atlantic Monthly) :
http://www.theatlantic.com/issues/2003/06/hoffman.htm
¤ Enquête sur les attentats-suicides palestiniens :
Une remarquable enquête à Gaza : An arsenal of believers, by Nasra Hassan – Talking to the « human bombs. » New Yorker, 2001-11-19 :
http://www.newyorker.com/fact/content/?011119fa_FACT1
¤ Une synthèse :
Suicide terrorism (Economist special report) :
http://www.economist.com/printedition/displayStory.cfm?Story_ID=2329785