Dossier spécial
Café: M. Hannequart, vous êtes président de l’ADEAF. D’après vous, où en est l’enseignement de l’allemand en France?
JM H: Il est clair que le déclin se poursuit. Les chiffres sont sans appel : en l’espace de trente ans, le pourcentages des élèves apprenant l’allemand a été divisé par deux en première langue, par trois en seconde langue. La prépondérance de l’anglais en LV1 s’est renforcée et l’espagnol s’est imposé en seconde langue.
Café: Combien d’élèves apprennent aujourd’hui l’allemand en première et en deuxième langue?
JM H: 7,65 % apprennent l’allemand en LV1 et 12 % en LV2, ce qui fait un total d’environ 900 000 d’élèves germanistes en France.
Café: Quels niveaux et quelles régions sont les plus touchés par cette tendance?
JM H: Le déclin concerne tous les niveaux. En même temps on observe des disparités régionales grandissantes : 3 élèves sur 4 sont germanistes dans l’académie de Strasbourg, et parmi ceux-ci, 71% le sont depuis la sixième. Un élève sur deux a choisi l’allemand dans l’académie de Nancy-Metz, plus de un sur trois dans celle de Besançon. On trouve ensuite trois académies (Lille, Amiens, Dijon) avec une proportion de 20 à 30% de germanistes. Les académies parisiennes, l’ouest et le centre se situent entre 15 et 20%, et tout le sud de la France en dessous de 15%.
Café: Comment expliquer cette érosion de l’allemand ?
JM H: Très schématiquement, on peut dire qu’il y a quatre raisons majeures:
D’abord la stratégie du choix de l’allemand pour être dans une bonne classe ne joue plus.
Ensuite les Français sont hélas peu sensibles à l’enjeu de l’apprentissage des langues et se satisfont de l’anglais comme lingua franca. La réalité des échanges économiques est ignorée par le grand public.
Certes, l’image de l’Allemagne est moins négative que par le passé, mais notre voisin d’outre Rhin ne suscite souvent que de l’indifférence (cf enquête de l’OFAJ : 70% des élèves n’associent spontanément rien à l’Allemagne). L’Allemagne est peu présente au niveau culturel en France.
Et puis,l’image de l‘enseignement de l’allemand et de la langue allemande reste souvent rébarbative.
Café: Mais comment échapper à cette spirale négative ? Y a-t-il encore de l’espoir?
JM H: Oui, il y a toujours de l’espoir mais mieux que ça: des mesures concrètes permettraient d’inverser la tendance.
Il faut d’abord maintenir l’objectif de diversification dans le primaire parce que la France ne peut à la fois défendre la francophonie et imposer l’anglais comme seule langue en primaire.
D’autant plus que l’expérience montre que le choix du tout anglais n’incite pas les élèves et leur famille à une diversification ultérieure. L’allemand, seule autre langue présente sur tout le territoire en LV1 est le garant de cette diversification. Les liens privilégiés qui unissent nos deux pays justifient cette position particulière de l’allemand. Offrir l’anglais dès la sixième aux élèves qui font un autre choix en primaire est incitatif.
Ensuite, il faut introduire là où l’on ne peut pas proposer l’allemand en primaire (secteurs ruraux) l’allemand dès la sixième parallèlement à l’anglais. Les classes bilangues ouvertes à la rentrée 2002 et à la rentrée 2003 rencontrent un grand succès et constituent pour l’allemand un positionnement intéressant.
Mais encore, il faut mieux promouvoir l’allemand: d’abord par la mise en place d’une véritable information sur les langues assurée par l’institution. Cette information prévue par Jack Lang n’a jamais été organisée et la brochure élaborée par l’ONISEP en 2002 (« un atout pour nos enfants : les langes vivantes ») n’a jamais été diffusée. Or si l’on veut une véritable diversification, il faut aller à l’encontre des représentations collectives et éclairer le choix des familles. L’ADEAF a proposé d’instituer une semaine des langues avec réunions d‘information dans les écoles, distribution d’une brochure sur les langues, etc.. Dans ce cadre, l’allemand pourrait faire valoir ses atouts qui sont nombreux (cf argumentaires sur le site de l’ADEAF – http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/allemand/adeaf/).
La journée franco-allemande du 22 janvier doit aussi fournir l’occasion de promouvoir l’apprentissage de la langue de notre partenaire, ainsi que le stipule la déclaration signée lors du 40ème anniversaire du traité de l’Elysée par les responsables français et allemands. L’Allemagne s’y attache en lançant le 22 janvier 2004 une grande campagne pour l’apprentissage de la langue allemand (cf www.FplusD.de), la France n’a encore annoncé aucune initiative. L’ADEAF sera reçue début janvier au Ministère de l’Education nationale et abordera entre autre la question des mesures envisagées par le gouvernement français pour honorer ses engagements. Les gouvernements français et allemands se sont par exemple engagés en octobre à Poitiers à augmenter de 50% dans les 10 prochaines années le nombre des élèves apprenant dans chaque pays la langue du partenaire.
Café: Et les professeurs d’allemand dans tout ça? Quel sera leur rôle?
JM H: Les professeurs d’allemand doivent bien sûr apporter leur contribution à l’amélioration de la situation en donnant plus que par le passé une image attractive de l’Allemagne et de l’allemand. Ils disposent d’alliés efficaces : l’institut Goethe et l’Office franco-allemand pour la jeunesse qui leur proposent des outils précieux. Les nombreux appariements, les échanges, notamment de moyenne et longue durée, sont autant d’atouts pour les germanistes. Ils disposent également avec des sites comme Le Café pédagogique, le site de l’ADEAF, FplusD et bientôt Deutschfans ( http://www.deutsch-fans.com) d’une foule de documents actuels, de conseils pour renouveler leur enseignement.
Il y a mille et une raisons de donner à l‘allemand dans le système éducatif une place plus en rapport avec l’importance des relations politiques et des échanges culturels entre nos deux pays.
Entretien : K. Goldmann