SPL – Le système éducatif français donne l’impression un peu paradoxale d’une grande uniformité dans sa structure générale et d’une très grande variabilité, lorsque l’on s’intéresse à son fonctionnement réel dans les établissements et les classes. Vous avez beaucoup travaillé sur ce que l’on appelle les effets-établissements, les effets-classes et les effets-enseignants. Qu’en retirez-vous ?
OC- Ce que vous désignez comme un paradoxe n’en est pas un. Il est vrai que l’on a un système centralisé, uniformisé, avec des programmes nationaux, des personnels enseignants et non enseignants recrutés par concours selon des modalités très normalisées. Va-t-on observer pour autant les mêmes choses partout ? Non bien sûr, car on ne doit pas faire abstraction de la relation pédagogique, de l’établissement, de l’ensemble des variables individuelles, d’âge, de sexe, de milieu socioprofessionnel des élèves et du cumul de toutes ces données. Ce n’est pas a priori paradoxal. Le système est uniforme mais le milieu est hétérogène. Il n’y a donc rien d’extravagant à ce que les effets du système soient différents d’un lieu d’application à l’autre. L’égalité des moyens ne garantit pas l’égalité des résultats. Cependant, il est normal que l’attention se concentre sur l’inégalité des résultats et que l’on s’interroge sur ses causes.
L’enseignant est l’une des causes de cette variabilité des effets.
Oui, en partie. Alors même que les enseignants sont sortis du même moule, on sait qu’ils n’enseignent pas de la même façon, qu’ils n’ont pas les mêmes exigences, les mêmes indulgences, les mêmes intentions ni la même rigueur. Les différences que l’on observe sont très importantes. Certains font mieux réussir leurs élèves que d’autres. Il faut insister là-dessus.
Or, l’enjeu est important car, malgré les réformes, malgré les effets notables de l’introduction de nouveaux outils, dont l’informatique et Internet par exemple, malgré l’évolution des méthodes, l’échec scolaire perdure et continue de toucher un nombre important d’élèves. Pour donner un chiffre, 15% d’une génération environ n’obtient ni un CAP, ni BEP, ni un baccalauréat. Si l’on ajoute à cela l’orientation par défaut et ceux qui ont des difficultés sérieuses, on voit donc que l’échec demeure une réalité encore très présente. Il est évidemment abusif de dire que les enseignants sont pleinement responsables de l’échec scolaire, pour autant on ne peut pas dire que leur rôle soit neutre dans ce processus.
Où le problème se situe-t-il pour vous ?
L’une des caractéristiques du système éducatif français est qu’il est ambitieux. Il demande beaucoup aux élèves et, par conséquent, il en exclut un nombre important. Dans leur livre sur le niveau scolaire (Le niveau monte, Le Seuil, 1989) Baudelot et Establet avaient avancé une idée qui a fait scandale à l’époque, celle d’un SMIC culturel. Cette idée me semble toujours d’actualité alors même qu’il est très difficile d’en parler.
La question est la suivante : qu’est-ce que les élèves doivent savoir
à la fin du collège ? Quel est le minimum qu’ils doivent posséder ? C’est
un objet de controverse. Je suis favorable à la clarification de ce que doit
être un savoir minimum de la scolarité obligatoire. Faute de quoi, on ne saura
jamais ce que l’on attend des élèves. Les arguments qui sont opposés à
cette demande de clarification sont souvent des arguments de mauvaise foi. Le
fait de définir un minimum, qu’il s’agisse de salaire ou de connaissances,
n’empêche évidemment pas qu’il y ait des salaires et des niveaux
scolaires supérieurs. C’est même le contraire. Ce que l’on gagne
en raisonnant à partir d’un minimum, c’est de pouvoir raisonner
et agir de façon positive, c’est-à-dire en ajoutant, en augmentant, et
non plus, comme on le fait de façon caricaturale dans le système français, en
partant du maximum, c’est-à-dire des compétences requises pour être polytechnicien,
puis centralien… En grande partie, on a au contraire un système qui procède
par élimination. C’est-à-dire qu’on évalue moins un élève en fonction
de ce qu’il sait qu’en fonction de ce qu’il ne sait pas. Par
exemple, tout le monde sait bien que les élèves orientés vers les filières professionnelles
ou technologiques y vont parce qu’ils sont estimés trop faibles pour garnir
les bancs de l’enseignement général.
Les choses évoluent et pourtant rien ne change. C’est cela ?
Oui, c’est un peu cela. On est face à l’école dans un double sentiment. D’un côté une extraordinaire évolution, de profondes transformations ; par exemple on est passé en 20 ans de 30% de jeunes au niveau bac à 60%, on a créé les ZEP, et beaucoup d’autres dispositifs de lutte contre l’échec scolaire, prouvant ainsi que le système a une forte capacité à bouger, à s’adapter. Et en même temps, on a le sentiment qu’on ne peut rien faire. Voila un vrai paradoxe. On n’a jamais autant parlé de crise alors qu’en même temps le système scolaire est certainement plus adapté à notre société et plus ouvert.
Pensez-vous qu’il y existe une voie pour un changement positif du côté de l’autonomie des établissements ?
Si on regarde en arrière, on voit que l’idée d’autonomie des établissements se concrétise en 1982 avec l’arrivée de la gauche et les lois de décentralisation. L’idée était de donner des marges d’action aux établissements. C’est une bonne idée. Malheureusement, elle s’est nourrie d’une illusion qui a provoqué ensuite de très fortes déceptions. Les réformateurs ont cru qu’il existait une demande d’autonomie dans les établissements et qu’il suffisait d’ouvrir la porte, de permettre l’autonomie pour qu’aussitôt les projets affluent, qu’ils foisonnent. Mais rien de tel ne s’est produit. Or, cela n’avait pas été anticipé. Rien n’avait été préparé puisque tout le monde était convaincu que les choses allaient advenir d’elles-mêmes. On le voit bien avec les projets d’établissement : régulièrement, l’Inspection générale déplore que dans 70% des cas environ, ces projets ne sont pas ceux de l’équipe éducative mais de la direction et d’une poignée d’enseignants qui sacrifient à une obligation de routine. On a donc des lois qui permettent, qui rendent possible, mais pas de dispositifs d’incitation concrets. Si les enseignants et l’ensemble des acteurs (CPE, documentalistes, service médicaux…) étaient sensibilisés au projet d’établissement, s’ils étaient encouragés par des dispositions concrètes à y prendre part et, surtout, s’ils y étaient formés alors peut-être l’autonomie des établissements aurait quelques chances d’être autre chose qu’une possibilité non exploitée. Par ailleurs, il faut bien voir que la culture de l’évaluation est, elle aussi, très pauvre. Il n’est pas rare de voir des actions engagées sans que jamais la question de l’évaluation ne pose réellement. Il y a là un autre obstacle à l’autonomie des établissements puisque finalement dans bien des cas les acteurs s’y sont engagés, mais ils ont eu aussi très vite le sentiment de s’épuiser car ils n’avaient jamais la possibilité de percevoir et d’évaluer les bénéfices de leur investissement.
Olivier Cousin
Entretien : Serge Pouts-Lajus