« L’objectif de ce séminaire est de s’interroger sur un enjeu au coeur de la stratégie de Lisbonne : l’amélioration qualitative et quantitative de l’investissement européen en éducation et formation, afin d’accroître la croissance et la compétitivité des pays de l’UE ». Sur ce programme, le Centre d’analyse stratégique (CAS), un service du premier ministre, organise ce 30 janvier un « séminaire fermé ».
D’autant plus fermé que le CAS appelle à réviser fortement les objectifs de Lisbonne et que cette révision a à voir avec le développement du système éducatif. Il faut rappeler qu’il y a 7 ans, le Conseil européen de Lisbonne a fixé comme objectif à l’Europe celui de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi ». Pour cela le conseil a demandé d’accroître la qualité des systèmes éducatifs et d’investir dans l’éducation.
Un document préparatoire, en date du 23 janvier, critique ces orientations et les remet en question. » Si le consensus politique et opérationnel ayant fait de l’éducation-formation une priorité de la Stratégie de Lisbonne ne saurait être contesté, il apparaît que nombre d’éléments relatifs à la mise en œuvre de cette stratégie méritent d’être réexaminés. Sur le plan économique, il semble en particulier indispensable de préciser le discours global visant à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde », dès lors que les pays de l’UE ont et auront aussi besoin de travailleurs peu qualifiés et non directement concernés par cette « nouvelle économie »…. Sur le plan financier, il semble enfin souhaitable d’adopter une approche globale conduisant à identifier plus finement les modalités du partage des coûts entre autorités publiques, ménages et entreprises, dans un souci d’améliorer l’efficacité et l’équité des systèmes d’éducation-formation ».
Le document rappelle que « la stratégie de Lisbonne cherche à élever le niveau de formation et la structure des qualifications, en soulignant que l’Union européenne souffre d’une qualification insuffisante de sa main-d’œuvre 6, dans un contexte où la demande de travailleurs qualifiés augmente fortement « . Or pour les auteurs, » selon une analyse prévisionnelle des besoins de main-d’œuvre à horizon 2010 dans l’UE 10, la création nette d’emplois concernerait l’ensemble des qualifications, et ne se cantonnerait pas aux seules professions de niveau élevé. Les services constitueraient la principale source d’emplois et, malgré la progression des emplois à forte intensité cognitive, il subsisterait une forte demande d’emplois peu ou moyennement qualifiés ». C’est d’ailleurs la prévision que le CAS a fait pour la France en 2015 : le nombre d’emplois d’aide soignants, d’aides à domicile, de manutentionnaires, d’employés de maison augmenterait fortement.
Du coup pourquoi fabriquer des diplômés ? Pour le CAS cela ne ferait qu’accélérer leur déclassement. Le CAS a d’ailleurs prévu jusqu’en 2015 une quasi stabilité des sorties sans diplôme et des diplômés en France.
L’étude pose aussi la question du financement de l’éducation et conclue à la nécessité d’augmenter el financement privé y compris celui des ménages. » Aujourd’hui en Europe, ils sont assez peu sollicités de manière directe, nonobstant l’exception de pays comme le Royaume-Uni ou la Grèce. Pourtant, une large réflexion est désormais menée afin de voir à quelles conditions on pourrait les impliquer davantage ».
Le document intervient donc dans le débat déjà lancé de l’inflation scolaire. Pour les chercheurs du CAS le système éducatif doit aligner ses objectifs sur les besoins d’une économie qui consommera beaucoup de peu ou pas diplômés. La démarche met en évidence une forte cohérence entre une vision sociale et économique du proche avenir et une prévision pour l’Ecole. Si la société a bseoin de moins de diplômés il est clair qu’il faut désinvestir dans le système éducatif et/ou en changer la structure pour le rendre plus efficace.
A cette argumentation, les adversaires répondent en proposant la construction d ‘une économie différente, basée sur l’innovation. Et ils peuvent s’appuyer sur le fait que c’est aujourd’hui l’objectif affiché des pays européens. Et c’est aussi celui qui est proposé fin décembre par la Commission américaine sur les compétences de la main d’œuvre américaine. Celle-ci, particulièrement influente dans le pays, appelle à investir dans l’éducation ( Un bon niveau en anglais, en maths, en technologie et en science aussi bien qu’en littérature, histoire et arts, sera essentiel. Les futurs salariés devront être à l’aise avec l’abstraction, bons en analyse et en synthèse, avoir un bon sens créatif, savoir s’organiser eux-mêmes, être capables d’apprendre vite… et de s’adapter ». Concrètement il propose d’augmenter le nombre d’étudiants et pour cela de développer l’éducation préscolaire pour relever le niveau des enfants de milieu défavorisé.
Faute de pouvoir observer les débats de la commission fermée, on retiendra donc l’importance de ces discussions pour le système éducatif et les jeunes. Si les experts du Cas ont raison alors il vaut mieux diminuer le budget du système éducatif pour l’investir ailleurs. S’ils ont tort, ils auront creusé l’écart entre l’économie française et les économies galopantes du reste du monde. Ils auront pas contre contribué au maintien du statu quo social.