Après une matinée consacrée aux stéréotypes, discriminations et injures, le colloque « Lutter contre l’homophobie dès l’école primaire », organisé par le SNUIPP le jeudi 16 mai à l’Hôtel de Ville de Paris, abordait en seconde partie les questions de relations amoureuses, de familles et d’éducation à la sexualité. Des thèmes qui ne vont pas sans difficulté : l’évocation des sentiments amoureux (quels qu’ils soient) suscite parfois chez les petits des réactions de dégoût, le modèle traditionnel de la famille reste dominant dans les idées, en dépit de la diversité des situations réelles, et l’éducation à la sexualité, après le grand moment d’urgence de la prévention du SIDA, semble un peu tombée dans les oubliettes du monde éducatif. Des enseignants et des représentants d’associations sont venus apporter leur éclairage sur ces points, avant la conclusion de la rencontre par Michel Teychenné. Chargé par le Ministre d’un rapport sur les discriminations LGTB, rendu en avril, il a évoqué les propositions encore en cours d’arbitrage qu’il a avancées. De l’avis général, le monde éducatif est prêt à évoluer en profondeur sur les questions de LGTB-phobies, mais ne pourra le faire sans un cadrage institutionnel clair et le soutien d’une formation adaptée.
Les drôles d’histoires d’amour de la littérature enfantine
Les enseignants venus évoquer leur expérience du travail contre les discriminations auprès des très jeunes publics (maternelle) ont témoigné de la richesse de la littérature enfantine pour aborder les questions par le biais des sentiments et de l’amour. Le Baiser de la Lune, de Sébastien Watel, dont la diffusion a fait polémique, qui raconte les amours contrariés de deux petits poissons, mais aussi Tango a deux papas, de Béatrice Boutignon, contant l’histoire de deux pingouins manchots qui couvent un œuf et élèvent ensemble un petit, ou encore Papa porte une robe, de Piotr Barsony, où un papa boxeur est amené à remplacer une danseuse, tous ces ouvrages pleins de poésie permettent de déplacer en douceur les repères normatifs et de susciter la discussion de manière libre et ouverte. Les réactions négatives sont rares, expliquent les enseignants, et les enfants s’intéressent au vécu des personnages. Il n’en reste pas moins délicat, quand on déconstruit les stéréotypes, de mettre les enfants en regard de leurs familles, de la dissymétrie de la répartition des tâches et des rôles : ils s’aperçoivent qu’elle n’est pas toujours très équitable, remarque une enseignante. Mais c’est aussi la condition pour les amener à prendre conscience des schémas classiques et de la possibilité d’en transgresser l’ordre implicite.
Les relations familiales sous le joug de la normalité
Du côté des associations, Nathalie Mestre, présidente des Enfants de l’Arc en Ciel – L’asso !, qui s’adresse aux familles homoparentales, souligne l’importance d’approcher ces thématiques dès le début de l’école : les enfants qui vivent avec des parents de même sexe sont eux aussi à l’école dès 3 ans et le sentiment de rupture avec le discours scolaire, pour eux, intervient très tôt. Essayer de faire attention aux schémas véhiculés par les discours et les attitudes courantes permet aussi d’épargner les enfants de foyers monoparentaux (qu’en est-il de la consigne « dessine ton papa », pour beaucoup de ces enfants ?). De nombreux témoignages semblent aussi montrer que le sentiment homosexuel s’éveille à un âge précoce ; surveiller ses propres automatismes, dans la pratique enseignante, permettrait d’épargner leur affectivité naissante. L’association Contact, qui réunit depuis 20 ans des parents d’homosexuels, rappelle combien la révélation de l’orientation sexuelle entraîne de rejet par le milieu familial. L’augmentation des demandes d’intervention par des collèges, voire des écoles primaires, contredit clairement l’idée qu’il serait « trop tôt » pour en parler dès le primaire.
Un rapport commandité par le Ministère à paraître en juin
L’expérience des associations dans l’intervention en milieu scolaire pourrait être d’une aide précieuse à l’Éducation nationale pour la formation des enseignants, remarque Michel Teychenné, mais elles ne peuvent pas se substituer au rôle des personnels éducatifs. Leurs interventions touchent 2,6% des élèves, ce qui est beaucoup à leur échelle et faible pour l’ensemble de la population scolaire. Le problème est pourtant important et sensible : le débat sur le Mariage pour tous a mis en évidence les vieux démons de certaines mentalités et la lutte contre les discriminations LGTB n’en apparaît que plus urgente.
Le taux de suicide directement lié à ce problème est 3 à 4 fois plus élevé chez les filles et de 7 à 10 fois chez les garçons, rappelle Michel Teychenné. Environ 170 sur les 600 morts annuelles par suicide de jeunes garçons en seraient la conséquence directe. Sans évoquer en détail les propositions qu’il a remis au Ministre, et dont les résultats devraient être publiés en juin, Michel Teychenné en évoque les grandes lignes : sensibiliser les enseignants et leur donner une formation suffisante pour les assurer dans leur action, serait le premier point, avec le problème des formateurs aptes à guider ce travail sur soi de déconstruction de préjugés ancrés, qui pose de réelles difficultés. Vient ensuite l’information auprès des jeunes, qui pourrait s’intégrer dans le cadre de la morale laïque, au titre de l’application des valeurs de la République. Un travail à l’égard des CDI, dans la mise en commun des ressources et des pratiques (« beaucoup de choses existent déjà »), et un renforcement des partenariats avec les associations serait utile, sans oublier de faire évoluer aussi le rôle du Ministère de l’Éducation nationale comme employeur au regard des droits des personnels. La mise en place de dispositifs de dialogue permanents entre chercheurs et association, de dispositifs de recherche universitaires qui font cruellement défauts sur ces sujets, permettraient de travailler sur la prévention, et pas seulement sur le harcèlement et la violence. « Mais ces travaux universitaires existent ! s’insurge un jeune homme dans le public. Ils ne trouvent pas de financement ! »
Dans un contexte économique et politique difficile, dans un climat tendu par des revendications conservatrices, les intentions du Ministère pour progresser dans la lutte contre les discriminations LGTB à l’école ne risquent-elles pas d’en rester au niveau des intentions déclarées ? Pour Michel Teychenné, entre 200 et 300 000 enfants sont directement concernés, répartis dans toutes les classes de tous les établissements. La loi sur le mariage pour tous change la donne : elle fait obligation de les accueillir dans les mêmes conditions que les autres. Le statu quo est en ce sens impossible.
Jeanne-Claire Fumet