Par Jeanne-Claire Fumet

Revivre la Première guerre, analyser la structure tridimensionnelle des protéines ou théâtraliser le métier de serveur : l'imagination éducative en grande forme. C'est ce qu'ont vécu la centaine d'enseigna,ts sélectionnés pour participer au Forum des enseignants innovants de Dax, les 4 et 5 juin. Trois exemples…

Pour sa troisième édition, le Forum fourmillait de propositions nouvelles et inattendues. Si toutes ne pouvaient pas être primées, toutes manifestaient une ingéniosité et une créativité éducative. Rencontre au hasard des allées...

Sandrine Ferrer enseigne le français au Collège de Hagetmau dans les Landes. Avec ses élèves, elle s'est penchée sur la Première Guerre mondiale pour constituer un «Monumérique » qui fasse revivre ce passé déjà lointain à travers la matière vive de ses traces encore sensibles. Après des recherches aux Archives départementales et l'étude d'affiches de l'époque, les élèves ont mené l'enquête sur des documents familiaux et se sont efforcés de recueillir la parole de personnes âgées. Ils se sont plongés dans la vie des tranchées, entre autre avec la pièce de théâtre (scandaleuse en son temps) de Pierre Chaine, « Mémoires d'un rat », mais aussi par la lecture des lettres envoyées du front par un jeune poilu mort à vingt ans, Joseph Gracy. Grâce à l'auteur d'une édition critique de ces lettres, ils ont pu approcher ces lettres, depuis la boîte usée où elles dormaient depuis la guerre jusqu'au décryptage des passages codés (censure oblige). Émus par cette vie rencontrée, ils ont eux-mêmes écrits les réponses que ces lettres n'ont peut-être jamais reçus. Cette correspondance imaginaire et les dessins saisissants qui l'accompagnaient ont été choisis pour représenter ce travail au Forum.

Dans un tout autre domaine, Carole Garcia, jeune professeur de SVT au Lycée Jehan de Beauce à Chartres, a décidé de familiariser ses élèves de 1ère scientifique avec les mystères des grands laboratoires de recherche scientifique. Un peu comme dans un feuilleton policier, en moins spectaculaire peut-être mais beaucoup plus fascinant que sur un manuel, les élèves ont eu l'occasion de mener des démarches expérimentales réservées en principe aux étudiants de haut niveau : le matériel requis est à la pointe de la technologie. Avec l'aide de l'Université de Chartres, du CNRS et de l'institut de recherches Synchroton Soleil (1), les lycéens ont fait leurs premiers pas dans la cour des grands. L'occasion de découvrir quel sens peuvent avoir les études scientifiques, quand elles permettent d’accéder à des métiers aussi passionnants que méconnus.

(1) http://www.synchrotron-soleil.fr/

Dominique Coudert exerce un enseignement peu familier du public : professeur de restaurant, il prépare ses élèves aux métiers du service en salle et de la sommellerie au Lycée technique hôtelier Guillaume Tirel à Paris (14ème). Les élèves qu'il reçoit ont souvent un passé scolaire difficile : « Ils m'arrivent bien abimés, quelquefois. J'essaie de les convaincre que le métier qu'ils vont apprendre est aussi beau que celui d'acteur, dont il a toutes les qualités : je leur apprends à devenir des serveurs-acteurs, pas des serviteurs. Image de soi, posture, maîtrise de la voix et du geste, il faut apprendre à se tenir bien et à se mettre en scène sans ostentation ni gène, en plus d'acquérir les savoirs nécessaires au métier. Ce qui implique de maîtriser en profondeur son rapport à soi-même et aux autres. Dominique Coudert dit avoir trouvé sa méthode presque par hasard : à un groupe d'élèves difficiles, il achète un jour des masques blancs pour leur permettre une distance avec leurs personnages et calmer leurs nerfs à vif. Le dispositif fonctionne mieux qu'espéré : les élèves se sentent « tous pareils » disent-ils, l'agressivité s'apaise et la timidité s'efface un peu. Dominique Coudert va alors développer une méthode intuitive originale, fondée sur des situations théâtrales et des jeux de rôles pour amener ses élèves à sortir de l'ornière éducative. Dernière innovation : il propose désormais à ses collègues d'évaluer les élèves dans une prestation scénique qui met en œuvre les savoirs à vérifier. Et l'expérience lui a confirmé l'efficacité de ce détour pédagogique intelligent - ce qui lui a valu le Prix du détour pédagogique au Forum. Mais peut-être la qualité la plus précieuse de sa démarche tient-elle dans la volonté déterminée de restaurer pour ces jeunes gens une authentique estime de soi.