Si un mot peut résumer le 10ème séminaire de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP), une association qui regroupe des acteurs de l’éducation prioritaire, c’est bien le mot confiance. Ce 2 décembre, l’OZP s’interroge sur la confiance que l’on peut accorder au ministère sur la poursuite de la politique d’éducation prioritaire lancée depuis 2013. Pour Marc Douaire, le président de l’OZP, »la question de la continuité est un enjeu majeur pour la réussite de l’éducation prioritaire ». Intervenant dans le séminaire, Patrick Picard (Ifé) souligne « qu’il faut mettre au second plan le laboratoire et au premier plan l’observatoire et le conservatoire ». Une réflexion qui fait sens face aux injonctions « scientifiques » venues de la rue de Grenelle…
L’éducation prioritaire à la veille de la réforme de sa carte
L’éducation prioritaire c’est aujourd’hui 1076 réseaux et un élève sur cinq. 7% des écoliers et collégiens sont scolarisés en Rep+ : à 75% ils sont issus de catégories sociales défavorisées. 13% sont en Rep avec 60% de CSP -. Depuis 2013 une nouvelle impulsion a été lancée avec la naissance des REP et une réforme pédagogique : référentiel, moyens de formation importants, temps dégagé pour le travail en équipe. En 2017 le candidat Macron a semblé vouloir continuer sur la lancée promettant par exemple une prime de 3000 € aux enseignants des Rep+ pour rendre ces postes attractifs et casser le turn over permanent qui fragilise les établissements.
Alors que le ministère s’apprête à revoir la carte de l’éducation prioritaire en 2019, Marc Douaire, président de l’OZP, prend ses marques lors du 10ème séminaire de l’OZP. Dans la salle, une centaine d’acteurs de l’éducation prioritaire : chefs d’établissement et directeurs, mais aussi formateurs, coordonateurs, référents, conseillers pédagogiques, syndicalistes.
» La question qui est posée est celle de la volonté ou non du nouveau ministre de poursuivre et d’accentuer la politique de refondation de l’Education prioritaire engagée en 2013/2014, après la consultation nationale sur l’Ecole de 2012. En d’autres termes, encourager, accompagner, renforcer l’action engagée depuis des années par les réseaux au nom du pragmatisme et de la bienveillance… Ou bien tenter de déconstruire insidieusement les orientations politiques , les évolutions professionnelles, les innovations pédagogiques , comme cela a été pratiqué en 2010/2011 en remplaçant sans évaluation les RAR par Eclair, au nom du dogmatisme idéologique et de la défiance ». 2010-2011 c’est le moment où JM Blanquer est numéro 2 du ministère…
L’OZP est inquiet devant certains signes envoyés par le ministère. Comme » la déconstruction brutale du dispositif Plus de maîtres que de classes » ou des déclarations officielles ambigües. Le dédoublement des classes de CP et CE1 en Rep+ et Rep voit son horizon repoussé entre les propos du ministre et ceux du président. La prime de 3000 € promise aux enseignants des Rep+ est repoussée à plus tard. Pour M Douaire, » la question de la continuité est un enjeu majeur pour la réussite de l’éducation prioritaire ».
Le laboratoire et la classe
Patrick Picard (Centre Alain Savary , IFé) marque lui aussi ses inquiétudes. Surtout face aux injonctions formatrices du ministère. « On me dit que des méthode sont fait leurs preuves et qu’il suffit de les répandre mais je sais que l’évaluation sérieuse faite par E Gentaz sur Agir pour l’école dit que cette méthode ne montre pas de supériorité ». Un rapport de l’Inspection générale a montré son inadaptation à l’école en 2013. Mais Agir pour l’école est vantée dans « L’école de demain » de JM Blanquer et mise en avant dans le discours officiel depuis l’arrivée de JM Blanquer. « Ce n’est pas parce que les chercheurs inventent quelque chose que la transposition donne des résultats »
Ce fil, P Picard va le dérouler tout au long de son exposé. Il montre « qu’il ne suffit pas de prescrire le changement de pratique. Il faut comprendre ce que la nouvelle méthode a besoin d’impacter ». S’appuyant sur les travaux d’Anthony S Brink, et sur un dossier de l’IFé, il affirme que ce qui compte c’est « comment on engage les acteurs » et donc « comprendre comment les gens font ce qu’ils font ». D’où l’importance de l’observatoire parce que « le travail réel est plus difficile que ce que postule la recherche ». Pour lui, « il faut mettre au second plan le laboratoire et au premier plan l’observatoire et le conservatoire « . Le changement impose qu’on s’intéresse vraiment au travail des acteurs.
Un exemple : le déploiement des CP à 12
C’est aussi cette exigence qui sera portée dans les groupes de travail. Ainsi celui sur la mise en place des CP à 12 montre que, si la réforme est accueillie positivement par les enseignants, on est loin de l’objectif du « 100% de réussite ».
Avoir réduit l’effectif a amélioré le climat de la classe et permet de suivre de plus près les élèves, disent les enseignants présents. Les petits parleurs peuvent aussi s’exprimer davantage. Mais les professeurs soulignent aussi l’attitude passive des élèves , enclins à attendre le professeur pour avancer. « Il prennent l’habitude d’avoir un adulte à disposition » explique un coordonnateur. D’autres soulignent la perte de dynamisme dans la classe. « Il n’st pas certain que cela enrichisse les approches pédagogiques », souligne une responsable syndicale. La mesure a aussi créé des tensions dans les équipes car les conditions de travail des professeurs de CP se sont améliorées mais pas celles des autres et parfois même au détriment de celles des autres.
Là aussi la question de confiance est posée. L’application des CP à 12 s’est faite en détruisant des dispositifs existants (maitres +, autres organisations). On oblige des enseignants à travailler ensemble dans la même classe de 24 élèves. Parfois le CP à 12 s’accompagne de l’interdiction du travail avec les autres classes.
Ce qui ressort de cette journée c’est la méfiance envers les injonctions venues d’en haut. Les enseignants et référents des réseaux d’éducation prioritaire veulent continuer le travail entamé. Or ils sont confrontés à des injonctions pédagogiques ou gestionnaires venues d’en haut. La publication des résultats de l’étude internationale PIRLS le 5 décembre pourrait bien s’accompagner de nouvelles consignes et ignorer le travail lent et patient réalisé sur le terrain.
Ce qui est déterminant
Marc Douaire rappelle les déterminants qu’elle a mis en avant pour la réussite de l’éducation prioritaire : nécessité de la labellisation, continuité tout au long de la scolarité de l’élève, transformation des pratiques professionnelles, reconnaissance des fonctions spécifiques qui sont apparues, partenariats éducatifs locaux.
Surtout il insiste sur deux points : la « sanctuarisation » des moyens dévolus à l’éducation prioritaire et du temps. « Le temps de la transformation est un temps long , souvent difficile, quelquefois incertain mais nécessaire pour conduire à la réussite les enfants des quartiers de relégation sociale. Ce temps ne saurait être celui de politiques, fondées, refondées puis abandonnées sans raison. »
François Jarraud