Le terme de scénario est habituellement connu par le cinéma et plus largement l’audiovisuel, milieux professionnels dans lesquels il définit même un métier et un objet. Les expressions de « préparation de cours », ou encore de « fiche pédagogique » ou même de « progression », de « séquence pédagogique » sont les termes habituellement employés dans le monde de l’enseignement. Depuis plusieurs années, le développement de logiciels d’enseignement sur ordinateur et de l’enseignement à distance avec des moyens numériques a amené à reconsidérer les termes employés et indirectement à introduire le terme de scénario ou celui de scénarisation dans l’enseignement. Désormais ce terme est devenu apparemment courant, comme on peut le penser en lisant le site de Canope ou encore le site du ministère de l’éducation qui proposent des scénarios pédagogiques de séances et de séquences.
Scénario et scénarisation
Et pourtant ce terme doit être mis en débat. En effet, il semble bien qu’il ne soit pas toujours bien compris. D’ailleurs dans des échanges récents avec des enseignants et aussi des étudiants de master, nous avons été amenés à préciser en les séparant, les notions de scénario et de scénarisation pédagogique. En effet si le premier représente un produit, le second présente un processus pouvant, ou non, amener à l’autre. Nombre d’auteurs ont écrits sur cette expression de scénario pédagogique. Si la scénarisation pédagogique est moins souvent évoquée dans le contexte scolaire, c’est parce qu’elle relève de « l’ingénierie pédagogique » ce qui pour beaucoup d’enseignant peut sembler ambitieux, décalé voire jargonnant.
Revenons à l’activité réelle de l’enseignant. Quand il prépare son enseignement il tente de décrire plus ou moins finement comment il va conduire son enseignement tout au long de l’heure ou des heures qu’il va assurer auprès des élèves. C’est là que débute la « scénarisation », on pourrait d’ailleurs parler de « mise en scène ». La trace de cette préparation devrait normalement expliciter la démarche et le déroulement de la séance voire de la séquence. Lorsque l’on consulte certains scénarios déposés sur Internet, on s’aperçoit que certains sont minutés. D’autres sont tellement détaillés qu’ils ressemblent à des scripts de cinéma. Pour le dire plus simplement on peut passer, selon les personnes, de l’expression la plus laconique du genre « chapitre 3 » à la présentation minutée de chacune des actions des élèves et des enseignants. Il y a de nombreuses sortes de présentation d’une préparation d’enseignement.
Le mythe de la machine à enseigner
Avec le développement de la formation à distance et les moyens numériques, l’ingénierie pédagogique a pris un tournant. Avec l’enseignement assisté par ordinateur, les équipes de conception de produits informatisés d’enseignement ont développé des méthodes de travail fortement inspirées du monde du cinéma, en particulier lorsqu’il s’est agi d’introduire le multimédia. Dès lors que l’apprenant est à distance, les concepteurs ont ressenti la nécessité d’organiser le guidage de ses activités. En effet si en présence c’est l’enseignant qui guide l’apprenant, à distance, Les concepteurs pensent qu’il faut organiser ce guidage en structurant les activités qu’il est amené à faire. C’est là qu’apparaît en premier et de manière la plus évidente l’idée de scénario. Rassurante cette idée l’est pour l’enseignant comme pour l’apprenant car elle donne l’impression d’un accord entre les deux.
Dans la salle de classe, les enseignants savent bien qu’un cours très « scénarisé » peut être totalement modifié en cours de route. Soit que le scénario est trop ambitieux, manque de justesse, soit le scénario est mis à mal par les incertitudes qui surgissent à chaque instant dans la salle de cours. La limite de ce processus de scénarisation c’est justement ce risque de modification en temps réel. Aussi insécurisant cela soit-il, c’est l’un des aspects les plus important de la professionnalité de l’enseignant. Cependant certains chercheurs ont pensé que l’on pouvait modéliser ces pratiques et éventuellement les systématiser ou encore les informatiser. Ainsi aurait-on pu découvrir les secrets d’une transmission au travers d’une observation fine des pratiques réussies et leur transposition dans la machine : c’est le mythe de la machine à enseigner.
Numérique et scénarisation
Un autre aspect qui pose problème dans ce questionnement est la prise en compte des contextes. Nombre d’enseignant ayant téléchargé tel cours, tel scénario, telle préparation se sont trouvé mal à l’aise de les faire vivre directement, tel quel, aux élèves. Outre le « ça ne marche pas aussi bien que celui qui a proposé la séance le dit, » il faut bien reconnaître que la scénarisation peut tout à fait cacher le contexte qui lui a donné naissance empêchant tout transfert. Ainsi cette enseignante innovatrice qui, après avoir présenté son scénario à d’autres enseignants qui n’entrent pas dans son enthousiasme déclare : « je ne comprends pas pourquoi ils ne font pas comme moi ! Car avec moi ça marche… ». De même que filmer et modéliser une pratique enseignante ne permet pas d’en faire un scénario universel, de même le récit et la mise à disposition par l’enseignant de son matériau ne permet pas de prédire sa transférabilité. Préparer un enseignement c’est faire œuvre d’assemblage, plus ou moins complexe, de ressources finalisées par les apprentissages promis aux jeunes concernés.
L’irruption de l’informatique dans la salle de classe oblige à anticiper. On rappelle ici le fameux « plan B » qui permet à l’enseignant de faire travailler ses élèves si les moyens techniques ne fonctionnent pas. Cette situation incite les enseignants à scénariser davantage leur préparation de cours d’une part à cause des contraintes propres aux supports numériques, d’autre part à cause des aléas de fonctionnement (difficultés techniques, compétences insuffisantes…). Il faut donc préparer un repli possible. Certains enseignants ont parfois même limité le recours aux technologies et donc scénarisé leur enseignement pour limiter au maximum les dysfonctionnements.
Passer de la préparation au scénario n’est pas essentiel ni indispensable. Il est nécessaire d’éviter de s’enfermer dans quelque chose de prévu alors que de l’inattendu risque de se produire. La scénarisation pédagogique est par contre à développer : l’objectif est alors d’inviter l’enseignant à identifier quelles sont les formes d’activités qui peuvent le mieux fonctionner en vue de l’apprentissage attendu. C’est en quelque sorte l’alignement pédagogique cher à Biggs (1999). Mais plus encore, il s’agit d’engager une réflexion sur ce qui permet d’apprendre telle ou telles notion, concept, compétence afin d’organiser l’enseignement. Laisser des lignes vides dans un scénario pédagogique, c’est aussi laisser de la place à des « divergences » : dilatation du temps lié à des approfondissements ou des renforcements, déplacement dans les contenus lié à des questions d’élèves
Bruno Devauchelle
Quelques ressources en complément