Elément clé de la stratégie de communication de JM Blanquer, le redoublement fait l’objet d’un projet de décret étudié le 14 décembre en conseil supérieur de l’éducation (CSE). Le CSE a voté à une large majorité contre le texte ministériel, fracturant d’une façon inattendue le front syndical.
Le retour du redoublement imposé par l’Ecole
« Autoriser le redoublement ce n’est pas un virage absolu mais c’est une inflexion importante ». JM Blanquer avait annoncé dans Le Parisien en juin 2017 le retour du redoublement, devenu « exceptionnel » par un décret de N Vallaud-Belkacem pris en 2014. Pour le ministre, « il n’est pas normal d’interdire le redoublement. Il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards. La première réponse réside dans l’accompagnement tout au long de l’année et dans les stages de soutien que nous créons. Mais le redoublement doit rester possible quand c’est dans l’intérêt de l’enfant ».
Selon le texte ministériel, le redoublement pourra être imposé par le conseil des maîtres « dans le cas où le dispositif d’accompagnement pédagogique mis en place n’a pas permis de pallier les difficultés importantes d’apprentissage rencontrées par l’élève ». Dans le second degré, c’est le chef d’établissement qui décidera dans les mêmes circonstances. Le texte ne mentionne pas la fin de cycle et c’est donc le retour du redoublement chaque année dans le second degré. Mais avant cette décision il faudra avoir proposé à l’élève un accompagnement pédagogique et avoir vérifié son inefficacité.
Quand Blanquer tourne le dos à la recherche…
La pratique du redoublement a fortement reculé depuis 2012, même si la France reste dans le peloton de tête des pays de l’OCDE en la matière. Quelques chiffres : en 2005 17% des élèves de 6ème avaient déjà redoublé. La proportion est tombée à 9% en 2016. En terminale, seulement un élève sur trois était « à l’heure » en1995 et 58% en 2010. En 2016 encore un gros quart des lycéens a redoublé au moins une année (27%).
Le retour du redoublement ne se justifie pas par des raisons d’efficacité. En 2015 le Cnesco a publié une étude exhaustive sur cette question. Elle conclue : « Dans la majorité des études », écrit le Cnesco, « le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme. Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises ».
Mais une pratique plébiscitée par les parents et les enseignants
Alors pourquoi cet acharnement à remettre en selle le redoublement ? Il y a le plaisir de détruire ce que N Vallaud Belkacem a mis en place. Il y a surtout le fait qu’enseignants et parents sont majoritairement favorables au redoublement.
En 2015, le Cnesco a pris l’initiative d’interroger 3302 collégiens et 2314 lycéens venus de 59 établissements sur leur rapport au redoublement. Selon cette étude, 69% des lycéens et collégiens se déclarent défavorables à la suppression du redoublement. Mais 80% voient dans le redoublement une seconde chance. 73% le jugent utile. Les redoublants gardent le souvenir positif d’une année d’efforts. » 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement ; 71 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’affirmation : « J’ai eu de meilleurs résultats l’année redoublée » », affirme l’étude.
Du coté des enseignants, Hugues Draelants a étudié de près, en 2012, le rapport qu’entretiennent les enseignants belges au redoublement. Pour lui, s’il se maintient contre vents et marées, c’est tout simplement parce qu’il a son utilité. « L’interdiction du redoublement au sein du premier cycle participe de fait avec d’autres mesures – instauration d’un droit de recours face aux décisions du conseil de classe ; complication de la procédure d’exclusion ; règles très précises aux refus d’inscription – à priver les établissements et les enseignants de leurs instruments de régulation ordinaire… Ainsi, l’attachement manifesté par les enseignants vis-à-vis du redoublement peut aussi se comprendre comme l’expression d’un groupe professionnel qui revendique le maintien de son autonomie et une certaine vision de ce que l’Ecole doit être ».
Le vote au CSE
En autorisant à nouveau le redoublement, le ministre choisit de tourner le dos à la recherche pour flatter l’opinion publique et satisfaire à peu de frais des attentes des professionels.
Présenté au CSE le 14 décembre, le projet de décret sur le redoublement a été rejeté par 41 voix contre regroupant le Snuipp Fsu, le Sgen,le Se Unsa et la Fcpe.Ont voté pour le texte le Snpden Unsa et le Snalc. Un amendement du Snpden a été retenu par le ministère : illimite à le redoublement à une seule fois sur la scolarité obligatoire; Au delà il faudra le feu vert du Dasen.
Un voeu présenté par le Snuipp a été adopté à une majorité encore plus large (47 pour 1 contre). Il demande qu’au lieu d’une mesure inutile et inefficace » soient apportées des réponses pour que l’école puisse prendre en charge la difficulté scolaire » grâce à » une baisse des effectifs par classe dans toutes les écoles, le rétablissement des RASED, le déploiement du plus de maîtres que de classes et une formation des enseignants au repérage de ce qui fait obstacle aux apprentissages à l’intérieur de la classe et à la construction de réponses pédagogiques adaptées ».
F Jarraud