Mind mapping, schéma heuristiques, cartes mentales, cartes conceptuelles, schéma conceptuels, concept map etc.… autant de dénominations qui recouvrent finalement une idée simple mais qui peut se traduire par des objets et des pratiques différentes. Dans les classes ces outils deviennent de plus en plus quotidiens, même si les uns et les autres n’en mesurent pas forcément les logiques, l’intérêt et les limites. L’idée simple, on peut la résumer en parlant de schématisation ou de représentation visuelle d’un objet, d’une situation… compliquées voire complexes. La notion sous-jacente est liée au travail d’un psychologue qui fut proche des théories de Piaget, David Ausubel (dans les années 1960). Les auteurs les plus connus sur ces questions sont J. Novak et T. Buzan. Si ce dernier est plus médiatisé du fait de son activité liée à une démarche commerciale, le premier est un chercheur qui, dès la fin des années 1970 a posé les bases de cette forme de modélisation, de représentation. Il nous faut cependant remonter à la notion de schéma ou plus simplement de représentation « imagée » de la réalité. Le schéma est une traduction de la réalité sous une forme graphique. A ce titre, il transforme la réalité pour la rendre différemment accessible que par l’observation directe. Cette forme supplée à l’absence de l’objet, mais aussi à la difficulté de comprendre un objet en n’en percevant que la partie externe.
Connaitre c’est catégoriser
Ce processus de simplification du réel par le schéma repose sur un processus psychique connu : la catégorisation. Les travaux de recherche en sciences cognitives ont mis en évidence ce principe. On va trouver aussi, avec le schème, un prolongement de cette catégorisation qui va renforcer le modèle. De Jean Piaget à Gérard Vergnaux la notion de schème est centrale dans le processus de construction de la connaissance. Le processus de connaissance permet à chacun de nous de s’approprier l’information et le savoir. C’est à dire s’intérioriser sous une forme que l’on nomme schème, les catégories que nous avons construites de l’expérience, de l’apprentissage.
La représentation sous forme d’une carte constituée de nœuds et de liens est illustrative de cette approche. Connaître ce serait constituer des catégories issues de la perception que nous avons des situations et de relier ces catégories entre elles par des liens. Ainsi le stockage en mémoire de ces schèmes pourrait trouver un écho dans l’organisation physique du cerveau en neurones et en liens entre ces neurones, les axones et les dendrites. Cependant dans le cerveau, il y a les synapses qui semblent jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement dynamique du cerveau. La représentation schématique atteint là ses limites. Cependant cette analogie avec le cerveau a amené à trois types de cartes dont les dénominations varient parfois d’un auteur à l’autre.
Les 3 formes
La carte mentale, la carte conceptuelle, schéma heuristique sont les trois formes de base de cette schématisation.
– La carte mentale se présente sous forme de réseau de mots reliés entre eux. Lorsque nous avons travaillé au début des années 1990 sur ces notions nous représentions les mots, termes ou expression sous forme de nuages ou plutôt de système, comme un planétarium. Rapidement les liens se sont imposés pour mieux représenter les proximités et les relations entre les mots. On est passé du planétarium au sociogramme (J.L. Moreno 1933) en quelque sorte. Cela rejoint la théorie de la systémie (Wiener 1946) et celle de la complexité (Morin 1982).
– La carte conceptuelle ajoute à ce premier modèle la qualification des liens entre les concepts. En qualifiant les liens, on profite aussi des enrichissements des sociogrammes de Moreno. On retrouve aussi la recherche d’une représentation formelle de la langue (sujet-verbe-complément, par exemple). La carte conceptuelle (logiciels Vue ou G-Mot, par exemple) est donc une amélioration de la carte mentale qui permet une lecture plus signifiante des liens entre les catégories, nommées ici concept (cf. les travaux de B.M. Barth). En qualifiant les liens, on peut aller vers l’idée d’une grammaire des relations et s’engager vers l’idée de carte sémantique.
– Le schéma heuristique se présente lui sous la forme d’une arborescence de notions (plus ou moins enrichies par des notes ou des photos et graphiques). La particularité de cette forme schématique, portée principalement par T Buzan, est de faire de l’arborescence la forme privilégiée de représentation. Cette forme renvoie aussi bien à la structure d’un texte, d’un récit, qu’à l’organisation des données dans les systèmes de stockage sur ordinateur (répertoires, sous répertoire etc.…). Plusieurs produits qui abordent en priorité cette forme proposent aussi de transformer cette schématisation arborescente en forme de diagramme de Gantt (conduite de projet), ceci indiquant que la forme hiérarchique proposée induit, oriente et parfois restreint la formalisation.
Les limites des schémas
A considérer les logiciels disponibles sur le marché on peut s’apercevoir que la plupart des plus avancés sur un plan technique permettent de choisir l’une des trois formes. Ainsi des logiciels comme « Inspiration »(c) ou « Xmind »(c) par exemple proposent-ils ces choix à la création d’une nouvelle carte. A l’opposé des logiciels graphiques plus traditionnels laissant la liberté à l’utilisateur permettent de fabriquer le même type de schématisation, mais n’offrent pas la même souplesse d’utilisation.
Après avoir effectué cette analyse, nous revenons ici à la question de la connaissance. Josiane Basque propose de parler plutôt de carte de connaissance. Passer de carte mentale, conceptuelle à carte de connaissance c’est renverser la logique de la schématisation en passant de l’objet de connaissance (et sa structure propre) au sujet qui construit ses connaissances (ses schèmes). Pour le dire autrement, l’intérêt de ces formes de schématisation c’est de penser la construction par celui qui apprend d’une carte qui met en évidence, pour lui d’abord, comment il comprend et comment il « catégorise ». En classe la construction d’une schématisation d’un objet d’apprentissage est une activité intéressante et qui permet de faciliter l’apprentissage. Toutefois, certains travaux (cf. A. Tricot) mettent en garde sur les limites de certains schémas, de photos et autres représentations visuelles. En effet la schématisation ne s’adapte pas à toutes les situations et certains élèves peuvent être perturbés par cette forme et sa mise en œuvre qui est peu habituelle pour certains. Cela peut freiner les apprentissages.
Une piste féconde
Les cartes mentales et autres sont à la mode. Elles séduisent beaucoup d’enseignants, en particulier les cartes hiérarchiques car elles structurent les objets de connaissance sous une forme assez proche de ce que l’on nomme « le plan » ou encore « le mode plan ». Elles sont aussi porteuses d’une dimension chronologique ou tout au moins d’une structure séquentielle qui permet à celui qui apprend de développer ses schèmes à partir de ses catégorisations. Le livre « Enseigner autrement avec le Mind Mapping » (2016) est une base sérieuse et assez complète pour qu’un enseignant puisse avancer sur ces questions. On pourra regretter que ce livre donne une place prépondérante aux cartes heuristiques et hiérarchiques (appelées ici cartes mentales – p.22) et ne développe pas davantage les cartes conceptuelles, leur usage et leur intérêt.
Sans pour autant affirmer l’effet magique que certains attribuent à ces différentes cartes, il faut souligner leur intérêt dans plusieurs situations différentes et en particulier pédagogiques. Une expérience personnelle de plus de vingt années, prolongée par des usages professionnels permet d’affirmer que dans le cadre d’un environnement personnel de travail et d’apprentissage, ce sont des produits et méthodes intéressantes et productives. Pour prolonger le questionnement et à nouveau l’élargir à la question des représentations visualisantes et schématisantes, on peut penser que la cartographie des connaissances appuyée sur les processus de catégorisation et de « mise en schèmes » est une piste féconde qui mérite d’être approfondie en allant au-delà des utilisations de surface. On peut aussi s’intéresser aux techniques de « sketchnote » comme pratique pouvant aussi développer cette approche graphique et visuelle de la construction des connaissances.
Bruno Devauchelle
Quelques ressources parmi tant d’autres :
– Pierre Mongin, Fabienne de Broeck, Enseigner autrement avec le Mind Mapping, cartes mentales et conceptuelles, Dunod (2016)
– Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander, L’analogie, coeur de la pensée, Odile Jacob (2013)
– Britt Mari Barth, L’apprentissage de l’abstraction, Retz (1987)
– Théorie qui soutend les cartes conceptuelles et la façon de les construire Joseph D. Novak, Université de Cornel (1990)
– Paola Rattu : La cartographie de la connaissance : quelle méthode de conception ?
Atouts, limites et perspectives théoriques et technologiques illustrés par une étude de cas. (2014)
– Josiane Basque, Béatrice PudelkoNote de recherche La modélisation des connaissances à l’aide d’un outil informatisé à des fins de transfert d’expertise (2004)
– Josiane Basque, Les cartes de connaissances en pédagogie universitaire (2013)
– Amaury Daele, Denis Berthiaume, Utiliser les cartes conceptuelles pour structurer les contenus d’un enseignement (2009)