La décentralisation a-t-elle augmenté les inégalités territoriales ? Instinctivement on pourrait penser que oui. Mais la thèse de Claire Duuy (La régionalisation sans les inégalités) montre, à travers les exemples de la France et de l’Allemagne, que ce n’est pas le cas. Malgré la grande différence de statut, les régions des deux pays ont évolué vers des politiques de plus en plus similaires entre régions. Tout juste sorti des presses, l’ouvrage est déjà bien repéré par les partisans de l’autonomie la plus large et de la mort du « mammouth ». Pourtant ce n’est pas par hasard si les politiques régionales se sont rapprochées. Et il reste à voir si les circonstances sont maintenant les mêmes ou si le vent tourne…
L’État un garant peu vigilant de l’égalité
Dans la tradition française, l’Etat est le garant de l’égalité entre les régions comme entre les citoyens. Et la décentralisation aurait du logiquement s’accompagner de la montée des inégalités entre régions, certaines disposant de davantage de moyens que d’autres.
Maitresse de conférences à Sciences Po Grenoble, Claire Dupuy a réuni difficilement des données statistiques et a mené des entretiens avec des responsables locaux ou nationaux en France et en Allemagne.
Sa première découverte c’est que l’Etat a été « un garant peu vigilant des inégalités territoriales ». Avant la décentralisation elle a pu calculer de forts écarts d’équipement scolaire entre les régions aussi bien en terme quantitatif que qualitatif. Le Nord Pas de Calais, par exemple, brillait par la mauvaise qualité des lycées. Avec la Provence, l’Aquitaine, Rhône Alpes, il était aussi sous doté en lycée. L’Etat laissait faire et dirigeait ses moyens vers d’autrs régions plus proches du pouvoir…
L’uniformisation des politiques régionales
La décentralisation menée énergiquement par le pouvoir socialiste au début des années 1980 est d’abord mal accueillie dans le monde enseignant et également par certains régions qui y voient une charge. Il faut dire que l’Etat laisse des lycées en très mauvais état.
Mais très vite, les régions vont relever le défi et aller même au delà de ce qu’exige la loi de décentralisation, passant des dépenses d’investissement et d’entretien à de vraies politiques éducatives.
Cette montée en puissance des pouvoirs régionaux ne s’est pas accompagnée de l’accroissement des inégalités, montre Claire Dupuy, statistiques en main. S’est imposée une certaine uniformité des dépenses (environ 740 € par élève) et une similarité des politiques éducatives (manuels gratuits, aides au transport etc.).
La paradoxe français c’est que la décentralisation s’est accomplie dans un pays très attaché à un système éducatif unitaire. Claire Dupuy montre que cela a conduit les politiques à aligner leurs politiques éducatives et à les dépolitiser.
La décentralisation garante de l’égalité ?
Faut-il en déduire, comme le font certain, que la régionalisation est la meilleure garantie de l’égalité en matière éducative ? Certainement pas. D’abord parce que l’égalité dont on parle est partielle. Il y a d’énormes inégalités de réussite scolaire entre les territoires, à toutes les échelles, les régions n’intervenant que sur des domaines très limités des politiques scolaires.
Ensuite parce que c’est la volonté de lutter contre les inégalités qui a forcé les régions à aligner des politiques qui naturellement auraient du s’écarter.
Enfin parce que ce beau mouvement semble mort. Depuis 2008 les écarts se creusent entre les régions en terme d’équipement comme le montre C Dupuy. D’une certaine façon les partisans très actifs de la régionalisation depuis l’alternance politique illustrent ce basculement.
François Jarraud
Claire Dupuy, La régionalisation sans les inégalités. Les politiques régionales d’éducation en France et en Allemagne., Presses universitaires de Rennes,2017, ISBN 978-2-7535-5682-9
Claire Dupuy : En Allemagne comme en France la régionalisation a produit la réduction des inégalités territoriales
Comment la décentralisation s’est elle mise en place dans l’éducation ? Pourquoi n’a t-on pas vu de croissance des inégalités ? Claire Dupuy revient sur les enseignements de sa thèse.
Quand la décentralisation a eu lieu vous dites que l’Etat laissait une situation très inégale et dégradée. C’est-à-dire ?
C’est une chose intéressante à observer car l’Education nationale se présente depuis longtemps comme un garant de l’égalité. Mais quand on regarde les données produites par le ministère, par exemple sur la qualité des bâtiments scolaires ou le nombre d’élèves par classe avant la décentralisation, on se rend compte que l’allocation des ressources entre les académies est très variable Et la variation ne s’explique pas par des besoins différents. Par exemple je montre dans le livre que les ressources données aux académies ne sont pas proportionnelles au nombre d’élèves.
En fait elles varient en fonction des ressources politiques des territoires à Paris. C’est ce qu’on a appelé le « jacobinisme apprivoisé ».
Mais qui veut vraiment la décentralisation dans les années 1980 ?
Au début le projet est porté par l’Interieur et l’Education nationale y est hostile. C’st le cas de l’administration centrale mais aussi des syndicats enseignants. Dans les régions cela dépend. A leur naissance elles n’ont pas d’expertise en éducation. Elles vont devoir créer des services de l’éducation. Certaines sont contentes, comme la Bretagne. D’autres, comme le Limousin, vivent le transfert des lycées comme un fardeau.
Au début de la décentralisation quel est l’état des lycées ?
Les procès verbaux de remise des locaux, les entretiens menés avec des responsables, un rapport de la Cour des comptes convergent pour dire que le parc immobilier était en mauvais état. Certaines régions comptaient de nombreux préfabriqués.
Au début il y a un flottement dans les régions ?
Non. Très vite dans les régions on s’est rendu compte de l’état des locaux scolaires. Et tout de suite elles ont commencé à investir massivement dans l’éducation allant au delà des dotations transférées par l’Etat. Cela aussi bien dans les régions pauvres que riches.
Par la suite , loin de produire de la divergence , les politiques régionales ont produit une homogénéité des politiques éducatives.
Un des mécanismes tient à ce que les régions font face à un Etat sceptique sur leur capacité à conduire de bonnes politiques et à des enseignants qui craignent la montée des inégalités. Les régions ont donc du montrer leur légitimité à intervenir dans le domaine éducatif. Les régions ont voulu montrer qu’elles réussiraient à faire ce que l’Etat n’a pas fait.
Elles sont allée splus loin que leurs obligations et elles ont produit des politiques éducatives qui se sont rapprochées. Il n’y a pas eu de course vers le bas mais plutôt vers le milieu.
Donc on peut avoir décentralisation et égalité ?
C’est clair pour la France. En Allemagne, dans une situation politique très différente, car les Länder sont seuls responsables de l’éducation, la régionalisation a produit là aussi la convergence des politiques publiques et la réduction des inégalités territoriales.
Ca ne veut pas dire que la régionalisation produit toujours la réduction des inégalités. Mais qu’en éducation, là où les valeurs d’égalité sont très partagées par les acteurs et par les électeurs, les exécutifs régionaux ont eu intérêt à mettre en place des politiques visnat à réduire les inégalités territoriales.
N’est-ce pas lié au fait qu’en France on ne connait qu’une fausse décentralisation, tant les compétences sont imbriquées ?
On peut dire que les acteurs nationaux n’ont rien fait pour intervenir dans les politiques régionales. Il n’y a pas eu d’intervention de l’Etat. Il y a eu une distinction nette entre ce qui relève de la région et le pédagogique qui relève de l’Etat. Et l’Etat n’a pas cherché à contrôler ce qui est dans la zone grise comme les actions éducatives régionales.
Faut-il aller plus loin dans la décentralisation ?
Je ne sais pas. Mais je peux dire qu’il n’y a pas d’opposition entre ce que font les régions et la politique nationale d’éducation.
Mais depuis 2008 on voit une hausse des écarts entre les régions…
Avec la crise les régions ont du rediriger leurs moyens vers d’autres secteurs que l’éducation avec l’arrivée de nouvelles compétences couteuses et des contraintes budgétaires. 2008 apparait bien comme un point tournant.
Propos recueillis par François Jarraud
Claire Dupuy, La régionalisation sans les inégalités. Les politiques régionales d’éducation en France et en Allemagne., Presses universitaires de Rennes,2017, ISBN 978-2-7535-5682-9