Peut-on arriver à un consensus sur une question qui est autant en rapport avec les inégalités sociales à l’Ecole que l’orientation ? Il semble que la Mission d’information sur l’orientation de la Commission de la culture du Sénat définisse des principes qui pourraient s’imposer. On relèvera par exemple la généralisation du lycée polyvalent, la définition d’un horaire dédié à l’orientation ou la publication des sources d’APB et Affelnet. Reste que aller dans cette voie c’est rencontrer à un moment ou à un autre la résistance des privilégiés du système éducatif…
Adopté à l’unanimité par la Commission le 29 juin, le rapport de la Mission d’information sur l’orientation veut revoir les procédures d’orientation. Mais, du coup, cela l’amène à toucher aussi à ses acteurs et même globalement au lycée.
Double langage ou point de vue ?
Que l’orientation fonctionne mal est devenu une évidence. Catherine Morin Desailly, présidente LR de la commission de la Culture, rappelle que le pays compte près de 150 000 décrocheurs dont la très grande majorité vient de l’enseignement professionnel. Dans un système éducatif élitiste, l’orientation relève du tri par l’échec davantage que du choix. « L’orientation est un couperet », dit Guy-Dominique Kennel, rapporteur LR de la Mission. Le rapport livre d’ailleurs des statistiques intéressantes. Par exemple le fait qu’un élève sur deux n’ait pas demandé à être en « service à la collectivité », « comptabilité « ou « secrétariat bureautique », des spécialités professionnelles tertiaires qui regroupent de forts contingents.
C’est que le rapport s’en prend en premier aux objectifs du système éducatif en matière d’orientation. Il dénonce la « valorisation excessive » de la réussite académique et le double langage du système éducatif qui affirme vouloir valoriser le professionnel mais fait tout pour augmenter les taux de passage en général.
Le rapport dénonce l’augmentation du taux de passage en S. Là le rapporteur minimise l’énorme développement de l’enseignement professionnel ces dernières années. C’est bien lui qui est la signature de ce début de siècle. De ce fait la question de la démocratisation manquée, qui est une question essentielle, disparait et c’est dommage…
Régionalisation des COP
Le rapport dénonce aussi la multiplication des acteurs concernés par l’orientation et leur absence de coordination. Il parle de « schizophrénie publique ». Pour lui , il faut confier l’orientation et les CIO aux régions. Les COP auraient le choix entre intégrer la fonction publique territoriale ou rester dans l’éducation nationale mais sur des postes de psychologues.
Dans le système scolaire, l’orientation doit être confiée aux enseignants qui bénéficient, rappelle le rapport, d’une prime pour rémunérer ce travail, l’ISOE. Tous les enseignants doivent, pour le rapporteur, y participer et pas seulement le professeurs principaux.
Cela amène le rapport à se prononcer pour un stage obligatoire des nouveaux enseignants en entreprise. Il préconise aussi l’entrée de professionnels dans les conseils d’administration des Espe et des établissements.
Une heure hebdo pour le Parcours Avenir
Pour le rapporteur, l’orientation ne doit pas « tomber comme un couperet » 3 fois dans la scolarité de l’élève mais être « un continuum ». Il recommande d’affecter un horaire fléché, d’au moins une heure hebdomadaire, de la 6ème à la terminale au Parcours Avenir. A l’issue de la 3ème, le rapporteur recommande de laisser le dernier mot aux parents sur la décision d’orientation.
Le rapport souhaite aussi introduire un stage en entreprise en lycée général et technologique. Quant au stage de 3ème il recommande de le diviser en 3 stages de découverte de 2 jours (au lieu d’un de 5 jours) afin de donner davantage de possibilités de découverte aux jeunes. La question des difficultés d’accès aux stages n’est pas évoquée alors qu’elle est essentielle.
Lycée polyvalent
Toute une partie du rapport s’intéresse à l’orientation dans la voie professionnelle. Le rapport relève qu’elle est le plus souvent subie. Le rapport veut revaloriser la voie professionnelle. Pour cela, il souhaite que le lycée polyvalent devienne la norme du secondaire long afin de lutter contre la stigmatisation. Il préconise aussi de retarder le choix de filière professionnelle à la fin de la 2de professionnelle, en développant des secondes pro non spécialisées. Il recommande aussi des passerelles du professionnel vers le général ou le technologique et la réduction du nombre de spécialités. Il recommande aussi la mixité des classes, avec le mélange d’élèves de statuts différents (sous statut scolaire ou sous contrat d’apprentissage par exemple).
Le rapport souligne le fait que la carte des formations ne dépend ni des besoins des entreprises ni des vœux des élèves. Il invite, suivant le récent rapport du Cnesco, à « redynamiser » ces cartes.
Le retour de la sélection
L’idée d’une sélection « juste » à l’entrée dans le supérieur, pour limiter l’échec est avancée par le rapport. Il demande la généralisation des commissions d’orientation du supérieur. Cette sélection permettrait « d’édicter des pré requis » pour entrer dans une filière. C’est une idée que le think tank proche du PS « Terra nova » a aussi avancée récemment.
Le rapport veut rendre la procédure d’orientation plus transparente en obligeant les filières à publier leur taux de réussite et aussi Affelnet et Apb à publier leur algorithme. L’idéal serait que la famille puisse « calculer son affectation », a dit GD Kennel. Pour lui c’est la solution au problème des formations « sous tension » comme les staps. Une autre solution serait de faciliter la mobilité du jeune qui pourrait aller étudier dans une autre région avec un soutien de l’Etat.
Un rapport qui minimise les inégalités
Le rapport a aussi ses lacunes. Si le rapport prend position pour la mixité sociale au lycée avec des lycées polyvalents au lieu de publics bien séparés, ses propositions pour lutter contre les inégalités dans la procédure d’orientation restent modestes. Car la question de l’orientation n’existe en fait que pour le public le plus modeste. Les autres se débrouillent très bien avec un système qui est taillé pour eux.
Par exemple, le rapport ne reprend pas la suggestion du Cnesco de relever le niveau en enseignement général des élèves du professionnel pour leur donner une véritable mobilité dans le système de formation. Il ne répond pas non plus aux difficultés pour les bacheliers professionnels de continuer des études dans le supérieur, par exemple en STS ou IUT.
La réponse à la question de l’orientation imposée, qui est majeure dans la voie professionnelle avant et après le bac, est vue mais les réponses sont modestes (« redynamiser » la carte des formations). Celle des inégalités de l’offre scolaire n’est pas traitée. Il se garde bien d’ailleurs de toucher à l’élitisme du système.
Un consensus sur l’après 2017
Le point le plus fort du rapport c’est de dessiner ce qui pourrait bien être un consensus sur la question de l’orientation. GD Kennel estime, avec raison, que sur bien des points les propositions du rapport vont se faire avant ou après 2017. C’est le cas de la régionalisation des CIO qui est « voulue par les régions ». Ou encore de la publication du code d’Apb, comme si elle suffisait à rendre la procédure lisible. Selon C Morin Desailly, T Mandon, secrétaire d’état à l’enseignement supérieur, y serait favorable.
Le retour d’une sélection officielle dans les filières sous tension du supérieur, voire dans le supérieur tout entier, a de bonnes chances aussi de s’imposer. Le récent ralliement de Terra Nova, proche du pouvoir, le montre. Il s’agit de mettre en place une sélection assumée en lieu et place des procédures numériques actuelles qui camouflent aujourd’hui les inégalités de fait du système. Ce sera probablement la première mesure de 2017.
François Jarraud