S’il est une matière qui trie et sélectionne dans le système éducatif français, ce sont bien les maths. Or une nouvelle étude de l’OCDE montre que les jeunes français ne sont pas égaux face aux maths. Rien à voir avec d’hypothétiques « dons ». L’OCDE montre que les inégalités face aux maths sont d’abord sociales. L’OCDE avance comme principaux facteurs une moindre exposition aux maths pour les élèves défavorisés, la constitution de classes de niveaux et l’orientation. Autrement dit des facteurs systémiques, liés à l’organisation du système éducatif.
L’inégalité des élèves devant les maths a fait l’objet de nombreuses études, notamment celles de la Depp (division des études du ministère de l’éducation nationale). La particularité des données extraites de Pisa par l’OCDE c’est qu’elles pointent le système éducatif et non les familles ou une supposée théorie des dons.
L’inégalité sociale face aux maths
« Les élèves favorisés sur le plan socio-économique et leurs pairs défavorisés ne bénéficient pas de la même exposition aux problèmes et concepts mathématiques à l’école », affirme l’OCDE en se basant sur les résultats de Pisa 2012. « Or l’exposition aux mathématiques a une incidence sur la performance… Les inégalités d’accès aux mathématiques restent d’une ampleur inacceptable ».
Ce que montre d’abord l’OCDE c’est que seule une minorité des élèves est familiarisé avec des concepts comme « moyenne arithmétique », « polygone » ou « vecteur ». En France les résultats sont moyens mais quand même 38 des élèves n’ont jamais entendu parler de « moyenne arithmétique » quand c’est 31% dans l’OCDE.
Sur le plan des inégalités la France fait figure de championne. Par exemple quand il s’agit de mesurer la familiarité avec le concept de « fonction du second degré » l’écart entre les élèves les plus favorisés et les plus défavorisés en France dépasse les 40 points alors qu’il est de moins de 30 pour la moyenne de l’OCDE et de moins de 10 pour des pays comme le Japon, le Viet Nam, la Corée ou l’Estonie.
Le facteur discipline
Pourtant tous ces élèves reçoivent la même durée théorique d’enseignement. Alors comment expliquer les écarts ?
L’OCDE avance plusieurs facteurs d’explication. D’abord il y a un écart entre le temps théorique d’enseignement et le temps réel à faire des maths. En France cet écart est particulièrement important pour les élèves défavorisés. Il est de 18 minutes par semaine alors que la moyenne de l’OCDE est de 7 minutes. L’écart s’explique en partie par les problèmes de discipline. « L’efficacité du temps d’instruction est étroitement liée à la qualité du climat de discipline en classe », note l’OCDE. Une autre étude de l’OCDE avait pointé que les élèves français sont parmi les moins disciplinés.
Les classes de niveau en accusation
Mais bien d’autres facteurs agissent. A commencer par le regroupement des élèves en classes de niveau. « Ce type de regroupement réduit les possibilités d’apprentissage des élèves les moins favorisés » estime l’OCDE. Selon l’OCDE, en France plus de 26% des élèves fréquentent un établissement dont le principal estime que l’hétérogénéité des aptitudes des élèves au sein des classes gêne beaucoup les apprentissages. La moyenne de l’OCDE est de 11%. Et ce genre de regroupement est nettement plus fréquent pour les élèves défavorisés que pour les autres.
Dans son travail sur les discriminations le Cnesco avait aussi souligné les effets négatifs des classes de niveau organisées dans les établissements. Mais celles-ci ne dépendent pas que des croyances des chefs d’établissement. Elles ont aussi en lien direct avec les stratégies des établissements face aux autres dans un système éducatif qui développe la concurrence. Pour l’OCDE, il faut « apprendre à gérer l’hétérogénéité des classes ».
L’orientation précoce aussi
Troisième facteur mis en avant , l’orientation précoce. Si en France l’âge moyen d’orientation est dans la moyenne de l’OCDE, on sait bien qu’à 15 ans les jeunes français peuvent être dans 3 types d’établissements différents : le collège, le lycée ou le lycée professionnels. La particularité française, soulignée aussi récemment par le Cnesco, c’est le décalage de niveau en maths des élèves orientés en lycée professionnel. » Pour garantir l’égalité des possibilités d’apprentissage des mathématiques pour tous les élèves, il conviendrait de repousser l’âge de la première orientation par filière », dit l’OCDE.
Faut-il un enseignement concret ou abstrait ?
L’OCDE s’est aussi posé la question des modes d’enseignement Par exemple, un enseignement plus théorique des maths fait il baisser le niveau ? Pour l’OCDE il n’en est rien. L’enseignement théorique (ou abstrait) des maths est lié à un bon niveau alors qu’un enseignement plus concret amène l’inverse. Mais l’enseignement théorique risque d’être très décourageant pour les plus faibles.
Or l’objectif premier c’est de ramener de la confiance dans l’enseignement des maths. » Les programmes de mathématiques, et les professeurs qui les enseignent, doivent trouver le juste équilibre entre l’offre de contenus plus stimulants et la nécessité de renforcer la confiance en soi des élèves et de diminuer leur anxiété vis-à-vis des mathématiques, en particulier chez les moins performants », écrit l’OCDE.
Conséquence : « les chefs d’établissement et les enseignants doivent utiliser la compétition et les classements avec parcimonie, dans la mesure où la confiance en soi des élèves en mathématiques est fortement influencée par la perception qu’ils ont de leur propre familiarité avec cette matière par rapport à celle de leurs pairs ».
La gageure c’est donc d’amener à un enseignement théorique tous els élèves. Pour l’OCDE il est important d’aller au-delà du programme et notamment de développer le sens de la stratégie mathématique. Cela peut passer par l’appel à des résolutions de problèmes qui sonnent comme des défis mathématiques.
« En cours de mathématique, l’utilisation de problèmes bien conçus et stimulants peut avoir une incidence considérable sur la performance des élèves ». En même temps, l’exposition des élèves à des problèmes complexes « peut avoir un impact positif sur les attitudes ». Il y a donc une dynamique délicate à mettre en oeuvre dans les classes pour aller au delà de l’adaptation au niveau des élèves.
Ecart culturel familial ou organisation de l’Ecole ?
Ainsi, si l’OCDE pointe aussi des facteurs pédagogiques dans les inégalités « inacceptables » de réussite, elle montre d’abord le poids des effets systémiques. Et c’est cela qui est neuf.
En 2015, la Depp avait publié une étude qui montrait que le décrochage de niveau entre favorisés et défavorisés se faisait au collège en maths principalement et beaucoup plus sur la mémoire encyclopédique des élèves que sur leur capacité à raisonner.
« Les résultats suggèrent que les écarts sociaux auraient tendance à se creuser davantage pour des épreuves construites à partir d’un contenu strictement scolaire », écrivaient Linda Ben Ali et Ronan Vourc’h. L’étude pointait la capacité familiale à avoir acquis cette culture scolaire (le vocabulaire des manuels scolaires par exemple) dans l’augmentation des inégalités sociales au collège. Les élèves des milieux populaires, les enfants immigrés comprennent aussi bien que les autres. Mais ils n’ont pas accès comme les autres à la langue de l’école.
=Cet enseignement reste valable et est une indication précieuse pour les enseignants. Le décrochage scolaire semble moins lié à des difficultés de compréhension qu’à une incompréhension du discours scolaire.
Mais l’étude de l’OCDE situe cette leçon dans un cadre plus général d’un système éducatif qui est conçu pour trier et ne pas donner pas le même enseignement à tous. La vraie bosse des maths est systémique.
François Jarraud