Comment impliquer des lycéens aux états généraux de la bioéthique organisés en France ? En quoi cette expérience participe-t-elle à la construction de la citoyenneté des élèves ? Laurence Bariller, enseignante de SVT au lycée Henri Avril de Lamballe (22) a amené ses lycéens à débattre en lien avec l’espace de réflexion éthique de Bretagne. L’idée est de faire remonter leurs avis, propositions et opinions pour modifier la loi actuelle ou pour la conserver. Organisées et menées par les élèves lors des séances d’accompagnement personnalisé en SVT et en philosophie, les deux heures d’échanges étaient sous couvert de l’expertise de Laurent Pasquier, médecin généticien au CHU de Rennes. « Les élèves prennent conscience qu’une bonne connaissance du sujet est nécessaire pour argumenter », explique Laurence Bariller.
Comment s’est déroulé concrètement le débat organisé au lycée ?
Comme suggéré par l’Espace de Réflexion Ethique de Bretagne (EREB), un débat a eu lieu sur une durée de 2 heures sur une plage horaire dédiée au sein du lycée. Le thème « médecine prédictive et tests génétiques » retenus parmi les cinq thèmes proposés pour mener les débats lycéens a fait l’objet d’échanges constructifs en présence de Laurent Pasquier, médecin généticien à l’hôpital sud de Rennes, expert nommé par l’EREB.
Un extrait du film « Bienvenue à Gattaca » a initié la réflexion puis des cas concrets proposés dans le livret édité par le conseil de l’Europe à l’occasion de la révision de la loi ont été proposés au groupe et soumis aux échanges. Ainsi, des sujets tels que le dépistage des maladies génétiques ou encore le diagnostic préimplantatoire ou le diagnostic prénatal sont analysés par les lycéens avec des échanges argumentés et souvent éclairés par des apports scientifiques du Dr Pasquier afin de permettre aux élèves de s’exprimer en connaissance de cause.
Quel travail a été réalisé en amont ?
Un travail de préparation a été mené en plusieurs temps : un temps de présentation du projet de débat aux élèves afin de faire prendre conscience des enjeux de la modification de la loi de bioéthique, de l’importance des avis de chacun dans cette révision et des impacts potentiels de l’application de la loi sur leur propre vie. L’adhésion immédiate des deux groupes d’élèves a révélé l’importance accordée à ces questions par nos lycéens. Les élèves se sont ensuite initiés à la technique du débat avec la réalisation de débats mouvants sur des problématiques diverses : chaque élève se positionne dans la salle selon l’avis qu’il défend puis peut se déplacer en fonction des arguments ou savoirs apportés pour alimenter le débat.
Un temps de mise en pratique de l’argumentation à l’oral a été mené avec la technique des trois minutes sur des sujets choisis par les élèves. Comment présenter un argument à un auditoire ? Quelle est la différence entre un argument et une opinion ? Ceci a naturellement conduit les élèves à prendre conscience qu’une bonne connaissance du sujet est nécessaire pour argumenter. Une troisième phase a permis de consulter des documents, de réfléchir et de se préparer au débat tout en consolidant les connaissances.
Le besoin d’un cadre sécurisé pour pouvoir s’exprimer apparaît très vite comme un autre point conditionnant la réussite du débat : des élèves sont animateurs et répartissent la parole, d’autres gèrent le temps, prennent des notes pour recueillir les avis, certains organisent l’espace pour favoriser les interactions. Le débat ouvert est un outil très formateur pour l’éducation à la citoyenneté tout comme le sont les thèmes débattus.
En quoi ce travail s’inclut-il dans la progression annuelle en SVT ? Et en philosophie ?
Ce travail a permis de rendre plus concrètes les notions travaillées en SVT : étudier les mutations au niveau d’une séquence de nucléotides et la diversité qu’elles entraînent, connaître le lien entre génotype et phénotype… Ceci prend une autre dimension lorsque ces concepts sont réinvestis dans un contexte d’utilisation des savoirs au service de la vie et de la santé des citoyens. Le lien entre les savoirs, les techniques et les limites de leur utilisation sur le vivant est mis en perspective dans cette démarche.
Les questions philosophiques sont abordées en première dans le cadre d’une initiation à cette discipline proposée au lycée à des élèves volontaires dans le cadre de l’accompagnement personnalisé. La réflexion sur la bioéthique a permis d’aborder des thèmes qui entrent dans les programmes des classes de terminale : le vivant, les techniques, la morale, la justice et la loi mais aussi des notions transversales comme la perception du corps et l’importance d’autrui. L’approche pluridisciplinaire est riche, elle permet à la fois de décloisonner les disciplines et de montrer que plusieurs approches sont nécessaires, se croisent et se complètent pour permettre l’autonomie de réflexion.
Quelles sont les contributions des lycéens ? Quels regards ont-ils sur ces sujets ?
Les contributions des lycéens sont diverses en fonction des questions traitées mais je ne pense pas les trahir en relevant le consensus suivant dans leurs différents avis et propositions : ils souhaitent en grande majorité pouvoir avoir le choix de réaliser les dépistages de leurs éventuelles anomalies génétiques, de réaliser ou pas un test de diagnostic prénatal quand ils deviendront parents. Ils souhaitent une loi qui encadre les dérives sur les accès aux données personnelles de santé afin qu’elles ne soient pas connues des employeurs, des banques… enfin ils aimeraient que la société se donne les moyens d’accueillir des individus « différents » dans les meilleures conditions. Il y a donc une demande de protection des choix des citoyens et une demande de respect de la différence de chacun, source de diversité et donc de richesse.
Quel est l’apport du généticien venu au lycée ?
Mr Pasquier a su partager les expériences de son quotidien de généticien et montrer son rôle dans l’accompagnement des futurs parents, dans la communication et dans l’information apportée aux patients pour guider leur prise de décision. Il a aussi précisé des notions scientifiques au niveau de la fiabilité des tests, de la lecture des risques délivrés aux patients. La différence entre un diagnostic pré-implantatoire et un diagnostic pré-conceptionnel peut sembler floue dans un premier temps même si les connaissances sur la technique du test génétique sont maîtrisées par les élèves. A quel moment le test est-il réalisé ? Dans quelle démarche ? Comment la loi peut-elle encadrer cette démarche ?
Laurent Pasquier a fait preuve d’une grande accessibilité et a placé les avis des élèves à leur juste hauteur en n’apportant pas la solution à leurs questions mais en éclairant leur réflexion et en leur permettant de cheminer.
Pensez-vous réitérer l’expérience ? En quoi est-ce important de donner la parole aux lycéens sur ces sujets ?
Il serait bien sûr intéressant de réitérer l’expérience soit avec les mêmes lycéens pour poursuivre la réflexion soit avec de nouveaux groupes d’élèves. Le travail en amont du débat est important pour la formation citoyenne des lycéens et ne peut être dissocié d’un débat de qualité et de la prise de conscience des enjeux par les élèves.
Les lycéens sont concernés et valorisés d’être consultés, la prise en compte de leurs avis ne peut que favoriser leur engagement dans des causes qui les concerne.
Avez-vous leurs retours ?
Les retours des élèves sont positifs ! Ils se sont impliqués dans le débat et en sortent grandis, ils ont développé leur autonomie de réflexion et savent ne plus se contenter d’opinions parfois répandues sans fondement. Ils ont aussi compris l’intérêt des savoirs dans la construction d’une argumentation et pris conscience que les débats citoyens aboutissent à des décisions qui se traduiront par des lois : c’est une expérience qui participe à la construction de leur citoyenneté.
Entretien par Julien Cabioch
Ressources du conseil de l’Europe
La bioéthique au conseil de l’Europe
Fiches pédagogiques sur les questions bioéthiques
Brochure d’information sur les tests génétiques à des fins médicales
Espace de Réflexion Éthique de Bretagne
Dans le Café