Le Café pédagogique s’est procuré deux projets de notes de service sur l’enseignement de la lecture, de la grammaire et du vocabulaire signés de JM Blanquer. Dans ces textes, qui doivent paraitre dans les jours à venir, JM Blanquer donne lui-même des directives aux professeurs des écoles et des collèges sur la façon dont ils doivent enseigner et les volumes de textes que les élèves doivent étudier. Ces textes sont exceptionnels. D’abord parce que ces notes de service sont signées du ministre lui-même, ce qui n’est pas l’usage. Ensuite, par le niveau de détail où elles descendent qui est inhabituel et piétine la liberté pédagogique des enseignants. On est très loin de la « confiance ». Enfin ils le sont aussi par la conception vieillotte et élitiste de l’enseignement du français que défend le ministre.
Comprendre c’est déchiffrer et connaitre le vocabulaire
Les deux notes de service signées de JM Blanquer sur l’enseignement du français concernent la lecture et la grammaire et le vocabulaire. On remarque tout de suite une absence significative : l’écriture. Visiblement pour JM Blanquer lecture et écriture sont deux compétences séparées. C’est une vision ancienne, et peu professionnelle, que défend le ministre.
Comme la seconde note l’indique « la compréhension de l’écrit repose sur la fluidité du déchiffrage ainsi que sur un lexique riche et la maitrise des règles de l’orthographe et de la grammaire. La qualité de l’expression découle de ces connaissances ». Avec une vision aussi simple de l’enseignement du français, on comprend l’absence de l’écriture dans les instructions. Visiblement pour JM Blanquer il suffit d’apprendre les règles et d’écouter pour comprendre.
Pour la lecture, le ministre insiste sur l’écoute de textes lus en maternelle : les enfants doivent entendre un récit par jour au minimum. « Les textes sont de plus en plus longs afin d ‘enrichir le vocabulaire des élèves et leur connaissance de la construction des phrases ». A l’école élémentaire la note met l’accent sur la fluidité de la lecture, comme si elle était gage de compréhension. La note recommande aussi des lectures silencieuses à partir du CM1.
Des minima d’oeuvres obligatoires
« C’est aussi à la lecture personnelle d’ouvrages librement choisis par l’élève qu’il faut consacrer une place dans le temps scolaire… Des activités pour en rendre compte sont organisées au sein de la classe ». Le ministre demande que les heures d’APC soient consacrées à des activités de lecture.
La note fixe aussi des nombres de textes à lire. « Chaque année les élèves lisent intégralement un nombre significatif d’oeuvres qu’elles soient étudiées en classe ou qu’elles soient en lectures cursives… Les professeurs ne doivent pas préjuger des capacités ni du gout des élèves pour la lecture de textes considérés comme exigeants ».
Ainsi du CP au CE2, la note demande la lecture d e5 à 10 oeuvre spar an. Au cycle 3 on passe de 5 oeuvres de littérature jeunesse et deux patrimoniales en CM1 à 3 et 3 en 6ème. Au cycle 4, au moins 3 oeuvres complètes du patrimoine doivent être lues en lecture intégrale, 3 en lecture cursive, notamment en littérature jeunesse et 3 groupements de textes.
« Les professeurs mettent à profit les congés de fin de semaine et les vacances pour indiquer des lectures… Ils encouragent et organisent la circulation des livres », indique encore la note.
On n’en saura pas plus sur l’écriture. Par contre la seconde note est consacrée à la grammaire et au vocabulaire.
Des leçons de grammaire et de vocabulaire
Pour JM Blanquer « apprendre le vocabulaire permet de connaitre le sens et l’orthographe des mots. Apprendre la grammaire permet de comprendre les relations entre les mots ». Et tout cela permet probablement pour lui de comprendre. C’est pour quoi il demande des « leçons » de grammaire et vocabulaire.
« La leçon de grammaire ou de vocabulaire ne peut se résumer à une série d’observations et d’activités ponctuelles à l’occasion de l’étude d’un texte… A tous les niveau de la scolarité obligatoire.. la leçon de grammaire et de vocabulaire doit être pratiquée… L’enseignant veille à inscrire ces leçons dans l’organisation quotidienne de son enseignement et à les annoncer comme telles aux élèves ».
Le ministre demande un enseignement explicite et progressif de la grammaire et du vocabulaire à hauteur de 3 heures par semaine à l’école élémentaire et 1h30 au collège.
La note fixe également les démarche sà utiliser pour l’enseignement de la grammaire : « la leçon de grammaire respecte 4 étapes : l’observation, formulation des règles, consolidation et évaluation ». Pour l’enseignement du vocabulaire la note annonce un corpus de fiches pédagogiques que les enseignants devront suivre.
Pour V. Youx (AFEF) le retour aux années 1960
« C’est atterrant », nous a confié Viviane Youx, présidente de l’association française des enseignants de français (AFEF). « On est en 1950 ou 1960. C’est pire qu’en 2008. Il y a une représentation de l’apprentissage de la langue qui ne correspond pas du tout à ce que montre la recherche et une représentation des enseignants qui va vers le caporalisme ». Si les notes prescrivent des démarches et des activités aux professeurs de français et aux professeurs des écoles, on verra que c’est encore pire en maths.
V. Youx souligne qu’on peut imposer un grand nombre de lectures à condition qu’elles soient adaptées aux enfants. « On peut imaginer qu’un élève de 6ème puisse lire 6 oeuvres dans l’année à condition qu’elles soient adaptées à des enfants de 11 ans. Penser qu’on va faire lire dans le texte d’origine 3 oeuvres patrimoniales en 6ème c’ets ne pas connaitre ce qu’est un enfants de 11 ans ».
« On organise le tri social »
Elle souligne aussi les conceptions erronées sur l’enseignement de la langue. « Il faut maitriser le code alphabétique. Mais ce n’est pas lui qui permet de comprendre un texte, pas plus que son écoute. Il ne s’agit pas seulement de faire lire des livres mais de les faire manipuler , de les faire écrire pour comprendre ».
Elle juge ces consignes « inapplicables » en l’état. Pour elle, elles « ne sont pas du tout adaptées à 80% des élèves. On impose des choses adaptées à un petit nombre d’élèves » et de cette façon on organise le tri social en matière de réussite scolaire. Un peu comme si elles étaient rédigées par un ancien bon élève du cours Stanislas ou une professeure de français en retraite depuis des années et n’ayant connu qu’un lycée privé hyper bourgeois…
Un B.O. politique ?
Au final on peut s’interroger sur la nature de ces notes. Jusque là le B.O. a été un outil de communication entre le ministère et les enseignants et les cadres. Depuis l’arrivée de JM Blanquer le B.O., comme d’ailleurs le J.O., s’est vidé. Le pilotage du système se fait par des injonctions verbales lors de réunions de cadres ou par des décisions de gestion. Avec ces notes on voit arriver au B.O. des documents qui relèvent davantage de la communication politique que de la gestion de l’Ecole.
François Jarraud