« Ce rapport est un début pas un aboutissement ». Jean-Michel Blanquer présentait le 5 novembre, avec Gabriel Attal et Julien Denormandie, ministre de la Ville, le rapport réalisé par Pierre Mathiot et Ariane Azéma. Chargés d’une mission « Territoires et réussite », P Mathiot et A Azéma réduisent dans leur rapport l’éducation prioritaire aux seuls réseaux Rep+. Avec les Rep, la prime Rep disparaitrait. Les recteurs disposeraient de moyens qu’ils affecteraient à leur guise entre établissements défavorisés, ruraux ou isolés. Si JM Blanquer prend garde d’affirmer « qu’aucune décision n’est prise aujourd’hui », le rapport Mathiot Azéma, qui vient après plusieurs autres, pourrait être appliqué dès 2021. C’est la France défavorisée qui perd des moyens. C’est aussi la France des minorités qui est visée par celle des terroirs.
Une réforme pour 2021
« L’éducation prioritaire est une politique essentielle qui doit être maintenue et renforcée ». Le 5 novembre , Jean-Michel Blanquer parle avec prudence. « C’est un rapport. Je n’endosse pas les mesures proposées même si ce travail va nous inspirer ». Il annonce quand même de premières mesures dès la rentrée 2020 et une réforme pour 2021. Le rapport Mathiot Azéma vient après tant de rapports qui remettent en question l’existence de l’éducation prioritaire que l’on a peine à croire que le ministre renonce à appliquer ses préconisations.
Pourtant l’éducation prioritaire est de loin le plus important dispositif déployé par l’Education nationale. Réformée en 2014, l’éducation prioritaire concerne 1.7 million d’élèves et près de 110 00 enseignants. 365 collèges et 2466 écoles sont labellisés Rep+ et 732 collèges et 4237 écoles sont « Rep ». Le cout total de la politique d’éducation prioritaire a été évalué par la Cour des Comptes à 1.4 milliard, dont 1.1 milliard en sur encadrement des élèves et 200 millions de primes.
Un rapport qui confirme les précédents
Depuis 2017, une série de rapports ont remis en question la politique fortement impulsée en 2013-2014 pour les enfants défavorisés. Il y a eu le rapport de la Cour des comptes en 2018 qui préconise déjà la suppression des Rep et leur remplacement par une politique d’affectation graduelle de moyens. Puis France Stratégie a carrément proposé la suppression des Rep et Rep+. Plus récemment, le rapport des sénateurs Lafon Roux préconise la délabellisation et, lui aussi, un indice d’affectation graduelle de moyens. Les conclusions du rapport Mathiot Azéma ne sont donc pas une surprise.
Conformément à la lettre de mission du ministre le rapport mène une réflexion sur les territoires et pas seulement l’éducation prioritaire. » La diversité des besoins et des enjeux locaux appelle d’autres politiques de priorisation territoriale que la seule éducation prioritaire entendue comme un zonage national aux effets binaires. L’hétérogénéité des configurations territoriales, qui plus est parfois affectées d’évolutions sociales, démographiques et résidentielles brutales, doit ainsi être mieux prise en compte dans les politiques scolaires, en utilisant pleinement des dispositifs et outils divers », dit le rapport. » Ainsi, tout en conservant une éducation prioritaire nationale dédiée aux écoles et établissements Rep+, la mission préconise de développer désormais à l’échelle académique l’ensemble des autres politiques de priorisation territoriale. Même si cela constituerait un changement dans la conception historique française de l’éducation prioritaire, la mission estime que cela marquerait aussi la reconnaissance des diverses politiques académiques de différenciation territoriale d’ores et déjà engagées, le plus souvent d’ailleurs pour amodier les effets de seuil produits par l’éducation prioritaire ».
Le maintien des Rep+…
Dans cette vision les réseaux Rep+ sont conservés en l’état au moins jusqu’en 2022. La carte serait maintenue avec son budget actuel , ses moyens et les primes Rep+ seraient maintenues. Le rapport recommande une révision de la carte des Rep+ en 2022 pour les aligner à ce moment là sur les Quartiers de la politique de la ville (QPV).
Mais une prime qu’il faudra mériter
La prime Rep+ serait maintenue mais son dernier tiers serait lié à « l’investissement et l’engagement des équipes ». La prime sera liée » à l’élaboration d’un projet de formation continue alimenté par une démarche de recherche-action centrée sur la difficulté scolaire et la participation aux modules de formation induits hors temps scolaire ». Les enseignants devront donc travailler davantage et comme le souhaite le ministre pour en bénéficier. Cette mesure pourrait être appliquée dès 2020 selon JM BLanquer. « J’ai toujours dit que la troisième tranche aurait plus de conditionnalité », dit le ministre.
Les rep supprimés
A la place des Rep, le rapport préconise « une politique de priorisation académique ». » Cette politique de priorisation académique concernerait les écoles et établissements rencontrant des difficultés particulières d’exercice (comme ceux propres à certains réseaux Rep actuels mais également les écoles et collèges en difficulté de l’espace rural), des réseaux en situation transitoire (exemple des réseaux concernés par une politique de mixité au collège) et les écoles et établissements en situation d’éloignement, caractéristiques des territoires de très faible densité… La mission préconise que les académies puissent recourir à l’ensemble des outils de priorisation afin de les appliquer en totalité ou partiellement selon les contextes : non seulement les dotations en postes ou en DHG ainsi que les bonifications en termes de mobilité intra-académique, comme c’est déjà possible actuellement, mais également les bonifications de carrière, les bonifications indemnitaires, le classement des établissements ainsi que les possibilités d’expérimentations organisationnelles. À partir d’un cadrage et d’objectifs qui demeureront nationaux et d’éléments de contexte territoriaux objectivés, les académies pourraient ainsi déployer tout ou partie de ces mesures selon les besoins et les projets des écoles et des établissements concernés ».
La nomenclature retenue est suffisamment large pour que les recteurs puissent affecter les moyens aujourd’hui destinés aux Rep aux établissements de leur choix. Ou plutôt ceux que leur dictera leurs choix de politique éducative ou, beaucoup plus fortement, les pressions politiques locales, par exemple celles du parti au pouvoir. Le précédent de la politique existante d’allocation des moyens sur critère social dans le premier degré montre les limites de l’exercice. Si le ministère est à même de déterminer commune par commune l’effort qui doit etre consenti, l’application sur le terrain relève des seuls recteurs. Or l’attribution locale des moyens dépend beaucoup des rapports de force politiques locaux. On a là un risque de dévoiement des fonds de l’éducation prioritaire. Mais aussi une perte de l’intérêt national au profit des lobbys locaux.
» C’est dans ce cadre que pourraient être explorées les formes d’une négociation avec l’enseignement privé sous contrat d’association à des fins de renforcement de la mixité sociale et scolaire », ajoute le rapport. Si le rapport parle mixité sociale c’est uniquement à propos de l’enseignement privé qui semble impatient de bénéficier d’une part des crédits de l’éducation prioritaire.
Les primes Rep supprimées
Que deviendrait l’argent des primes Rep ? « On pourrait maintenir les enveloppes académiques mais les orienter vers des primes d’installation pour des établissements ruraux ou peu attractifs », nous a dit A Azéma. La prie Rep deviendrait une prime d’attractivité pour faire venir des enseignants en zone rurale éloignée.
Des banlieues colorées vers la France profonde
Ainsi le rapport préconise un véritable renversement, si ce n’est détournement, des moyens de l’éducation prioritaire vers de nouvelles zones et surtout de nouveaux publics. Les écoles et établissements Rep et Rep+ sont aujourd’hui caractérisés par une fort pourcentage d’élèves de milieu populaire. On compte ainsi 56% d’enfants défavorisés en Rep et 67% en Rep+. Les travaux sur les zones rurales, y compris les zones de montagne (P Champollion), montrent que ces zones ne sont pas défavorisées ni sur le plan social (le rapport d’ailleurs le rappelle) ni sur le plan scolaire. Le handicap de l’éloignement apparait surtout après le bac avec des orientations moins favorables.
Ce que propose le rapport, et qui pourrait bientôt devenir politique ministérielle, c’est un transfert de moyens massifs des banlieues urbaines mixtes vers la France profonde, des minorités vers les Gaulois. A quelques semaines d’échéances électorales et dans la perspective des présidentielles, la nouvelle politique « territoriale » de JM Blanquer semble être la contribution de l’Education nationale à la stratégie électorale du président. La réforme est bien dans l’air du temps.
François Jarraud
Le rapport de la Cour des Comptes
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