« Ce livre est un cri de colère contre les nombreuses hypocrisies qui traversent l’Education nationale et les deux bureaucraties, étatique et syndicale, chantres des statu quo ». Tout est dit dans cette phrase. Les « Propos iconoclastes sur le système éducatif français » d’Alain Bouvier (Berger Levrault) proposent une vision libérale du système éducatif. C’est dire que si ces propos ont été longtemps iconoclastes ils sont aujourd’hui au pouvoir. Ce n’est pas une raison pour les ignorer. Car, à la différence de bien des girouettes du 110 rue de Grenelle, reconnaissons à Alain Bouvier de la sincérité dans ses opinions, de la constance et de l’honnêteté.
Bien des acteurs de l’Ecole seront irrités par le livre d’Alain Bouvier. C’est notre cas. Mais il mérite d’être lu par la qualité de l’argumentation et sa connaissance du système éducatif. Alain Bouvier défrise. Mais ce n’est pas un libéral d’un moment (celui où le libéralisme est aux affaires). Directeur de la revue de Sèvres, il en a fait un lieu où toutes les opinions peuvent s’exprimer et où le débat est ouvert. Membre du Haut Conseil de l’Education il n’est pas pour rien dans les analyses impartiales du HCE qui, à l’époque lui avaient valu la colère du Dgesco de l’époque , JM Blanquer. C’est pourtant une lecture critique que nous faisons de ce livre. Et Alain Bouvier ne s’est pas défilé.
Vous parlez de « propos iconoclastes ». C’était vrai il y a quelques années. Mais aujourd’hui ce sont presque des propos officiels…
J’aborde les mêmes questions de la même façon quel que soit le pouvoir. Je suis un amoureux de l’école publique et j’aimerais que tous les enfants bénéficient de la même éducation. Dans les années 1980, sous Savary, je croyais que l’on avait la meilleure école du monde. Les enquêtes internationales du début des années 2000 ont clairement tiré le signal d’alarme. Au Haut conseil de l’évaluation de l’école, puis au Haut conseil de l’Education j’ai été abattu par ce que nous avons découvert dans nos études et sur le terrain. Aujourd’hui je n’ai plus de responsabilité dans le système éducatif. Mais j’ai envie de partager. La réforme des rythmes scolaires m’a mis en colère. J’ai été scandalisé que personne ne défende les élèves. Cela m’a amené à ouvrir un blog puis à rédiger ce livre.
Le HCE était très critique sur ce que faisaient Chatel et Blanquer (entre 2010 et 2012). Là on vous sent moins critique dans les pages que vous consacrez à JM Blanquer…
Avant 2012, on a pris JM Blanquer la main dans le pot à confitures. A l’époque je travaillais dans une instance qui pouvait faire des analyses fines avec des spécialistes. Aujourd’hui je suis plus contemplatif. Je ne suis plus en mesure de creuser les sujets comme au temps du HCE.
Pour moi votre livre, votre pensée sont libéraux. Partagez vous ce jugement ?
Le terme n’a pas la même signification pour tout le monde. Moi je ne dirais pas ça. Je me sens proche d’un syndicat comme le Sgen Cfdt. Je ne suis pas dupe du poids qu’ont pris les marchés dans tous les pays. Il n’y a plus rien nulle part qui soit totalement public. Je suis perplexe devant une société où je vois tous les points de repère qui nous ont aidé après guerre ne plus fonctionner.
Quand même, vous demandez que les professeurs travaillent nettement plus. Vous proposez de distinguer concours et affectation. Ce n’est pas une libéralisation du métier enseignant ?
J’appelle à une remise à plat du métier enseignant comme cela se fait pour tous les métiers, dans le respect des 1605 heures annuelles. Aujourd’hui personne ne connait réellement le temps de travail des enseignants français. Je souhaite une mise à plat publique qui contribuera à améliorer l’image du corps enseignant.
En ce qui concerne les concours, on peut considérer déjà qu’ à partir du moment où on confie à l’université le soin de former les enseignants celle ci fasse son travail. Cela permettrait de distinguer concours et affectation. Or les lois Fillon, Peillon, Blanquer reconduisent les mêmes choses. Au final elles produisent les mêmes effets : on n’est pas sur de recruter qui on voudrait pour l’affecter là où on voudrait. Ces mécanismes uniformes sont devenus inadaptés.
On ne peut pas dire à la fois qu’on fait confiance à l’université pour former les enseignants et avoir derrière cette formation des concours qui n’ont rien à voir avec le métier.
Vous proposez une réforme territoriale, des contractuels. Mais que va-t-il rester de l’Education nationale ?
Beaucoup de pays n’ont pas de politique nationale d’éducation. Quel doit être son rôle : définir des objectifs et des finalités. L’organisation doit tenir compte des contingences territoriales. Il est impossible de penser par exemple qu’on puisse faire la même chose en Auvergne et dans l’académie de Créteil. Dès les premières années les situations diffèrent.
Ce qui va rester de national ce seront les finalités de l’Ecole: former des citoyens éduqués, ouverts aux autres et au vivre ensemble pour lutter contre l’individualisme qui mine nos sociétés. Les objectifs doivent être fixés nationalement mais les modalités peuvent être décidées par des acteurs locaux. Si on uniformise le « comment » on risque de brider la créativité et l’innovation des enseignants.
Finalement il y a un modèle d’école à suivre ?
Il n’y en a pas. Car l’école est forcément très articulée avec la société, la culture , l’histoire. On ne peut pas transposer de modèle d’école d’un lieu à l’autre et l’école doit être en mouvement permanent.
Propos recueillis par F Jarraud
Alain Bouvier, Propos iconoclastes sur le système éducatif français, Berger Levrault éditeur, ISBN : 978-2-7013-2064-9