Alors que se tient, le 7 novembre, une réunion ministérielle sur la retraite et la rémunération des enseignants, la Depp (division des études du ministère) publie deux Notes sur les salaires enseignants. Elles montrent l’impact des mesures prises par le gouvernement précédent en 2017 (dégel du point FP et PPCR) ainsi que le décrochage des salaires français par rapport à ceux de nos voisins. L’autre leçon de ces Notes c’est de montrer que la rémunération dépend de plus en plus des tâches supplémentaires effectuées par les enseignants. Les inégalités entre enseignants et enseignantes se banalisent.
Comment calculer les salaires enseignants ?
Le premier intérêt de cette nouvelle Note c’est de mettre à jour les données salariales. La Note publie les chiffres de 2017 alors que le dernier Bilan social du ministère s’en tenait à 2016. « En 2017, un enseignant de l’Éducation nationale perçoit en moyenne 2 440 euros nets par mois : 2 570 euros pour un enseignant à temps plein, 1 730 euros pour un enseignant à temps partiel ou incomplet. Des différences de salaire existent selon le statut et le corps, allant du simple au double », affirme la Depp dans une nouvelle Note.
En fait la complexité de définition des salaires moyens en France se lit dans ce graphique tiré du Bilan social et non repris dans la Note. A corps égal, les salaires réellement perçus varient beaucoup selon les temps de travail, l’age ou encore les missions acceptées. Dernière inégalité, mais la plus répandue, l’écart entre les sexes. Le salaire moyen des femmes est inférieur de 11 % à celui des hommes dans le premier degré et de 8% dans le second. « Quels que soient le corps et le secteur, les hommes enseignent davantage à temps plein et sont plus avancés dans leur carrière », note le Bilan social. Ils touchent aussi davantage de primes et indemnités. Dans le premier degré les hommes vont avoir davantage accès aux postes de direction dans de plus grandes écoles. Dans le second degré ils vont faire plus d’heures supplémentaires : ils perçoivent 51% de plus d’heures supplémentaires que les femmes. Une étude très récente sur les IMP montre que leur attribution discrimine les femmes.
Le bon vieux temps de F Hollande
En affichant les salaires de 2017, la Note permet de voir la progression depuis 2016. En effet deux mesures impactent 2017 : le dégel du point Fonction publique décidé par le gouvernement de F Hollande avec une revalorisation de 0.9%. En même temps entrent en application les accords de revalorisation PPCR qui se traduisent par une revalorisation des grilles avec l’octroi de 8 points en moyenne et une hausse des promotions. Selon la Depp, la hausse du point rapporte 27€ en moyenne par mois et les accords PPCR 37€ bruts. Une partie est repris par la hausse des cotisations sociales.
Mais cette politique se lit dans les salaires moyens. La Depp ne dit pas exactement comment sont calculés les salaires nets qu’elle indique (ETP ou EQTP ?) mais ils sont en hausse en 2017 par rapport à 2016. Ainsi le salaire net mensuel moyen d’un professeur des écoles est de 2283 € en 2017 contre 1939€ en 2016. Pour un certifié c’est 2556 contre 2307€. Deux enseignants sur trois voient leur salaire augmenter du fait de PPCR en 2017. Celui ci profite d’abord selon la Depp aux professeurs des écoles : 78% connaissent une hausse de salaire contre 58% des certifiés et 52% des agrégés.
En 2017, l’alternance politique amène le regel du point fonction publique (toujours congelé !) et le blocage durant une année des accords PPCR. Résumons : la Note de la Depp agit comme une séquence nostalgie : il y a eu une vraie revalorisation en 2017 sous F Hollande et une vraie politique en faveur du primaire avant qu’E. Macron ramène la rigueur.
Des salaires inférieurs aux salaires européens
Une seconde Note compare les salaires français à ceux des enseignants européens en se basant sur les données OCDE. Sans surprise elle montre qu’ils sont inférieurs, surtout en début et milieu de carrière, les salaires remontant en toute fin de carrière.
Enfin la Note insiste, en se basant sur les données OCDE, sur l’écart entre salaire statutaire et salaire effectif. Pour ce dernier, la comparaison est certes difficile entre les pays car ces salaires réels doivent tenir compte de l’existence de un ou plusieurs corps, d’ancienneté différente selon les pays dans ces corps et d’exigences de diplôme qui varient elles aussi selon les pays (elles sont plutôt élevées en France). La comparaison est donc toujours difficile voire parfois impossible.
Aussi nous ajouterons notre propre mode de comparaison des salaires enseignants, emprunté à l’OCDE : le coût salarial de l’enseignant par élève. Dans le premier degré, il est de 1915 $ en France contre 2784 dans l’OCDE, 2843 contre 3360 au collège et 2993 contre 3274 au lycée. Des données qui apportent une réponse à ceux qui disent que l’éducation coute plus cher en France que chez nos voisins. On a aussi plus d’élèves qu’eux !
Personnalisation et croissance des inégalités salariales
Ces salaires effectifs montrent surtout la croissance des inégalités salariales entre les enseignants. Une personnalisation des rémunérations est bien « en marche », liée à la part de plus en plus forte prise par les missions et les heures supplémentaires dans les rémunération.
On peut le dire autrement : pour gagner autant que dans la moyenne des autres pays développés, les enseignants français doivent effectuer des heures supplémentaires et travailler plus que leurs collègues. Cela alors que les temps d’enseignement sont déjà plus lourds en France que dans les autres pays dans le premier degré (900 h annuelles au lieu de 783) et que les classes sont nettement plus chargées en France et donc plus fatigantes et nécessitant davantage de temps de travail à la maison. Le rappel d’un moindre écart entre les salaires effectifs français et étrangers participe de la banalisation de la personnalisation des rémunérations. Celle ci est un des objectifs avoués de la loi de transformation de la fonction publique. La loi prévoit que les chefs directs des fonctionnaires puissent varier la rémunération des agents. C’est ce qui se passe déjà avec les heures supplémentaires et les IMP.
Pourquoi publier ces notes ?
Alors que s’ouvre le débat sur les retraites, il apparait que les enseignants vont être les grands perdants du nouveau mode de calcul. Celui ci basera la retraite sur toute la carrière avec les primes inclus. Or les enseignants ont une longue carrière avec des salaires bas et peu de primes par rapport aux autres fonctionnaires. Selon le Snes Fsu, un enseignant du second degré avec 43 années de carrière ne toucherait plus que 1932 € mensuels au lieu de 2885 avec la retraite actuelle. C’est un véritable effondrement des retraites enseignantes qui se prépare.
Le gouvernement, le président de la République, ont pris les devants et annoncé que le cas des enseignants serait pris en compte. Pour cela il faut avoir des données précises. C’est ce que donnent les études Depp.
Pour maintenir les retraites enseignantes au niveau où elles sont actuellement il faudrait une revalorisation très importante d’au moins 25% soit une dizaine de milliards. On voit mal où le gouvernement les trouvera. On sait depuis quelques semaines la solution qu’envisage E Macron : faire travailler davantage les enseignants de façon à en réduire le nombre et aussi réduire celui des non enseignants dans les établissements. Porteuse d’inégalités croissantes car tous les enseignants ne pourront pas augmenter leur temps de travail cette politique de personnalisation des rémunérations est déjà bien partie.
F Jarraud