Comment remotiver des élèves à besoins particuliers ? C’est le défi dans lequel s’est lancée Géraldine Mazué, enseignante d’anglais à l’EREA Alain Fournier de Beaune, dans l’académie de Dijon. Avec sa classe de dernière année de C.A.P. (peintres, maçons, carreleurs), elle a mené un projet eTwinning intitulé « One Train For Europe » : il a pour objectif de permettre à ses élèves de voyager virtuellement par le train à travers le continent européen, et de visiter des monuments classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Ceci en utilisant l’anglais comme langue de communication. Les élèves ont eux-mêmes choisi leurs trajets, réalisé leurs tickets de train, conçu les menus à bord, choisi les musiques diffusées dans le train… Ils ont également décidé ensemble des lieux à visiter. Eclairages de Géraldine Mazué…
Comment vous est venue l’idée de ce projet de voyage virtuel à travers l’Europe?
L’idée m’est venue en cherchant des exemples de projets pour mes élèves de CAP. Je suis alors tombée sur le projet d’Ulrike Kahl, ma collègue allemande : « One Train for Europe ». J’ai beaucoup apprécié cette idée de voyage virtuel et de découverte du patrimoine de l’Unesco. Je la trouvais pertinente pour des élèves souhaitant travailler dans le domaine de la construction de découvrir la dimension culturelle de leur formation professionnelle. Par la suite, j’ai donc contacté ma collègue allemande pour savoir si je pouvais rejoindre son projet en y intégrant mes élèves.
Quels étaient les grands objectifs de ce projet ?
L’idée de ce projet était de voyager à travers l’Europe à bord d’un train virtuel. En utilisant l’anglais comme langue de communication, les élèves devaient organiser leur voyage (création du ticket, les villes et monuments à visiter), apprendre à se connaître, et découvrir le patrimoine culturel européen (choix des monuments à visiter, découverte de l’Unesco mais aussi de la nourriture et de la musique à bord du train).
Avec quels partenaires avez-vous travaillé ? Comment le contact s’est-il noué au départ?
J’ai d’abord pris contact via le mail du TwinSpace avec la collègue allemande pour lui expliquer le profil de mes élèves et savoir si je pouvais les intégrer sur quelques activités. Puis nous avons organisé une visioconférence avec l’ensemble des partenaires originaires de Pologne, Italie, Slovaquie et Bulgarie pour définir les grands axes et se répartir le travail.
Vos élèves ont des besoins particuliers (classe en EREA) avec de grandes difficultés en anglais. Comment êtes-vous parvenue à les motiver et les intégrer à ce projet ?
J’ai fait ce projet avec une classe de dernière année de CAP (peintres, maçons, carreleurs). J’avais déjà eu certains élèves les années passées. Ces derniers connaissaient déjà eTwinning à travers un autre projet que j’avais mené avec eux. Je n’ai absolument pas eu besoin de les convaincre !
L’idée de correspondre avec des élèves d’autres pays et de « travailler autrement » est toujours quelque chose de motivant pour les élèves, et surtout pour des élèves à besoins particuliers. Par ailleurs, l’utilisation du numérique est quelque chose qu’ils apprécient car ils maîtrisent souvent très bien les outils, parfois même mieux que nous-mêmes enseignants. Enfin, le fait que ça ne soit pas des élèves très scolaires, l’idée de « voir » du pays et d’avoir des correspondants virtuels les a tout de suite séduits
Quel a été l’impact de ce projet sur vos élèves, et plus largement sur l’établissement ? Qu’en retiennent-ils ?
Avant même l’obtention des labels, les élèves ont voulu montrer qu’ils étaient capables de mener à bien les activités qui leur incombaient. Il y a toujours une espèce de défi quand on fait un projet eTwinning : on sort de sa zone de confort et on veut bien faire.
Mes élèves savaient qu’ils ne participeraient pas à toutes les activités en raison de leurs difficultés, mais aussi à cause de leur PFMP* (*période de formation en milieu professionnel) qui ne leur permettait pas de suivre de façon régulière tous les échanges. Cela ne les a absolument pas empêchés de s’investir pleinement dans les activités auxquelles ils ont participé. Je peux affirmer que, d’une certaine manière, ce projet leur a permis de se surpasser et de mettre de côté leurs inhibitions de départ.
Il est vrai aussi que j’avais une classe difficile, et j’ai perdu beaucoup d’élèves en cours d’années. De ce fait, les élèves qui sont restés se sont sentis encore plus investis qu’au départ. Ils se sont doublement investis pour « rester dans le train » et faire bonne figure face à leurs partenaires européens.
Au final, l’obtention du label de qualité national puis européen a été une sacrée surprise pour eux. Ils étaient mis sur le même niveau que les autres élèves du projet qui eux ne rencontraient pas les problèmes d’apprentissage. Cette reconnaissance de leur investissement, de leur travail et de leurs compétences, a eu un énorme impact en termes d’estime de soi et de confiance en soi. Ces ceux Labels ont ouvert une porte vers « un possible » pour tous les élèves de l’EREA. Maintenant que mes élèves l’avaient fait, les autres élèves de l’établissement se sont dit « pourquoi pas nous? ». Ces 2 récompenses ont indéniablement eu un effet levier au sein de l’établissement puisque plusieurs collègues se sont à leur tour lancés dans l’aventure eTwinning. Cet élan d’intérêt pour eTwinning nous a permis d’obtenir l’an passé le label eTwinning School.
Quelle a été la plus belle réussite de ce projet, pour vous mais aussi vos élèves ?
Pour moi la plus belle réussite dans ce projet, c’est d’avoir pu y intégrer mes élèves et d’être allée jusqu’au bout. Les élèves des pays partenaires étaient des élèves de lycées classiques et internationaux avec généralement un très bon niveau de langue, des connaissances culturelles solides, ce qui n’était pas toujours le cas de mes élèves. Mais à aucun moment, cela n’a posé problème.
Ce projet est pour moi un modèle d’inclusion qui aurait été sûrement plus complexe s’il n’avait pas été virtuel. Le fait d’utiliser cet espace virtuel a permis à mes élèves de prendre leur temps de se préparer et d’avoir davantage confiance en eux.
Qu’est-ce qu’eTwinning vous apporte au quotidien en tant qu’enseignante en EREA ?
Je ne peux plus travailler sans projet eTwinning ! L’utilisation de l’anglais prend tout son sens. Les élèves parlent en contexte. Cela concrétise leurs apprentissages et en même temps cela les décomplexe : ils se rendent compte que les correspondants espagnols ou d’autres nationalités font aussi des erreurs!
D’un point de vue personnel, le fait de collaborer avec des collègues d’autres pays me permet d’échanger, et de découvrir de nouveaux outils, de nouvelles méthodes.
Le fait de travailler à plusieurs sur un même projet, c’est une petite dose d’adrénaline qui m’empêche de me laisser envahir par la routine.
Avez-vous des thématiques de projets sur lesquelles vous aimeriez travailler avec vos élèves dans vos futurs projets ?
Actuellement, j’aimerais renforcer l’expression orale dans les projets ainsi que la dimension professionnelle. J’aimerais que les projets eTwinning servent de tremplin pour de futures mobilités pour mes élèves.
« Je n’ai pas le temps ». C’est souvent ce que l’on entend dire quand on propose de faire un projet, quel qu’il soit. Que diriez-vous aux enseignants qui hésitent à se lancer dans un projet, et plus particulièrement un projet eTwinning ?
C’est vrai. Cela prend du temps surtout au début quand on découvre les différents espaces de travail (eTwinning Live et le TwinSpace). Heureusement, des formations sont organisées en académie ou en Europe, et des interlocuteurs au Bureau d’Assistance National sont toujours disponibles pour répondre aux questions. Mais c’est comme pour tout, une fois que l’on maîtrise l’outil, cela ne prend pas plus de temps qu’autre chose. Le temps que j’ai passé au début m’a été utile pour apprivoiser la plateforme. Aujourd’hui, eTwinning apporte vraiment quelque chose de concret aux élèves en leur permettant d’échanger avec des camarades européens dans un contexte authentique.
Concernant la recherche de partenaires, c’est vrai qu’il faut trouver les bons partenaires et surtout bien communiquer sur ce que chacun attend dans le projet. Cet échange peut aussi prendre du temps au début, mais cela est essentiel !
Au niveau de la discipline enseignée, celle-ci n’est plus vécue comme un objectif, comme un truc à apprendre mais comme un moyen. Pour ma part, si les élèves veulent communiquer, ils doivent le faire en anglais et croyez-moi ils se débrouillent très bien pour y arriver. eTwinning permet de briser la glace et facilite les échanges naturellement.
C’est aussi un moyen très intéressant de travailler la pluridisciplinarité ou la co-intervention. Je pense que c’est un élément à développer notamment avec la réforme du lycée professionnel.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut