« Il y a un parti pris du ministre en faveur des neurosciences. On sait qu’elles sont importantes mais on n’a pas affaire à des cerveaux de laboratoire mais à des enfants vivants ». A l’issue d’un colloque sur la difficulté d’enseigner, le 23 novembre, Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp, annonce le lancement d’un appel à diffuser toute la recherche dans la formation continue des enseignants. Une cinquantaine de chercheurs soutiennent l’appel, par exemple E. Gentaz, B. Cyrulnik, M. Duru Bellat. R. Goigoux ou P. Meirieu.
Des dons naturels à la diversité des aptitudes…
Comment faire face aux difficultés des élèves? Le 23 novembre, le Snuipp a invité plusieurs spécialistes pour échanger avec les nombreux enseignants présents. Jacques Bernardin ouvre la journée en proposant un savoureux historique du traitement de la difficulté scolaire dans l’école française. Il montre comment on est passé de la théorie des dons (« Il nait des enfants doués pour les études et d’autres doués pour le travail manuel » Giscard d’Estaing 1976) à celle du handicap socio culturel (« Tout jeune, quel que soit le handicap de son milieu culturel, doit pouvoir courir sa chance » Giscard d’Estaing 1977) pour aboutir à l’individualisation et à la « diversité des aptitudes », la version moderne de l’idéologie des dons, ou à l’externalisation des problèmes vers le médical.
Pour J Bernardin « penser les différences en terme de compensation c’est un regard de dominant ». Il milite pour l’épaisseur culturelle des situations données aux élèves et pour donner le temps de la réflexion et de l’institutionnalisation des savoirs.
Contre l’externalisation et la médicalisation de la difficulté scolaire
Florence Savournin (Espe de Toulouse) rappelle l’empilement des dispositifs d’aide, des dispositifs qui finissent par assigner l’élève dans sa difficulté. Elle montre aussi la montée du scientisme en éducation. Alors que les enseignants sont les vrais experts de la difficulté scolaire, les familles, et même parfois les professeurs, font de plus en plus appel à des « spécialistes » : orthophonistes, psys etc. Or la difficulté est liée à un milieu tout comme l’élève est dans un collectif. « L’élève est en difficulté comme élève », pas forcément comme individu.
Stanislas Morel, un sociologue, rebondit sur cette analyse. « Il faut remettre en cause le postulat de l’individualisation… Il y a des difficultés pédagogiques qui relèvent de l’école ». Il appelle à redonner confiance aux enseignants qui sont des experts pour traiter la difficulté scolaire. De témoignages en fin de journée montrent comment des équipes enseignantes s’emparent de la difficulté scolaire et la gèrent en équipe.
Un appel pour la diversité de la recherche
Interrogée par le Café pédagogique, Francette Popineau, co-secrétaire générale du Snuipp, revient sur les objectifs du colloque. « On veut mettre en avant que la difficulté scolaire est notre lot quotidien. On veut la traiter mais pas des mesurettes ou des affichages. Avec le CP à 12 le ministre dit qu’il va régler la difficulté par le seul biais des effectifs. C’est un bon angle. Mais il y a des élèves en difficultés dans les autres CP et les autres classes. Il faut traiter dans la largeur et pas faire une focale sur les CP de Rep+ ».
« Dans le colloque on a vu que l’école a un rôle important à jouer. Il n’est pas normal que les enseignants, qui sont experts, soient dominés par d’autres qui leur apprennent leur métier. Ils doivent reprendre la main ». Le Snuipp propose que le temps des APC, un moment d’externalisation peu efficace, soit utilisé par les équipes pour monter leurs projets ou se former.
Trouvez vous que les neurosciences prennent trop de place par rapport aux autres approches pédagogiques ? « Il y a un parti pris du ministre en faveur des neurosciences. On sait qu’elles sont importantes mais on n’a pas affaire à des cerveaux de laboratoire mais à des enfants vivants. L’activité mentale peut être perturbé par beaucoup de choses comme le contexte social. Il ne faut donc pas s’appuyer que sur les neurosciences. Il faut croiser les recherches. C’est pourquoi on réalise un appel déjà signé par 55 chercheurs pour dire qu’on a besoin de toute la recherche pour progresser. C’est comme cela que l’école va avancer ».
Pour F Popineau, des courants ne sont pas assez reconnus, « ceux qui sont traités de pédagogistes », alors « qu’ils apportent des choses importantes en terme de didactique ou de réflexion sur le métier ».
Le texte appelle le ministère à « développer et diffuser la recherche dans tous les domaines intéressant l’école par le biais de la formation… pour construire une école capable de réduire les inégalités ».
L’appel est signé de nombreux noms prestigieux et surtout venus de sciences différentes : E. Gentaz, B. Cyrulnik, R. Goigoux, M. Duru Bellat, E Debarbieux,P Rayou, P Merle ou P. Meirieu par exemple.
Cet appel est une pierre jetée dans le jardin de JM Blanquer qui semble ne connaitre que les neurosciences. Il intervient au moment où le ministère va lancer des formations sur la lecture en CP, un autre sujet de tension entre le ministre et les chercheurs qui remonte au début du siècle. Mais il est vrai que la domination des neurosciences a commencé avant Blanquer. Quand R Goigoux recevait 30 000 euros pour son étude incontournable sur la lecture, les laboratoires de psychologie cognitive se partageaient déjà les 30 millions d’E-Fran pour des projets parfois qui interrogent.
François Jarraud