Si la santé scolaire est loin d’atteindre les objectifs légaux en terme de visites des élèves, ce n’est pas par manque de moyens, estime la Cour des comptes. Dans un rapport publié le 27 mai, elle pointe le corporatisme, le laxisme et un management insuffisant. Pour redresser la situation et faire en sorte que tous les élèves bénéficient des visites légales, la Cour imagine de créer des services départementaux de la santé scolaire confiés à des inspecteurs d’académie et de revoir le partage des tâches entre médecins et infirmiers. C’est le retour à avant 2015 et une nouvelle conception de la santé scolaire qui se dessine réduisant la santé scolaire aux visites obligatoires au détriment du travail éducatif effectué en établissements. C’est aussi ouvrir la voie à la privatisation de la santé scolaire au profit de la médecine de ville.
Une réforme managériale
« Les difficultés persistantes de la santé scolaire… ne tiennent pas à un manque de moyens budgétaires », écrit la Cour des comptes dans un nouveau rapport sur la santé scolaire. « Un effort important a été consenti pour mettre à niveau les dotations en personnels infirmiers… Le ministère dispose des emplois nécessaires pour recruter 30% supplémentaires de médecins de l’éducation nationale… En fait la santé scolaire souffre des failles de son organisation et de son défaut de pilotage ».
Faire entrer la santé scolaire dans l’ère des nouvelles politiques publiques semble l’objectif principal du rapport de la Cour des comptes sur la santé scolaire.
En effet, il faut un certain toupet pour affirmer que la santé scolaire ne manque pas de moyens. Certes le nombre d’infirmières a légèrement augmenté depuis 2013 passant de 7550 à 7889 ETP. Pour les médecins, par contre , on est passé de 1143 à 966 sur la même période. La Cour peut toujours écrire que « … Le ministère dispose des emplois nécessaires pour recruter 30% supplémentaires de médecins ». Les postes existent c’est vrai. Mais le salaire proposé et le cadre de travail proposés éloignent les candidats. En fait les médecins scolaires sont en corps en voie de disparition. Au total cela fait quand même un infirmier pour 1558 élèves et un médecin pour 12728. Si la Cour affirme que le problème est ailleurs c’est parce qu’elle ignore une partie des missions et qu’elle envisage d’ouvrir la médecine scolaire à d’autres médecins comme on le verra.
Enfin des données sur les visites
Car le deuxième axe du rapport de la Cour c’ets de ne considérer les missions de santé scolaire presque que sous l’angle des visites obligatoires. Ces deux visites (6 ans et 11 ans) vont évoluer avec la loi Blanquer. Mais le rapport apporte des informations exclusives sur les manquements importants à ces rendez vous de santé.
« Entre les années scolaires 2013 et 2018, le taux de réalisation de la visite de la 6e année de l’enfant par les médecins scolaires, déterminante au début des apprentissages scolaires, a chuté de 26 %, taux déjà historiquement bas, à 18 %. Moins d’un enfant sur cinq en bénéficie alors qu’elle est en principe universelle. Ce taux moyen recouvre de fortes disparités : sur les 99 départements pour lesquels un taux a pu être calculé, 34 sont en dessous de 10 % de réalisation tandis que 20 ont un taux supérieur à 30 %. Le bilan infirmier de la 12e année a progressé mais n’est réalisé que pour 62 % de l’ensemble des élèves et, pour ceux des établissements publics, qu’à hauteur de 78 % », écrit la Cour.
« En l’état actuel de la législation, les visites médicales d’aptitude, préalables à l’affectation à des travaux réglementés pour les élèves mineurs de l’enseignement professionnel, doivent être toutes réalisées, quitte à mettre en place des solutions complémentaires ou palliatives par des consultations médicales externes, ce que seuls quelques établissements ont fait. Elles ne sont effectives que pour 80 % des lycéens concernés pour les seuls élèves du public et ne sont systématiquement faites que dans 60 départements. Cette situation expose les élèves à de potentiels accidents de formation et met en jeu la responsabilité des chefs d’établissement d’enseignement professionnel », note-elle encore.
« La charge moyenne annuelle par personnel infirmier est estimée à 83 bilans (106 avec l’enseignement privé) ce qui constitue un niveau de performance à atteindre dix fois inférieur à la charge des médecins pour la visite de la 6e année (803) », note encore la Cour avec une pointe de perfidie.
L’ignorance du travail des infirmières
Car cette focalisation sur les visites exclut tout le travail réalisé en dehors des visites et qui n’est pas négligeable. Les infirmières ne sont pas que des professionnels de santé faisant passer des visites aux enfants de 11 ans. L’essentiel de leur travail consiste à recevoir les élèves dans les établissements et à trouver des solutions à leurs problèmes, pas toujours strictement médicaux, cela dans le plus grand intérêt du climat des établissements. La présence d’une infirmière dans un établissement est un trésor qui participe pleinement à la bonne marche de l’établissement. Mais cette activité est difficilement quantifiable. Visiblement elle ne rentre pas dans les critères de gestion de la Cour.
On aura aussi compris que la Cour a tranché dans la sourde opposition entre médecins et infirmiers qui ne facilite pas le bon fonctionnement de la santé scolaire. Les infirmières scolaires exercent avant tout un métier du soin en établissement, au coeur d’une communauté scolaire. Elles sont davantage tournées vers l’éducatif. Les médecins sont très isolés et leur tache principale est médicale. La tentation est forte de confier une partie de leurs taches aux infirmieres et de transformer celles ci en auxiliaires des médecins.
Evidemment les pressions en ce sens exacerbent les tensions entre médecins et infirmières. La Cour sous entend que celles ci travailleraient peu. En fait les enseignants et les chefs d’établissement voient bien le travail accompli. Mais celui ci n’est pas strictement médical. Si l’on écoutait la Cour ce serait au dépens de la vie scolaire dans les établissements et de l’accompagnement des élèves.
Les recommandations de la Cour sont des recommandations de gestion. La Cour recommande de créer un service de santé par département confié à un inspecteur qui puisse « mettre ne place un management » du service. Cela passerait par la révision du « partage et de l’organisation des tâches » entre médecins et infirmiers dans le but de renforcer les visites de la 6ème année. Autrement dit retirer les infirmières des établissements pour des interventions dans le 1er degré.
Vers la privatisation de la santé scolaire
Ce souci médical de la Cour des comptes ne va curieusement pas jusqu’à s’intéresser à ce que sont vraiment les visites obligatoires. Ce sont des visites de dépistages de troubles de santé mais aussi de troubles comportementaux et cognitifs. Seuls les médecins scolaires ont les connaissances pour faire ces dépistages.
Cela n’empêche pas la Cour d’envisager, dans la droite ligne du discours ministériel, d’y associer les médecins de ville ou les hospitaliers qui ne sont pas formés à ces dépistages. Cette solution, outre qu’elle est illusoire dans les départements où manque le plus la médecine scolaire (93 par exemple) faute de médecins de ville et au vue du triste état de la médecine hospitalière, ignore les besoins réels. Tout comme la Cour ignore les besoins d’accompagnement des élèves dans les établissements. On ne sera donc pas étonné que la cour recommande aussi la suppression des comités d’éducation à la santé (CESC) des établissements.
Ce rapport, qui reprend une partie des préconisations ministérielles, s’il était appliqué mettrait en place des services de santé scolaire qui réduirait rapidement le nombre d’infirmières sans répondre au besoin de médecins. Il aurait un impact néfaste sur la vie des établissements et les soins apportés aux élèves. Il mènerait rapidement à une privatisation de la médecine scolaire ce qui aggraverait les inégalités d’accès aux soins pour les catégories sociales réellement défavorisées.
Dans les quartiers populaires, la médecine scolaire est souvent la seule médecine accessible aux familles les plus pauvres. Souvent elle a le visage de l’infirmière de l’établissement capable d’accueillir, de comprendre, d’informer et de guider le jeune vers un solution qui peut aussi être sociale, scolaire ou psychologique.
Le rapport tourne par contre le dos au projet gouvernemental de décentralisation de la santé scolaire.
François Jarraud
Le gouvernement envisage de confier aux départements la médecine scolaire
Les médecins scolaires acceptent la décentralisation