L’école serait-elle imperméable au numérique ? Le renversement de perspective proposé par ce propos un peu provocateur prend en compte les résultats de PISA que publie l’OCDE sur les compétences numériques des jeunes. Deuxième enquête du genre, elle est importante en qualité, en qualité et étudie l’évolution entre 2009 et 2012 des compétences numériques, de leur acquisition mais surtout de leur lien avec les compétences de lecture et de mathématique et plus généralement la performance aux autres épreuves PISA. L’ensemble du document publié constitue un point de repère pour l’analyse
Plus il est nécessaire de travailler les fondamentaux…
Le constat risque d’ébranler nombre de certitudes : « Les ressources investies dans les TIC pour l’éducation ne sont pas liées à l’amélioration de la réussite des élèves en lecture, en mathématiques ou en sciences. » (p.146) Cette analyse ressort en particulier des épreuves liées aux compétences numériques des jeunes de 15 ans. De plus, il est précisé que l’utilisation de l’ordinateur à l’école appauvrit les résultats aux épreuves Pisa sur ces compétences (lecture numérique et mathématique avec ordinateur). Pisa n’aborde pas directement le monde scolaire, mais tente de mesurer son impact, parmi d’autres éléments, sur les compétences, tout comme il le fait avec le numérique. Pour l’OCDE, ce qui compte c’est l’amont du numérique. D’ailleurs il en fait une démonstration à partir de la corrélation entre l’utilisation avancée du numérique en milieu scolaire et les compétences des jeunes. Il n’oublie cependant pas de rappeler l’importance des contextes.
L’analyse comparative d’un grand nombre de pays, qui acceptent le jeu de Pisa (ce que la France ne fait pas pour un certain nombre de questions) montre l’importance des contextes économiques, sociaux, culturels. Et les paradoxes ne manquent pas. Ils convergent tous vers l’idée dominante de ce rapport : plus le numérique se développe plus il est important de ne pas négliger les apprentissages fondamentaux. Mais dans le même temps, les pratiques d’Internet et de l’informatique continuent de progresser en dehors de l’école, et l’OCDE en évoque les dangers.
Le numérique ne règle pas les problèmes pédagogiques..
En lisant plus avant ce document, il apparaît surtout que le numérique et l’école ne peuvent pas s’entendre tant que l’école reste telle qu’elle est. Car finalement ce que l’on observe c’est que la scolarisation dans sa forme actuelle est incapable de résoudre nombre de problèmes d’inégalité et que l’envahissement du scolaire par le numérique ne résout aucun problème dans ce domaine et qu’au contraire des pratiques trop envahissantes pourraient se faire au détriment des apprentissages scolaires de base. Ce propos va alimenter au premier niveau les opposants au numérique en milieu scolaire. Mais il est une lecture au deuxième niveau qui doit faire réfléchir : la conclusion du résumé est percutante : « In the end, technology can amplify great teaching, but great technology cannot replace poor teaching. » En d’autres termes, introduire le numérique ne permet pas de remédier à un enseignement scolaire médiocre ou pauvre. Et c’est là qu’il y a un nœud important.
Mais s’en tenir là est un peu juste. Aussi la préconisation de pistes pédagogiques – projet, collaboration – analysées comme performantes est aussi présentée comme le signe de l’aisance de l’enseignant face à sa mission. Cela signifie aussi que c’est la maîtrise de la pédagogie qui permet de donner une chance à l’école d’avoir d’autres résultats dans le domaine du numérique pour apprendre et enseigner. Les auteurs du rapport n’interrogent ni l’éducation familiale, ni l’éducation scolaire et c’est décevant surtout que la principale allusion porte sur les risques voire les dangers d’Internet.
La France a-t-elle peur de ses résultats ?
Au-delà du rapport dont les tableaux sont une source d’analyse essentielle, rappelons ici quelques points. Le système scolaire et sa forme scolaire ne sont pas remis en cause. Autrement dit, le constat de dérive ne débouche pas sur une proposition de changement de fond, mais sur une restauration d’une forme qui doit servir le projet économique et social nullement remis en question ici. Les industries du numérique ne sont absolument pas questionnées sur leurs intentions de fond et l’enquête n’en mesure rien d’autre que le taux d’équipement. Autrement dit, là encore, pas de remise en cause fondamentale. Quelques pays emblématiques, Corée, Japon, Finlande, Danemark donnent à voir des résultats particulièrement surprenants qui renforcent l’idée qu’il y a une sorte d’indépendance entre le développement des usages du numérique dans la société et le monde de l’enseignement scolaire.
Il faut s’interroger sur l’absence de certaines statistiques françaises. Le parcours de l’ouvrage en révèle une série que l’on peut voir en creux (cf. p.33 du rapport) en particulier celles qui concernent les pratiques en milieu scolaire. Est-ce à dire que nos gouvernants n’ont pas d’indicateurs fiables ? Ne veulent pas en avoir ? Ne veulent pas qu’on sache les résultats ? Au moment où le plan numérique commence à « enfler » dans les médias et prochainement dans les établissements (rentrée 2016 au plus tard) on s’étonne que la France, déjà fort malmenée par les autres enquêtes PISA, ne veuille pas « apprendre de l’expérience » comme le préconise l’OCDE. Nombre de chercheurs français ont déjà exprimé sur ce sujet leur inquiétude et les récentes évolutions de la DNE et du ministère ne sont pas là pour rassurer.
La question est ailleurs…
Au final, ce qui nous intéressera le plus, c’est la foison de statistiques recueillies et disponibles en plus de l’ouvrage, en ligne. En effet, les orientations fondamentales de l’enquête ainsi que celles de l’analyse des résultats montrent l’embarras du constat en regard de l’air du temps qui insiste pour mettre le numérique à l’école. Ni le numérique et son évidence sociale pas plus que l’école et son immuabilité ne sont questionnées. Finalement l’enquête révèle ce que l’on observe maintenant depuis trente années : n’attendez pas que l’école change, même avec le numérique, la question est ailleurs. Elle est probablement dans ce qui est le plus terrible méfait de notre système, il rêve d’égalitarisme et produit surtout le renforcement des inégalités, avec ou sans numérique.
Bruno Devauchelle