Que sait-on de la souffrance des enseignants au travail ? Dans quelles situations professionnelles se sentent-ils plus à l’aide ? Quelles sont celles qui sont vécues comme un cauchemar ? Si peu d’études existent sur le bien être au travail des enseignants, la revue Education & formations, publiée par l’Education nationale (n°88-89), publie un numéro dédié aux questions du climat scolaire et du bien-être à l’école, et en partie celui des enseignants. Le numéro bouleverse quelques idées reçues et pointe quelques pistes pour améliorer le ressenti des enseignants.
Le public est il plus heureux que le privé ?
Les enseignants du public sont-ils plus heureux que ceux du privé ? Nathalie Billaudeau et Marie-Noël Vercambre-Jacquot (Fondation MGEN) osent poser cette question. Et la réponse est étonnante : les enseignants du privé sont plus heureux. Par exemple, à la question « aujourd’hui, si vous deviez faire le bilan de votre expérience professionnelle d’enseignant, vous diriez-vous… ? », 26 % des enseignants du privé répondent « très satisfait » et 63 % « assez satisfait ». Ils sont respectivement 19 % et 62 % dans le public. À la question « diriezvous que depuis cinq ans, l’exercice du métier a été pour vous… ? », 50 % des enseignants du privé répondent « de plus en plus difficile » contre 60 % dans le public.
Ce bonheur du privé est un paradoxe. En effet, les enseignants du privé sous contrat n’ont pas la garantie de l’emploi que donne le statut de fonctionnaire. Ils ont une paye inférieure du fait de la différence de régime social. Le pourcentage de vacataires et précaires est nettement plus important dans le privé que dans le public. Enfin ils sont soumis à un chef d’établissement qui est un véritable patron et contraints au moins de respecter le caractère propre de l’établissement.
Une grande part du sentiment de bonheur tient aux relations avec les élèves. « En ce qui concerne la violence au travail, les enseignants du public sont plus nombreux à avoir été victimes (20 % contre 12 %) ou témoins (50 % contre 41 %) de comportements hostiles au cours de l’année scolaire », notent les auteurs. C’est que dans le privé, les élèves sont issus de familles bien plus favorisées en moyenne (34 % contre 20 % dans le public).
Les auteurs soulèvent une autre piste : « le profil de motivations des enseignants du privé diffère de celui de leurs homologues du public (données non présentées dans les tableaux et figures) : d’une part, les enseignants du privé ont plus souvent exercé un autre métier avant d’être enseignants ; d’autre part, et en cohérence avec leur plus grande satisfaction professionnelle, ils rapportent moins souvent un désir de changement que les enseignants exerçant dans le public ». Les auteurs iraient bien jusqu’à mettre une connotation religieuse dans ce profil de vie particulier des enseignants du privé, mais rien ne l’atteste.
Curieusement, les auteurs ne se sont pas demandés si les conceptions du métier d’enseignant étaient les mêmes dans le public et le privé. Il semble qu’il y ait quelques différences et que la dimension éducative du métier, en lien avec l’histoire des établissements confessionnels, soit mieux portée dans le privé. Ce qui peut influer sur les relations avec les élèves.
Est-on plus heureux dans de beaux locaux ?
Une autre piste est plus terre à terre, c’est l’état des locaux. « Les enseignants des établissements en très bon état (neuf ou presque) sont plus satisfaits que les autres, suggérant la rénovation des locaux comme voie de promotion du bien-être au travail dans le secondaire », notent ils. Il se trouve que les professeurs du privés déclarent davantage travailler dans des locaux moyens. « Autres particularités », ajoutent les auteurs, » les enseignants du privé exercent moins souvent dans des établissements de taille intermédiaire, mais plus souvent dans de petits établissements ou des cités scolaires, des établissements avec internat, des établissements implantés dans une ville-centre. »
Quelle est la taille de l’établissement idéal ?
Revenons au public : où fait-il bon enseigner se demande Cédric Afsa (Depp). L’étude montre clairement où sont les lieux de souffrance des enseignants. « L’enquête met notamment en évidence que les enseignants préfèrent travailler dans un collège du secteur privé plutôt que dans un collège public, surtout lorsque celui-ci relève de l’éducation prioritaire. En outre, ils se sentent mieux dans des établissements « à taille humaine » (autour de 400 élèves). Enfin, le climat scolaire est sensible au contexte socio-économique local : il est plus pesant dans les territoires où les familles sont exposées à des problèmes de pauvreté. »Ainsi le premier enseignement c’ets le poids du cadre dans la satisfaction des enseignants. Quand on regarde par exemple la taille des collèges on voit qu’au delà de 500 élèves par collège la satisfaction s’effondre ».
Ajoutons que les auteurs n’ont pas cherché à cartographier le phénomène. On peut pourtant le faire. Les demandes de mutation font une géographie des lieux rêves des enseignants : le Sud, l’ouest.
Est-on plus heureux quand on enseigne le français ?
Que tirer de ces études ? Que les enseignants veulent faire réussir leurs élèves. Et que la difficulté du métier tient en grande partie au fait qu’il est plus difficile d’enseigner à certains endroits. On mesure ce qu’une vraie politique de mixité sociale dans les établissements pourrait apporter. La qualité des locaux est aussi un facteur décisif. Mais les auteurs ouvrent une dernière piste intéressante quand ils interrogent le sentiment de bonheur par discipline.
Plus étonnant, les chercheurs font le lien avec la discipline. « Les agrégés semblent moins satisfaits que leurs collègues de leur activité au sein de l’établissement, tout comme celles ou ceux qui enseignent les disciplines scientifiques (mathématiques, physique-chimie, sciences de la vie et de la Terre, technologie) ou littéraires (français, lettres classiques et modernes, histoire-géographie, langues vivantes étrangères) comparativement aux professeurs d’arts plastiques, d’éducation musicale ou d’éducation physique et sportive. » Voilà une remarque intéressante car elle joue sur la représentation que chaque discipline se construit de sa place dans le système éducatif.
François Jarraud