Il y a les drones, ces jouets dont les ados sont friands. Et le projet pédagogique. Ici la ludification sert à entrainer les élèves de Segpa dans des activités de programmation et de collaboration. Double défi relevé par Julien Tixier, un jeune professeur d’EPS, qui a obtenu un prix au 8ème Forum des enseignants innovants.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Julien Tixier, je suis professeur d’EPS à l’EREA (Établissement Régional d’Enseignement Adapté) de Bonneuil Sur Marne dans l’académie de Créteil depuis 2011. Passionné depuis le collège par ce qu’on n’ appelait pas encore le numérique, j’anime aujourd’hui un blog avec Matthieu Dejean pour partager nos usages de la tablette en EPS : www.tablettesetsurvetements.fr . Je suis également engagé dans une thèse de doctorat et travaille sur les pratiques professionnelles des enseignants d’EPS, notamment celles liées au numérique. J’ajoute que le public spécifique accueilli par l’EREA implique de travailler en équipe pour avoir une connaissance fine de nos élèves. Mon investissement à l’EREA dépasse donc le cadre de mes cours d’EPS dans une approche logiquement pluridisciplinaire.
Dans quel contexte s’inscrit le projet #défidrone?
Le projet s’intègre dans les activités de l’internat éducatif de l’EREA qui accueille 4 classes de SEGPA dont la plupart des élèves sont internes. L’établissement accueille également des élèves de CAP répartis dans 6 classes pour 5 spécialités : maçonnerie, peinture en bâtiment, mécanique horticole, production florale et travaux paysagers). L’atelier a lieu tous les lundis soir de 18h à 19h et s’adresse à 8 collégiens volontaires. Comme toutes les activités proposées sur ce créneau, l’objectif est d’aborder différemment les apprentissages scolaires. Un collègue propose par exemple une activité « modélisme » dans laquelle les élèves travaillent sur une maquette de train électrique.
Mais c’est quoi #défidrone au juste?
À travers #défidrone, mon ambition est de détourner l’usage classique des drones (que l’on retrouvera sans doute massivement sous les sapins à Noël), pour initier les élèves à la programmation. Nous utilisons une application de programmation par blocs, Tickle, qui permet de programmer plusieurs types de drones comme les balles Sphero ou des mini-drones volants. L’élève doit ainsi faire le lien entre le programme qu’il écrit sur la tablette et les actions du drone. Se faisant, l’élève convoque des données mathématiques (combien de temps le drone doit rouler à 100% de sa vitesse pour parcourir 3 mètres ?), doit verbaliser le défi pour bien le comprendre, échanger avec ses camarades pour corriger son programme et manipuler le drone. Durant l’atelier, les élèves ont un défi à relever mettant le drone en action. Ils doivent ainsi créer un programme à partir d’un scénario défini. Par exemple, avec un mini-drone volant : le faire décoller, le faire avancer pour qu’il passe entre deux fils, faire demi-tour, atterrir à l’endroit d’où il a décollé. Les élèves doivent ainsi ordonner les étapes du programme, définir les paramètres de distance, de vitesse et de hauteur pour les combiner dans le programme. Lorsqu’un groupe pense avoir terminé son programme, il le teste avec le drone. En cas d’erreur, le programme est modifié puis testé à nouveau.
Au-delà de l’atelier, nous avons lancé, avec quelques collègues motivés par le projet, une plateforme collaborative pour lancer et relever des défis à travers la francophonie : defidrone.jimdo.com Cette plateforme est en fait le cœur du projet, ce qui lui donne une vraie plus-value collaborative. L’idée est de faire échanger les élèves autour de défis, lancés ou relevés à travers un compte twitter (@defi_drone). La plateforme est ouverte à tous et l’objectif est de proposer un maximum de défis pour tous les niveaux. Lorsqu’un défi est réussi par un atelier, une vidéo est réalisée puis postée sur la plateforme.
D’où vous est venue cette idée?
L’idée de départ est partie d’une réflexion avec des collègues après avoir expérimenté la programmation de drones à titre personnel. C’est Emmanuel Quatrefages, un collègue et ami, qui a le premier proposé l’idée d’une plateforme collaborative. Cela tombait bien, j’avais la possibilité de lancer un atelier dans le cadre de l’internat de l’EREA. Quelques semaines plus tard, le site était en ligne, le compte Twitter était créé et les premiers échanges de défis avaient lieu. Le forum des enseignants innovants s’est donc imposé comme un événement immanquable pour parler du projet et le faire grandir.
Comment et pourquoi associez-vous collaboration et démarche expérimentale?
La démarche expérimentale est liée à l’activité de programmation. Aussi, lorsqu’un groupe souhaite tester son programme, si je relève une erreur dans le code, je les laisse l’essayer. C’est à eux de trouver l’erreur pour corriger le programme et le tester à nouveau avec le drone. Les élèves travaillent par groupe de deux sur l’application. Ils doivent donc échanger pour construire le programme. C’est donc une « dispute élaboratrice » qui doit mener à une première vérification implicite du programme. Lors du premier essai du programme avec le drone, les deux élèves doivent observer attentivement l’exécution du programme pour repérer les endroits où le drone ne réalise pas ce qu’ils avaient prévu. Une deuxième discussion a lieu pour trouver le « bug » et corriger le programme.
La seconde forme de collaboration est plus globale puisque les élèves partagent la réussite du défi. En effet, les 4 groupes ont tous la volonté de réussir le défi en premier. Le premier groupe qui relève le défi prend un rôle de conseiller pour les autres groupes, sans toutefois donner la « réponse ». Par exemple, lorsque le mini-drone volant doit passer entre deux fils, il leur fallait trouver la balise « assigner la hauteur maximale ». Le premier binôme à avoir relevé le défi n’a pas le droit de donner cette information. En revanche, il peut indiquer qu’une balise supplémentaire serait fort utile à la réussite du défi.
Enfin, tous les binômes de l’atelier forment une seule et même équipe lorsqu’ils relèvent un défi proposé par un autre atelier à travers la France. De même lorsqu’ils proposent un défi sur la plateforme.
Partager les réussites est une valeur que vous défendez dans ce projet. Comment y parvenez-vous?
Le partage des réussites est étroitement lié à la plateforme mise en place pour organiser les échanges de défis. Le projet dispose d’un compte Twitter (@defi_drone) et nous encourageons les ateliers qui se joignent au projet à en créer un. Par exemple, les élèves de l’EREA partagent leurs réussites et leurs lancements de défis avec leur compte Twitter (@teachshoot , le même utilisé pour la twictée). Le réseau Twitter permet d’échanger rapidement avec les autres ateliers. De plus, c’est un moyen pour les élèves d’utiliser de façon responsable un réseau social qu’ils pensent connaître. Ils font attention aux images publiées et à ce qu’ils donnent à voir de leur travail. Chaque défi réussi est filmé (dans un format très court qui n’excède pas une minute) et la vidéo produite est partagée sur ce compte Twitter mais également publiée sur la plateforme collaborative.
En EREA, mes élèves de SEGPA n’ont que trop peu d’occasions de rencontrer d’autres élèves dans le cursus général. Le projet fait donc partie des rares occasions pour eux de vivre une forme virtuelle d’inclusion scolaire. Avec les collègues qui animent le projet, nous aimerions organiser une journée #défidrone au cours de laquelle pourraient se retrouver les ateliers qui participent en lançant et relevant des défis au quotidien.
Pour vous, ce prix obtenu hier, que représente t’-il concrètement?
Ce prix est une opportunité de donner plus de visibilité au projet : rendez nous donc visite sur defidrone.jimdo.com. Collaboratif par essence, #défidrone est voué à se développer pour que mes élèves comme ceux des autres ateliers puissent échanger et partager leurs réussites. Si aujourd’hui, les défis concernent principalement le niveau collège, je suis persuadé que les élèves de primaire ou de lycée pourraient lancer et relever des défis passionnants. Ce prix est donc d’abord une possibilité d’inviter tous les collègues intéressés, notamment ceux qui se lancent dans l’initiation à la programmation, inscrite dans les nouveaux programmes du collège. N’étant pas seul à l’origine du projet, je voudrais faire un clin d’œil à Emmanuel Quatrefages et à Quentin Colombo !
J’ai également beaucoup apprécié de pouvoir rencontrer des collègues que je n’avais pu croiser que sur les réseaux sociaux. C’est toujours agréable d’échanger avec des enseignants mus par la même volonté de faire avancer leurs élèves avec des moyens pas toujours conventionnels. À bientôt donc, avec ou sans drone, pourquoi pas pour parler d’éducation physique et sportive.
Propos recueillis par Stéphanie Fizailne