Par François Jarraud
Fallait-il supprimer la loi Ciotti contre l’absentéisme ? Le débat à l’Assemblée nationale, le 17 janvier, marque par l’opposition d’un ancien (Luc Chatel) et d’un actuel (G Pau Langevin) ministre de l’éducation nationale. Il frappe aussi par les arguments utilisés. C’est que dans cette affaire certains arguments semblent tabous. Le débat se joue aussi parfois à front renversé, par exemple quand Luc Chatel dénonce la censure ministérielle sur les rapports de l’Inspection…. Pourquoi fallait-il supprimer ce texte ? Que faire face à l’absentéisme ? Alors que 140 000 jeunes quittent l’Ecole sans formation reconnue, la question a une certaine importance…
Janvier 2011 : le Conseil supérieur de l’éducation vote à l’unanimité contre la circulaire d’application de la loi Ciotti sur l’absentéisme. Fait rarissime, tous les acteurs de l’Ecole, enseignants, parents, partenaires sociaux, collectivités territoriales votent contre ce texte, adopté au début de l’année scolaire, qui commence une carrière de mal aimé. La loi Ciotti prétend lutter contre l’absentéisme scolaire en supprimant les allocations familiales aux parents des enfants ayant au moins 4 demi journées d’absence irrégulière à l’école dans le mois. Janvier 2013, l’Assemblée vote en seconde lecture l’abrogation définitive de la loi au terme d’un débat agité avec l’opposition.
Une loi efficace pour L Chatel. Si l’on en croit Luc Chatel, c’est certain. En 2011-2012, 79 149 signalement pour absentéisme ont été faits. Seulement 21 964 second avertissements ont été nécessaires et seulement 619 suspensions d’allocations familiales réalisées. » Cela signifie que, au total, moins de 1 % des cas ont abouti à une suspension des allocations familiales ; en d’autres termes, 99 % des cas ont eu pour résultat un retour à l’école, ce qui veut dire que cette loi est efficace », s’écrit l’ancien ministre. Mieux encore, il met en demeure la ministre de produire un rapport de l’Inspection générale sur ce sujet, ce qu’elle refuse. L’ancien ministre qui assume devant l’Assemblée avoir empêché la publication de nombreux rapports met dans l’embarras le ministère Peillon qui s’est présenté comme celui de la transparence… » Vous êtes mal placé pour en parler, car, de votre temps, les rapports eux-mêmes n’étaient pas publiés ! », rétorque G Pau-Langevin ». « Mais moi, je l’assumais ! », répond Chatel…
La réponse de G Pau-Langevin. « Sur ces 619 allocations suspendues, seulement 142 ont été reversées aux familles dans les mois qui ont suivi parce que l’élève était revenu à l’école », précise G Pau Langevin. « Cela signifie que, dans tous les autres cas, pour 80 % des 619 élèves dont vous avez suspendu les allocations, votre dispositif a échoué…. La suspension des allocations familiales arrive trop tard et elle ne sert à rien, car elle ne ramène pas les enfants à l’école ! Dans 90 % des cas, ce qui compte, c’est le dialogue avec la famille », affirme la ministre. Elle révèle aussi que la majorité des suspensions ont eu lieu dans un seul département : celui des Alpes maritimes dont un des élus est M. Ciotti… » De notre côté, nous proposons de réunir (l’équipe éducative) autour du jeune avec un regard bienveillant en essayant de voir où les choses ont dérapé et comment on peut l’aider à traverser une mauvaise passe. Vous, au contraire, vous tentez de culpabiliser les familles et de les sanctionner. L’approche est, à l’évidence, très différente », souligne G Pau Langevin. « Si vous aviez eu à vous occuper d’enfants adolescents, monsieur Ciotti, vous sauriez parfaitement qu’on peut être très intelligent et avoir un niveau bac + 12, sans être pour autant moins désemparé face à la crise d’adolescence… On trouve dans toutes les couches de la société des gens qui ont connu ces difficultés et qui savent qu’alors on ne roule pas des mécaniques. Venir donner des leçons aux parents, c’est faire preuve de beaucoup de présomption », assène-t-elle. La ministre montre aussi le caractère injuste d’une mesure qui touche toute une famille à cause d’un de ses membres et n’a d’effet que sur les familles à revenus modestes.
La loi Ciotti a-t-elle fait ses preuves ? La première certitude c’est que son application n’a pu empêcher la montée de l’absentéisme depuis 2010. Mais il faut surtout souligner son caractère iréaliste par rapport à la réalité du phénomène. Les statistiques officielles de l’éducation nationale reconnaissent 3% d’absentéistes dans les collèges, 7% dans les lycées généraux et 15% dans les lycées professionnels. On est très loin des 80 000 signalements et des 649 suspensions ! Comme le fait remarquer le rapporteur du projet de loi, Sandrine Doucet, » dans un lycée professionnel sur dix, il a dépassé 40 % en janvier 2011. Selon les témoignages recueillis par la mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance, il faudrait, pour appliquer les textes à la lettre, que les proviseurs ou leurs équipes signalent parfois aux autorités académiques l’absence de la quasi-totalité des élèves, ce qui est matériellement impossible ». La loi Ciotti était vouée à l’échec déjà parce que totalement coupée de la réalité du système éducatif.
La répression exercée sur les parents est-elle efficace ? Le Royaume-Uni applique des sanctions financières et même la prison pour les parents d’élèves absentéistes. De 2005 à 2007, pas moins de 133 parents ont été embastillés pour cette seule raison. Et près de 8 000 amendes sont distribuées chaque année. Pourtant, les statistiques de l’absentéisme scolaire montrent une montée régulière d’année en année, preuve de l’inefficacité de cette politique des sanctions. C’est que l’absentéisme a des causes nombreuses, certaines étant parfaitement légitimes comme la volonté d’échapper au harcèlement, la nécessité de travailler, une situation familiale difficile, une orientation désastreuse. L’échec scolaire y tient évidemment une place importante. La crise de la parentalité qui sous-tend la loi Ciotti est d’ailleurs contestée par les sociologues qui montrent plutôt que les parents encadrent davantage leurs enfants que dans le passé. Ainsi les jeunes passent plus de temps avec leurs parents : 70% passent régulièrement du temps avec leur mère, contre 62% en 1986. 85% des parents veulent savoir où leurs enfants vont. C’était 79% en 1986. Les chercheurs incriminent la pression des groupes de jeunes et la culture jeune. Pas les parents. Punir les parents ne sert donc à rien.
Que faire contre l’absentéisme ? La nouvelle loi adoptée par l’Assemblée prévoit une rencontre avec la famille et la nomination d’un personnel d’éducation référent pour suivre l’élève. Une étude de janvier 2011 du Conseil européen préconise des politiques de prévention comme « le fait d’augmenter l’offre pédagogique en prolongeant la durée de l’enseignement obligatoire ou en prévoyant des garanties d’éducation et de formation au-delà de l’âge auquel l’enseignement est obligatoire » et « la mise en oeuvre de politiques de déségrégation actives ». Le Conseil souhaite aussi des interventions individuelles comme » les mesures de soutien financier comme les allocations d’études luttent contre l’abandon scolaire motivé par des raisons financières. Ce soutien pourrait être subordonné à une présence régulière ou avoir un lien avec les prestations sociales familiales ».
Une nouvelle approche gouvernementale. « Dès que la loi permettra d’abandonner le dispositif actuel, nous allons faire en sorte qu’on puisse effectivement analyser au plus près les causes de l’absentéisme, favoriser la réactivité des services et veiller à ce que la procédure judiciaire ne puisse s’engager qu’en dernier recours », promet G Pau-Langevin. La ministre propose une nouvelle approche qui ne stigmatise pas les familles mais les aide. Mais la vraie réponse à l’absentéisme c’est changer l’Ecole. C4est ce que V Peillon et G Pau Langevin ont mis en avant le 4 décembre 2012 en présentant le plan de lutte contre le décrochage, cet aboutissement de l’absentéisme. » Avant de guérir il faut prévenir : la refondation de l’école est la réponse au décrochage », dit-il. « Les difficultés commencent en grande section de maternelle et on transforme les difficultés en échec. Elles finissent par devenir de l’exclusion », a dit V Peillon. Sans remède miracle contre .l’absentéisme, le ministère s’engage dans la voie difficile de la lutte contre l’échec scolaire.
François Jarraud
La loi adoptée
http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0079.asp
Débat parlementaire
http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/2013[…]
Débat parlementaire 2
http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/201[…]
Le vote de 2010
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/leleve/Pages/201[…]
La journée contre le décrochage
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/12/05122012A[…]
Niée encore parfois par des enseignants, la phobie scolaire est une pathologie touchant 1% de la population scolaire. Le décrochage, lui, est une difficulté d’apprentissage concernant 10 à 12% des élèves entrant au collège. Le Dr Nicolas Girardon, responsable du service de pédopsychiatrie pour adolescents de la clinique de la Fondation Santé des étudiants de France (FSEF) à Neufmoutiers-en-Brie en Seine et Marne, évoque la souffrance à l’Ecole et ses conséquences. Un sujet qui a à voir avec l’absentéisme…
Qui sont les jeunes parmi lesquels vous exercez ?
L’établissement accueille environ 200 jeunes scolarisés du collège au lycée, en hospitalisation complète ou en hôpital de jour, dans trois spécialités : Pédopsychiatrie, Médecine Physique Réadaptation et Médecine de l’adolescent. Les patients ont entre 11 et 20 ans avec une moyenne d’âge de 15 ans.
Leur souffrance est spécifique …
Faire face aux transformations quand un handicap nécessite un appareillage (fauteuil roulant, béquilles, prothèse, corset …) avec les répercussions sur le regard des autres, suppose une bonne estime de soi, ce qui est loin d’être la règle dans la population que nous accueillons. Ces adolescents gèrent alors moins bien leurs émotions, deviennent intolérants aux frustrations et sont entravés dans leurs difficultés de mentalisation. Quand l’enfant a du mal à se faire une représentation de sa maladie du fait de ses difficultés d’abstraction (pensée formelle au sens de J. Piaget), son comportement vis-à-vis de son traitement médical (par exemple) peut aller à l’encontre de ses besoins.
Que disent de leur scolarité ces adolescents ?
L’école, du fait de ses exigences intellectuelles et organisationnelles (ses rapports à l’espace-temps), met à l’épreuve ces enfants fragilisés narcissiquement dans leurs aptitudes à penser, se concentrer et tenir en place physiquement. Ce qui est vrai pour les maladies somatiques peut se décliner pour les troubles psychiatriques dont les conséquences négatives risquent de contrarier électivement les processus d’apprentissage et de socialisation.
Aiment-ils l’école ?
Ces jeunes ne disent pas du mal de l’école. Ils ne rendent finalement que rarement responsables les professeurs dont ils dépendent pour réussir. Ce serait plutôt le cas de certains parents d’être particulièrement hostiles à l’école, parce qu’ils parlent en réalité de leurs mauvaises expériences personnelles. Certains d’entre eux ont dû quitter le système scolaire prématurément et ils projettent sans toujours le savoir, leurs souvenirs personnels sur ce que leur enfant est en train de vivre à propos des études.
Les personnes qui s’occupent de la souffrance scolaire des jeunes sont parfois soupçonnées d’apurer leur propre passif (passé) avec l’école …
J’ai moi-même connu une certaine « souffrance » par périodes à l’école. Cette sorte de souffrance qui permet à chacun d’évoluer et de dépasser les étapes de développement maturatives ou les crises (comme les déceptions et deuils pour ne citer qu’eux). Elle est inhérente à la condition humaine bien que ce soit une souffrance susceptible de devenir pathogène du fait de son intensité, de sa durée et de son auto-renforcement. Dans mes souvenirs d’écolier, je retiens des passages délicats comme l’entrée au collège, puis au lycée. Comme j’étais né en avril mes parents m’avaient fait rentrer au CP avec une année d’avance. Jusqu’en classe de première, mon jeune âge et ma relative petite taille ont été problématiques à certains moments, notamment à chaque rentrée scolaire lorsqu’il faut s’intégrer au groupe classe. Néanmoins cela ne m’a pas empêché d’aimer travailler puis d’étudier longtemps !
De nombreux colloques, une multitude de parutions sont consacrés à la « phobie scolaire »…
On peut distinguer la phobie scolaire qui est une pathologie finalement assez rares (1% des enfants et adolescents en âge d’être scolarisés), du décrochage scolaire qui représente peut-être 10-12% des élèves à l’entrée au collège) dont l’origine est à chercher dès l’école primaire. Pour les décrocheurs, certaines difficultés d’apprentissage ont démarrée en CP ou CE, elles ont des origines psychoaffectives, neuropsychologiques, familiales voire sociales et « culturelles ». Je pense que la prévention de cette forme de décrochage, à l’adolescence, passe avant tout par une guidance parentale précoce, notamment autours de l’idéologie concernant les processus d’autonomisation de l’enfant. D’une part en donnant aux enfants un sentiment de sécurité interne. D’autre part en développant une curiosité intellectuelle par des médiations comme par exemple la lecture d’histoires au moment du coucher.
Comme définir la phobie scolaire ?
La phobie scolaire est un symptôme qui cache autant qu’il ne montre car ce qui reste sous-jacent ce sont bien une angoisse de dévalorisation et une anxiété de séparation entraînant un agrippement de l’enfant à sa mère, puis au bout d’un certain temps, produisant un bloc mère-enfant plus ou moins compact. L’école sert alors de révélateur à une organisation de la personnalité fragilisée par les remaniements psychiques de l’adolescence. Le sujet, confronté à la transmission du savoir, n’arrive plus à lier positivement exigence pulsionnelle et sauvegarde narcissique. Il existe probablement « des » phobies scolaires et en pratique on rencontre tous les degrés de gravité en terme de pronostic et de fragilité de la personnalité.
La poursuite ou la reprise des études semble primordiale ?
Il paraît indispensable de travailler sur la réalité extérieure (environnement familial, amical et scolaire) de ces jeunes et sur les enjeux d’autonomisation à cet âge car les soins qui ne s’intéressent pas au comportement ne suffisent pas. Il nous semble délétère en effet de laisser un élève trop longtemps déscolarisé à la maison et il appartient au praticien qui en a la responsabilité de créer les conditions d’une remobilisation des investissements scolaires par un travail en réseau cohérent et durable.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
« Quoi de plus facile a priori que de gérer l’absentéisme des élèves ? Un élève est là ou il n’est pas là… mais tout n’est pas si simple ! » Au lendemain de l’abolition de la loi Ciotti, Sophie Divay se penche pour le Céreq avec réalisme sur la réalité de l’absentéisme et de sa gestion dans une vingtaine de lycées professionnels.
« Tous les interlocuteurs rencontrés, soulignent le fort absentéisme des élèves. Des illustrations concrètes permettent de mieux appréhender le phénomène : « une conseillère d’éducation dresse ce constat : sur 1000 élèves, c’est 700 courriers qui partent en fin de semaine, pour ce proviseur « c’est tellement énorme que certains élèves sont à 30 demi-journées après 5 ou 6 semaines de cours, soit un tiers d’absence au 15 octobre… ». Tous les acteurs affirment qu’il leur est impossible d’effectuer des signalements à partir de quatre demi-journées « Si on signalait les absentéistes à quatre demi-journées, on signalerait 90% de nos élèves ! « . Voilà pour le réalisme de l’ex loi Ciotti !
Tous les services de la Vie Scolaire sont dotés de logiciels spécialisés dans la gestion des absences, mais qui diffèrent d’un établissement à l’autre, Gratuits, payants ou fait maison, ces outils de gestion sont le plus souvent source de confusion. Leurs usages et l’interprétation des critères de classement varient au quotidien. Le plus problématique est sans doute le comptage des retards. Un élève en retard n’est pas un élève absent. Et comment enregistrer les absents de l’intérieur ? Dans tous les établissements, il y a des cas d’élèves pour lesquels le lycée offre un lieu de rencontre avec des copains mais aussi la possibilité de manger à midi en semaine. Absent, présent ? Absent en cours certes, mais présent au lycée. Après le comptage, reste le recueil des justifications d’absence. D’après les professionnels, peu d’élèves ont le reflexe de justifier leur absence.
« La gestion de l’absentéisme dans les lycées professionnels se heurte à un problème de règles. Règle de présence obligatoire que les élèves ne suivent pas. Règles officielles que les professionnels ne peuvent ou ne savent pas appliquer. Mais aussi, inexistence d’un partage de règles entre professionnels qui travaillent souvent de façon cloisonnée. Les Groupes d’aide à l’insertion, que l’expérimentation sociale tente d’instituer, pourraient fournir un lieu de mise en commun non seulement d’informations sur les élèves, mais également d’un ensemble de règles co-construites et constituant une « jurisprudence » à même d’homogénéiser leur application. La bonne volonté des professionnels ne saurait cependant suffire car elle est jusqu’à présent fondée sur une forte implication bénévole ou rémunérée forfaitairement selon les décisions locales prises par les chefs d’établissement. Une véritable reconnaissance symbolique et financière est donc nécessaire. »
Les Brefs du Céreq
Céline Branchu est directrice de l’école élémentaire du groupe scolaire Paul Langevin de Champs sur Marne dans laquelle sont scolarisés dix huit enfants roms depuis novembre dernier. Dans une situation précaire, leurs familles risquent de voir leur campement détruit d’un jour à l’autre. La porte de l’école se refermera alors pour s’entrouvrir peut être ailleurs, dans une errance scolaire peu propice aux apprentissages. Céline Branchu nous raconte, entre colère et tristesse, la brève histoire de la rencontre entre son école et ces enfants qui voudraient simplement être des enfants comme les autres.
Le 15 novembre dernier, Céline Branchu est avertie par son inspecteur que des parents viendront accompagnés de représentants d’associations pour que leurs enfants soient inscrits à l’école dans le respect de la nouvelle circulaire mise en œuvre par Vincent Peillon. Dix huit nouveaux élèves intègrent le groupe scolaire. Deux enseignants spécialisés viennent épauler l’équipe. Des évaluations sont menées pour déterminer la classe dans laquelle chaque enfant sera accueilli. Les critères sont fixés par l’équipe pédagogique en fonction de l’âge, du degré de maitrise du français, des connaissances déjà acquises. Quatre enfants sont orientés vers une classe d’initiation pour élèves non francophones (CLIN). Les enseignants rencontrent les parents pour leur expliquer le fonctionnement de l’école, les horaires, le déroulement des cours. Le contact permet d’instaurer un début de confiance avec des familles que l’errance et la précarité ont émoussée.
Tout semble se passer pour le mieux sauf que Céline Branchu ne peut inscrire les quatorze nouveaux élèves dans la Base Elèves. « La mairie ne souhaite pas les faire figurer dans ses effectifs ne les considérant pas comme enfants de la commune, la cantine ne leur est accessible qu’au tarif extérieur, c’est-à-dire douze euros par repas », raconte Céline. Les rapports avec la mairie sont tendus. Il est même reproché aux enseignants d’avoir rempli des bidons d’eau à l’école pour aider une maman. Pour la ville, la fréquentation de l’école ne peut être que provisoire, pour l’équipe pédagogique, l’éducation se vit sur la durée et l’équité.
Au fil des jours, le dialogue s’instaure entre l’école et les familles. Confier les enfants à des personnes extérieures n’est pas simple surtout qu’ils contribuent en faisant la manche à la survie de la famille. Les laisser aller à l’école est un pari sur l’avenir pour sortir de la fatalité de la précarité. Et puis, la menace des évacuations du camp fait craindre la séparation, l’éclatement de la famille. Céline Branchu est invitée au campement, un lieu dépourvu d’eau courante, « surprenant de chaleur, de propreté, d’humanité » nous dit elle. Elle fait connaissance avec un univers dont elle ignorait tout. Elle découvre que les roms n’ont pas accès aux services sociaux, ni aux associations caritatives qui leur permettraient d’avoir des repas comme les Restos du Cœur ou le secours populaire puisqu’ils n’ont pas de papiers qui attestent de leur pauvreté. Ils ne peuvent pas travailler non plus. Des associations comme Médecins du Monde ou Ville-Hôpital leur viennent toutefois en aide pour les aspects médicaux. Des initiatives individuelles ou collectives de solidarité naissent aussi ça et là.
Les enfants s’intègrent dans les classes, s’investissent dans les apprentissages. Certains ne sont jamais allés à l’école, le chemin sera long pour acquérir les bases. Puis à la rentrée la nouvelle tombe, sur décision de justice, le campement doit être évacué puis détruit. Petit à petit les familles le désertent pour aller ailleurs, trouver un autre endroit où s’installer quelques temps avant de repartir, une vie d’errance. Seules celles qui ont des enfants scolarisés décident de rester jusqu’au bout pour ne pas rompre le lien, ne pas éteindre la lueur d’espoir d’intégration allumée par l’entrée à l’école. Et jusqu’au bout c’est sans doute jusqu’aux jours prochains car la date fatidique approche. Pour faciliter une future entrée dans une autre école, Céline Branchu souhaite leur délivrer un certificat de scolarité. Cette simple opération s’avère impossible sans inscription dans Base Elèves. Alors, l’incompréhension gagne dans l’équipe pédagogique.
« Nous ne discutons pas les aspects politiques de l’affaire, nous sommes simplement en face d’une contradiction que nous ne comprenons pas. D’un côté on nous demande d’appliquer une circulaire pour scolariser les enfants roms et de l’autre ces enfants ne sont pas reconnus comme des élèves à part entière ». Céline Branchu rajoute en souriant « J’ai des collègues qui ont risqué la sanction en refusant d’inscrire leurs élèves dans Base élèves, moi je serais peut-être en situation de désobéissance en inscrivant les miens ».
A vivre au quotidien, la situation est difficile. Les enfants s’interrogent, comment iront ils à l’école demain. Le mince fil de confiance, le ténu lien social, qui commençaient à se tisser semblent bien fragiles face à l’incertitude. L’école toute entière est en émoi. Au cours de la semaine prochaine, 14 élèves disparaitront des effectifs, ne se mêleront plus aux autres enfants dans la cour, ne gouteront plus la joie d’apprendre. Ils ne seront plus là sans que personne ne sache s’ils pourront continuer ailleurs ce qu’ils ont commencé à Champs sur Marne, devenir des enfants comme les autres. « Instruire tous les enfants fait partie de notre mission, lui donne du sens. ». Avec le passage des enfants Roms ; Céline Branchu et ses collègues ont ravivé ce sens. Alors cet au revoir brutal leur semble douloureux.
Monique Royer
A propos de la circulaire sur la scolarisation des enfants roms
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