Par François Jarraud
Comment parents et enseignants pourraient-ils faire alliance dans l’intérêt des enfants ? Dominique Sénore, directeur adjoint d’IUFM, regroupe dans ce petit livre à la fois des pratiques de terrain, notamment celles de stagiaires, des analyses d’experts et des regards extérieurs : ceux de parents, de pédagogues. Tout cela apporte une réponse aux questions que les enseignants se posent. Comment organiser la première réunion avec les parents ? Comment faire connaître les apprentissages des enfants ? Comment renseigner le carnet scolaire ? Comment conduire un entretien avec les parents ? Avec un objectif central : comment créer de la confiance ?
Écrire sur la relation enseignants – parents est forcément un exercice difficile en France où l’École n’a jamais été construite sur cette relation. Pourquoi faudrait-il que les enseignants se soucient du rapport avec les parents ?
Ma première réaction serait celle de dire que c’est un devoir. Les parents d’élèves, pour moi, sont des partenaires avec lesquels nous avons (nous les enseignants, les inspecteurs, les directeurs et directrices…) le devoir de travailler. Cette conviction, je la tiens sans doute de mon passé professionnel dans ce que nous appelons l’éducation spécialisé. J’y ai rapidement compris que chacun des professionnels (de l’éducation nationale, de la santé, etc.) partageaient, avec les parents et les enfants, une part de l’information sur chacun des élèves. Pour réussir à mettre en place un véritable projet pédagogique et éducatif au bénéfice de l’apprentissage de chaque élève, il était nécessaire d’échanger nos informations, toutes parcellaires, pour permettre à chacun de construire un projet professionnel encore plus efficient. Les 3 enseignants (Rémi Castérès, Yannick Joyeux et Céline Suzanne) qui nous ont offert leur témoignage dans le livre l’ont bien compris, ils œuvrent réellement pour que l’alliance, entre les professionnels de l’enseignement qu’ils sont, avec les parents des élèves soit plus forte que la défiance, quasi normale au début d’une relation somme toute forcée.
Vu des parents, l’école c’est le souvenir qu’ils en ont gardé (pas toujours bon !) et les notes. Peut-on s’appuyer sur ces éléments pour nouer la relation ?
À cet égard, le travail de fourmi réalisé par Rémi Castérès est exemplaire ! Les parents, comme chacun/e d’entre nous, ont tous une opinion ou un souvenir sur l’école. Ce souvenir n’est pas toujours flatteur ou valorisant. C’est pour cela qu’il convient, quand on est directrice ou directeur, professeur, d’ouvrir sa porte et de proposer aux parents des rencontres et des moments d’échanges. Les notes, qui représentent pour les parents le moyen de savoir où en sont leurs enfants sont une clé… Le fait de les supprimer pour offrir un autre mode d’évaluation perturbe certainement les parents, dans un premier temps. « Avant, nous a dit un père d’élève, je savais où en était mon fils. S’il avait plus que la moyenne ça allait. En dessous, c’était privé de télé sans discussion ! ». Préférer des annotations et des propositions rédigées plutôt que des notes exige davantage de temps de la part des enseignants ; d’une part pour les écrire de manière à ce qu’elles apportent de l’information utile aux élèves, d’autre part pour expliquer aux parents tout le travail effectué par leur enfant. À Saint-Didier sous Riverie, les enseignants ont ouvert l’école de nombreux samedi matin, en soirée ou juste après la classe, pour parler avec les parents et expliquer les nouvelles modalités d’évaluations mises en place. Finalement, ces dernières ont parfaitement été comprises et même appréciées.
Ne nous y trompons pas ! En ce moment, on essaie de nous faire croire que le pilotage se fait par les résultats ; il n’en est rien, le pilotage se fait par les performances des élèves (un score réussi à un moment donné). Je crains que nous nous fourvoyions dans ce système qui nie, à terme, le bien fondé du travail de l’enseignant. Chacun/e d’entre nous qui enseigne ou a enseigné sait pourtant l’influence bénéfique d’un/e prof et d’une pratique pédagogique sur l’apprentissage et la compréhension d’un /e élève ; sur le fait qu’il/elle parviendra, quelle que soit au final sa performance, à montrer qu’il/elle a appris et compris ce qu’on lui enseigne.
Comment signifier aux parents qu’ils sont bienvenus ? Et comment faire venir ceux qu’on ne voit jamais ?
Faire venir les parents « qu’on ne voit jamais » est assurément la tâche la plus difficile. Je crois que les propositions présentées dans le livre, les témoignages des enseignants mais aussi les regards croisés et l’enquête inédite présentée à la fin de l’ouvrage, offrent des pistes très prometteuses qui pourront aider les collègues enseignants dans les écoles. On ne peut échanger qu’avec des personnes avec lesquelles on partage un projet commun ! Aussi, est-il vain, nous le savons et cela est démontré maintenant (lire l’enquête de Georges Fotinos et l’article de Jacqueline Costa Lascoux), de croire que les parents franchiront le portail de l’école uniquement pour entendre des consignes et des remontrances…
Si nous ne leur proposons pas des objets de travail et de réflexion, ils resteront sur le trottoir, à la porte de l’école. Aussi, aborder avec eux la question de l’aide aux devoirs (interdits mais qui persistent) ; proposer de tester les sites Internet à éviter et ceux à conseiller ; présenter des jeux vidéos et expliquer en quoi ils peuvent être nocifs ou, au contraire intéressants ; réfléchir à l’impact des publicités vues à la télé et discuter des programmes visibles pour mieux les sélectionner ; expliquer la différence entre apprendre par cœur et savoir une leçon ; informer sur ce que l’on entend par « relis bien ce que tu as écrit » et dire ce que l’on en attend ; etc., sont autant d’activités qui peuvent « faire venir les parents » dans les écoles (lire les propositions de Sylvain Grandserre et de Philippe Meirieu).
Il ne faut pas oublier aussi le travail et l’implication des collectivités territoriales et de tout le tissu associatif qui devraient pouvoir utiliser, sous certaines conditions, les locaux quand ils sont libres…
Les profs sont rarement formés à cette relation avec les parents. Or elle n’est pas toujours facile. Comment peut-on apprendre cela ?
Vous pointez là une question clé ! La formation est indispensable pour mettre en œuvre une relation efficiente avec les parents d’élèves. Savez-vous combien de temps passent les élèves, dans les écoles de commerce ou de management, à travailler la communication et la relation avec ceux qui seront, plus tard, leurs clients ou leurs collaborateurs. Nous n’avons pas, dans l’Éducation nationale, de clients et c’est heureux. Faisons en sortent que les parents soient des collaborateurs !
Concernant la formation, ne devrions nous pas avoir, a minima, l’exigence respectueuse, pour les élèves et leurs parents, de former les enseignants à travailler avec les parents d’élèves, dès lors que nous savons que, de la qualité de cette relation dépend la réussite des élèves les plus fragilisés par le système ? Les IUFM, s’appuyant sur le cahier des charges de la formation défini par le ministère de l’Éducation nationale, avait la possibilité, jusqu’à présent, de proposer des modules de formation (Jean-Louis Auduc, de l’IUFM de Créteil, qui a mis en valeur dans l’ouvrage les trois témoignages des enseignants, a fait un gros travail dans ce sens avec une fédération de parents d’élèves. Georges Fotinos, à travers ses travaux et l’étude qu’il nous propose, montre aussi la nécessité de telles formations).
Les fédérations de parents d’élèves auront, j’espère, la possibilité de faire entendre leur voix pour participer, aux cotés des universitaires et des représentants des Recteurs, à l’organisation de la formation initiale et continue des futurs professeurs des écoles. L’alliance plutôt que la défiance en dépend ! C’est en tous les cas ce qu’ils disent souhaiter, dans le livre
Peut-on éviter la question institutionnelle de la place de parents dans l’École ?
Franchement, je crois au contraire qu’il convient d’institutionnaliser la place des parents. En effet, c’est bien parce que nous aurons un cadre, le plus clair et le plus précis possible ; c’est bien parce que nous parviendrons à faire en sorte que les parents d’élèves soient considérés comme des acteurs à part entière de la communauté éducative et pédagogique, qu’un véritable partenariat de coopération pourra s’installer avec les enseignants et les directeur dans l’École.
Je pense qu’il ne serait pas sot de reconnaître les « parents d’élèves » et de leur accorder un véritable statut, approchant celui des représentants des personnels (c’est une proposition que fait aussi Philippe Meirieu). Ce statut leur permettrait sans doute d’avoir du temps et des moyens pour rencontrer plus facilement celles et ceux qui sont le plus loin de l’École, d’entendre leur point de vue et leurs questions.
J’ai toujours pensé qu’il fallait échanger avant d’espérer pouvoir changer. Nous aurions là une excellente opportunité de comprendre où sont les nœuds. Pour mémoire, les parents élus des fédérations, toutes confondues, ne représentent actuellement pas plus de 30 à 35 % des parents d’élèves (FCPE, PEEP, UNAAPE) !
L’ouvrage réussit un excellent équilibre entre des remontées de terrain, et particulièrement d’enseignants débutants, et des analyses de pédagogues et de représentants des parents. À la lecture des témoignages, peut-on penser que ces collègues débutants vivront des évolutions sur ce terrain d’ici la fin de leur activité ?
Merci pour ce compliment. C’est vraiment ce que j’ai souhaité au moment de construire cet ouvrage. Il n’était pas question de faire un livre de plus sur la relation « Familles /École ». Il s’agissait, au contraire, de proposer des témoignages de pratiques professionnelles ayant fait leurs preuves, d’accepter de les soumettre à des experts pour qu’ils en tirent le miel et ensuite, alimenter la discussion autant que le débat par des prises de position sincères et vraies et finir par une étude inédite, afin que les lecteurs se voient confortés dans ce qu’ils proposent et, éventuellement, offrir des propositions et des idées à mettre en œuvre dans leur contexte professionnel. Je remercie chaleureusement chacune et chacun des auteurs qui ont accepté ce pari difficile et, au final, pleinement réussi.
Cela étant, la question que vous posez est bien complexe. Les enseignants qui ont témoigné dans le livre ont mis en place, dans leur école ou dans leur classe, une action qui favorise effectivement l’alliance avec les parents ; une action qui fait reculer la défiance des uns (les parents) envers l’autre, le/la professeur de leurs élèves mais aussi la défiance du/dela prof envers les parents de « ses » élèves… Ces enseignants là sont convaincus du bienfondé de ce qu’ils ont fait puisque les résultats obtenus sont positifs et que le climat s’est embelli.
Mais je sais le poids et les freins du quotidien, je sais aussi la fatigue et la lassitude de quelques un/e/s de nos collègues, professeurs et directeur/trice/s, confrontés à des problèmes professionnels vraiment lourds. Aussi je fais confiance aux fédérations de parents d’élèves qui ont participé à la rédaction de ce livre, tout autant que dans l’engagement des formatrices et des formateurs qui défendent, à chaque instant, une véritable formation pour les futurs professeurs. L’alliance avec les parents d’élèves est, je l’espère, plus accessible que la quête du Graal ! Je crois en la force de conviction des parents et des professeurs pour le faire entendre, au moment où l’on met en place les groupes de travail, auprès des universitaires qui doivent penser les futures maquettes des masters des métiers de l’éducation et de l’enseignement qui feront office de formation pour les futurs lauréats des concours mais aussi dans les inspections académiques qui elles doivent définir, dès à présent, une véritable formation, tout au long de la vie professionnelle, pour les enseignants qu’elles emploient.
Je ne sais pas dire, bien évidemment quelles seront les évolutions que connaitront les enseignants débutants tout au long de leur carrière. Je ne suis pas démesurément optimiste mais espère tout de même que la raison l’emportera et que l’on ne sacrifiera pas leur formation professionnelle. L’avenir scolaire des élèves en dépend, tout comme l’avenir professionnel des enseignants !
Dominique Sénore
Entretien : François Jarraud
Dominique Sénore (dir.), Parents et profs d’école, De la défiance à l’alliance, Chronique sociale, Lyon, 2009, 128 p.
Présentation de l’ouvrage
http://www.chroniquesociale.com/index.php?ID=1011991&d[…]
Voir aussi
Les relations parents-école, vidéo de Cap Canal
http://www.capcanal.com/capcanal/sections/fr/videos/cap_info[…]
Le Guide de la rentrée du Café pédagogique – Edition parents