La force et l’intérêt des réseaux sociaux ne s’arrêtent pas à capter l’intérêt de nos élèves pour les mettre au travail. Ils participent également à la création de savoir en réseau par des chercheurs ou des enseignant-e-s. De nouvelles communautés professionnelles se forment ainsi. Au final, faut-il en avoir peur, se crisper et les rejeter ou les aborder lucidement en se demandant quelles règles appliquer pour les gérer et se préserver au mieux ?
1° Flickr pour documenter des images d’archives.
Dans une perspective numérique et de réseautage, le projet Culture visuelle [1] est certainement un des projets les plus enthousiasmants dans le domaine de la recherche francophone en Sciences humaines. Culture Visuelle a été initié par André Gunthert dans le cadre du Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine (Lhivic/EHESS), Ce projet se définit comme le premier média social d’enseignement et de recherche. Axé sur les principes du web collaboratif et des collaborations horizontales et non plus verticales, Culture Visuelle s’appuye sur une ferme de blogs de chercheurs, d’enseignants et d’étudiants qui travaillent et dialoguent à ciel ouvert. La plate-forme propose une publication collaborative, placée sous le pilotage d’un comité d’édition. Elle dispose d’un réseau social ouvert aux lecteurs et expérimente divers outils de recherche, de veille et d’édition multimédia. [2]
Dans un article récent [3], Patrick Peccatte illustre concrètement le fonctionnement et l’intérêt d’une telle démarche. Dans cet article, Patrick Peccatte s’intéresse à la redocumentarisation des images d’archive à l’heure de l’internet social et de la diversité des sources mises ainsi à disposition. Pour illustrer la recomposition documentaire évoquée, Patrick Peccatte propose à son lecteur un parcours au travers des photographies prises et publiées par Robert Capa_ lors de la bataille de Normandie_. Mais surtout, pour réaliser ce travail, il a pu s’appuyer notamment sur les photos publiées sur flickr par PhotosNormandie. [4]
Outre l’intérêt du travail en lui-même sur les photos de Robert Capa, la publication d’un corpus d’images sur une plate-forme collaborative et d’échanges a généré un tel travail et des échanges fructueux entre l’équipe de Photos et Patrick Peccatte. D’autre part, l’enseignant-e a désormais à sa disposition le matériel, des éléments de réflexion et un résultat concret de ce précieux et intéressant travail. Elle/il a également accès à des travaux de chercheurs portant sur ces mêmes objets qu’il/elle aurait de la peine à mener seul dans son coin. L’enseignant-e peut alors mieux se concentrer sur le dispositif d’enseignement-apprentissage à réaliser avec un tel matériel.
J’aime à imaginer une étape supplémentaire. En effet, un travail collaboratif pourrait s’établir entre enseignant-e-s et archivistes/documentalistes/chercheurs pour élaborer un matériel scientifique utilisé dans un cadre pédagogique ainsi qu’un ou plusieurs scénarios d’exploitation du matériel en classe d’histoire.
2° Robin des bois, Facebook et la tapisserie de Bayeux
Le week-end dernier de l’Ascension nous étions plusieurs à nous rendre dans les salles obscures pour une séance en compagnie de Russel Crowe (Robin des Bois) dirigé par Ridley Scott. A la sortie de la séance, nous avons également été plusieurs à faire des parallèles entre ce film et d’autres films historiques réalisés par le même Ridley Scott ou d’autres réalisateurs. Plus particulièrement, nous avons été plusieurs a faire un rapprochement entre les barges de débarquement du film de Ridley Scott avec celles de Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg.
Pour ma part, cela a été matière le lendemain d’un billet relatif à mes impressions sur le vif. [5] La publication de mes billets est automatiquement répercutée sur ma page Facebook. Au même moment, Rémy Besson (Lhvic) avait des idées comparables en tête. D’où la publication du message suivant sur son profil : “qui va se risquer (pas moi) à écrire le billet sur le débarquement dans Robin des bois comme reconstruction de celui du Soldat Ryan… il n’y a pas plusieurs siècles d’écart entre les deux… juste 12 ans…”
A la suite de cette publication, la discussion s’engage à plusieurs et, deux jours plus tard, aboutit à la rédaction d’un article par Rémy Besson. [6]
3° De 140 caractères à la publication d’un article dans les Cahiers pédagogiques
Depuis une année, Caroline Jouneau-Sion et Caroline d’Atabekian coordonnent un numéro des Cahiers pédagogiques sur le Web 2 à l’école qui sortira en juin prochain. Début avril 2010, au moment du bouclage, elles s’aperçoivent que si le numéro comporte plein d’articles sur le web 2 pour les élèves, en classe, il n’y a rien sur ce que le web 2 apporte aux professeurs au niveau professionnel. Plutôt que de l’écrire seules dans leur coin, Caroline Jouneau-Sion propose alors de l’écrire collaborativement.
L’article sera rédigé grâce à Etherpad, un traitement de texte collaboratif en ligne, et à Skype par des enseignants sollicités sur Twitter et sur le Ning des Clionautes. [7] En plus des deux Caroline, seize autres contributeurs participeront à cette œuvre collaborative consultable en ligne avant de l’être dans les Cahiers pédagogiques du mois de juin. [8]
Au final, ces trois exemples sont à l’opposé des discours claquants mi-alarmistes, mi-fascinés sur les blogs, twitter ou facebook. Ils sont loin également d’une emprise uniquement consumériste. Bien sûr, l’aspect consommation existe sur Twitter ou Facebook, mais il se créée également des opportunités non seulement d’échanges professionnels, mais aussi de création de contenus scientifiques et d’enseignement. Ces outils sociaux participent enfin au développement de réseaux de professionnels ainsi qu’à son propre développement personnel à visée professionnelle. Ils se caractérisent par un mélange constant entre personnel/privé, public et activités professionnelles. Faut-il en avoir peur, se crisper et les rejeter ou les aborder lucidement en se demandant quelles règles appliquer pour les gérer et se préserver au mieux? La peur est mauvaise conseillère dit-on…
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP, Lausanne (Suisse)