Alors que Najat Vallaud Belkacem présente le 29 octobre la 1ère Journée « Non au harcèlement », retour en arrière sur l’évolution de cette question dans l’univers éducatif. Rappelons nous 2010 : Nicolas Sarkozy juste avant les « Etats généraux de la sécurité à l’école » parle de placer les élèves perturbateurs dans des « établissements adaptés » et d’installer des portiques et des caméras dans les lycées. Un an plus tard ce sont les » Assises nationales sur le harcèlement à l’Ecole » : il est question de pédagogie, d’équipe pédagogique et de consensus. Derrière ce renversement de perspective, un homme : Eric Debarbieux, spécialiste de la question reconnu comme tel par Luc Chatel, nommé délégué ministériel par Vincent Peillon. Redevenu universitaire en septembre 2015, il revient sur le grand tournant qu’a pris l’Ecole française sous son inspiration. Et il montre les progrès réalisés dans les établissements en dévoilant les premiers résultats d’une enquête dans les établissements.
Il y a cinq ans, la question de la violence scolaire était abordée sous l’angle uniquement sécuritaire. Vous avez fait basculer les termes du débat vers ce que disait la recherche universitaire c’est à dire l’importance des facteurs pédagogiques et institutionnels. Souvent dans l’Education nationale on observe l’inverse, c’est à dire l’invasion du pédagogique par les préoccupations politiques. Comment avez vous fait pour imposer cette évolution positive ?
Le personnel politique a été intelligent. Une sensibilisation a été faite. Ils ont compris que la question touche le monde entier. Et puis il y a la dimension humaine. Je me rappelle que quand j’ai mobilisé Luc Chatel sur cette question, il a rencontré, en toute discrétion, sans la presse, des victimes. Pour lui cela a été un choc humain. Dans son cabinet, composé de très bons élèves sortis des meilleures écoles, plusieurs conseillers m’ont dit en confidence qu’ils avaient été harcelés. Vincent Peillon était ouvert à cette question et ses successeurs aussi.
Ce qui a été exceptionnel c’est la continuité politique dans ce dossier. Comme président d’un comité scientifique sous Chatel j’ai réussi à faire changer le paradigme de la sécurité au harcèlement. Ca ne veut pas dire qu’il faut rejeter l »approche sécuritaire. Il y a environ 5% de violences scolaires qui relèvent d’intrusions extérieures. Et une de mes fiertés c’est d’avoir organisé une formation pour 300 personnels de direction sur la gestion de crise avec la gendarmerie dans son école de Saint Astier. Mais on a fait évoluer le débat et ma nomination comme délégué ministériel a signé la reconnaissance de mon expertise. Il y a eu aussi une évolution de l’opinion publique qui s’est lassée du marronnier médiatique. Les politiques ont su profiter des recherches internationales, particulièrement en santé publique.
Cette continuité ne s’est pas faite facilement. Il y a eu des résistances dans la structure. Quand j’ai expliqué qu’on ne peut pas s’arrêter au sécuritaire, qu’il faut s’attaquer au climat scolaire et que ce sera long, cela a été difficile. Clairement cela a été une bagarre et la cruauté de ce milieu de l’administration centrale m’a surpris.
Concrètement dans l’Ecole qu’est ce qui a changé durant ces 5 années ?
D’abord la délégation ministérielle a la prévention et la lutte contre les violences en milieu scolaire survit à mon départ. Cela veut dire qu’il y a un vrai engagement de la ministre. Ensuite, lors des conférences que je fais sur le terrain, je rencontre des parents qui me disent qu’ils sont entendus et que les problèmes de leur enfant a été pris en charge par leur établissement scolaire. Il y a eu une vraie prise de conscience. Le climat scolaire est devenu un axe majeur du projet académique dans environ 25 académies.
On a fait un gros effort de formation en formant des référents académiques et les équipes mobiles de sécurité. La question du harcèlement est bien intégrée dans la formation des personnels de direction et des CPE. Pour la formation des enseignants il y a encore des progrès à faire que ce soit en formation initiale ou continue. Selon une enquête , 51% des ESPE ont mis en place des formations sur le harcèlement.
Evidemment il reste beaucoup. à faire. Mon approche est globale. Quand on travaille sur le harcèlement ça implique le travail en équipe, instaurer un climat de bienveillance. Tout cela ne peut pas se décréter dans une circulaire.
Vous venez de terminer une enquête auprès d’environ 30 collèges Rep+. Quels enseignements en tirez-vous ?
Les résultats seront publiés plus tard. Mais pour le Café pédagogique je peux déjà dire qu’il faut en finir avec le school bashing. Dans ces collèges Rep+, 90% des élèves disent qu’ils se sentent bien dans le collège. Evidemment il y a 10% dont il faut s’occuper. Mais on peut aussi dire qu’on est loin des clichés médiatiques. Dans la même enquête quand on demande aux collégiens de Rep+ si ce qu’ils apprennent est intéressant, 75% répondent positivement. Evidemment il faut s’intéresser aux 25% . Mais sans perdre de vue les trois quarts. Dans un établissement très sensible 96% des élèves m’ont dit avoir confiance dans leurs enseignants. On voit bien que l’Ecole fait des choses.
Enfin quand on demande aux enseignants ce qu’il faut faire contre le harcèlement, seulement 3% demandent de la vidéo surveillance. Ce qu’ils préconisent en premier c’est le travail en équipe (51%). C’est une sacrée évolution !
Que peut faire un enseignant quand il doit faire face à un cas de harcèlement ?
Surtout ne pas traiter la question seul. C’est à voir avec les collègues, ou l’infirmière ou le CPE. On peut utiliser les nombreux outils mis à disposition su rle site de la mission. Par exemple pour organiser un débat sur la cyberviolence en Ce2 on peut utiliser des dessins animés et des fiches pédagogiques disponibles sur le site.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Je me fais guère d’illusions sur ce qui va suivre. Je m’inquiète au regard des évolutions politiques possibles de la montée des discriminations et de ses effets sur le climat scolaire. On risque de se heurter à des difficultés. On parle beaucoup de transmission des valeurs républicaines. Mais ce n’est pas la transmission qu’il faut faire avancer mais la concrétisation. Or le climat scolaire dépend de la démocratie à l’école et aussi de la démocratie dans la société.
Propos recueillis par François Jarraud
Eric Debarbieux dirige maintenant le projet Adhere (Action contre le décrochage et le harcèlement: éducation et régulation par l’environnement. Ce programme de 3 ans, financé par des fondations privées, vise à prévenir la violence, le harcèlement et le décrochage en milieu scolaire par une approche « cousue main » et contextuelle, et non par un « programme » universel censé résoudre magiquement tous les problèmes quels que soient les lieux et les situations. Le projet concerne dans l’académie de Créteil 14 collèges, 5 dans l’académie de Lille, 3 dans l’académie de Lyon, 3 dans l’académie de Bordeaux, 1 dans l’académie d’Aix-Marseille, 5 dans l’académie de Nice ainsi que généralement 3 des écoles primaires du bassin de recrutement de ces collèges et de manière exceptionnelle un lycée.
Il lancera début 2016 deux grandes enquête de victimation auprès des enseignants du premier et du second degré qui permettront de voir les évolutions depuis les premières enquêtes de 2011 et 2013.
Le site Agir contre le harcèlement
Debarbieux : Armer les enseignants
La ministre relance la lutte contre le harcèlement
Faut-il renuméroter la lutte contre le harcèlement ?