« La liberté pédagogique consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à la réussite des élèves ». L’idée que l’inclusion des plus pauvres passe par la pédagogie est bien un point commun entre Jean-Paul Delahaye et l’Observatoire des zones prioritaires (OZP) qui l’accueillait le 7 février. Auteur d’un rapport remarqué sur l’école et la grande pauvreté, un best seller de la rue de Grenelle, Jean-Paul Delahaye pose 4 leviers pour que l’Ecole française s’adapte aux enfants pauvres. Mais qui a vraiment envie de les actionner ?
Massification et démocratisation scolaires
Avec plus de 8 000 consultations, le rapport Delahaye est probablement le rapport le plus lu sur le site de l’Education nationale. Rien d’étonnant au regard de l’importance du phénomène : on compte 1.2 million de jeunes pauvres et c’est en France que la réussite scolaire est le plus liée à la catégorie sociale. « Il est désolant de voir qu’on n’arrive pas à mener de front la massification scolaire et sa démocratisation », explique JP Delahaye. Si davantage d’enfants vont au bac, c’est une bac général pour 90% des enfants de profession libérale et moins de la moitié des enfants de catégories défavorisées.
A cela des raisons liées directement à la pauvreté : comment apprendre quand on est sous nutri, quand on est malade, quand on n’a pas de logement fixe par exemple ? « Nos établissements sont devenus des lieux de solidarité », raconte JP Delahaye, « où enfants et parents viennent quand ils ne savent plus comment s’en sortir ».
Ancien directeur de l’enseignement scolaire, JP Delahaye est bine placé pour montrer comment le système éducatif fait des pieds de nez à ces enfants. C’est les fonds sociaux qui sont utilisés entre 2002 et 2012 pour boucher les trous du budget de l’éducation nationale. En pleine période de crise ils passent de 72 à 27 millions. Au même moment les crédits pour les « colles » des clases préparatoires passent de 50 à 70 millions. C’est l’écart qu’on laisse s’installer entre les taux de boursiers et les taux de catégorie défavorisée dans les établissements. C’est aussi le soutien fiscal aux « petits cours » pour 300 millions, quasiment le montant de la réforme de l’éducation prioritaire…
4 leviers pour un changement
« Mais si on règle tout cela on ne règle pas la question de la réussite de tous les enfants » , estime JP Delahaye. Pour inclure les plus pauvres l’Ecole doit se réformer pédagogiquement.
JP Delahaye met en avant 4 leviers de changement. Le premier c’est de concentrer les moyens vers les écoles et établissements accueillant les jeunes défavorisés. Cela veut dire aussi assumer pendant des années la priorité au primaire dans un système conçu pour son sommet. Le second levier c’est « regarder ce qui se passe en dehors du temps scolaire ». Là on retrouve le chiffre de 300 millions nécessaires pour l’accompagnement éducatif et l’aide aux devoirs. Le troisième c’est de travailler avec les familles.
Mais le levier qui passionne JP Delahaye c’est le levier pédagogique. « On sait qu’il y a des équipes qui réussissent mieux que d’autres à faire réussir tous les enfants. On sait ce qui marche », dit-il. Mais « comment passer de l’innovation à la généralisation » ? S’il n’y a pas une méthode, JP Delahaye rappelle qu’il a promu un référentiel. Parmi ses bonnes idées : les cycles, préférer la coopération à la compétition, expliciter et travailler la compréhension.
Reste à trouver le moteur de cette inclusion scolaire. « Tous les économistes disent que les inégalités freinent la croissance… Il va falloir convaincre les plus favorisés qu’ils n’ont rien à perdre à une école inclusive ». Dans le climat actuel, ce n’est pas gagné…
François Jarraud