Avoir réuni dans une brochure de 30 pages tout ce que craint une majorité de PLP, c’est fort. La publier le 4 juillet c’est bien dans l’esprit… Le nouveau Vade-mecum « Développer l’apprentissage à l’éducation nationale » y va de bon coeur. Non seulement il impose la mixité des publics, scolaires et apprentis, dans les mêmes classes créant des situations ingérables pour les profs. Mais aussi pour que ça se fasse, il annonce franco que les établissements sont dépossédés de leur droit d’ouvrir ou pas des sections d’apprentis. Tout sera décidé par les recteurs qui vont imposer le développement de l’apprentissage dans les lycées professionnels (LP). C’est l’école de la confiance…
Imposer le développement de l’apprentissage
Fin 2018, selon la Depp, les établissements de l’éducation nationale accueillaient 42 200 apprentis, soit seulement 9% d’entre eux. Ils étaient surtout en BTS (16 000), puis en bac pro (12 000) et enfin en CAP (12 000). C’est en BTS que leur nombre a fortement augmenté entre 2017 et 2018 (+16%) alors qu’en CAP et bac pro la hausse n’est que de 5%, nettement plus quand même que la hausse des apprentis à ce niveau (+1.8%).
Et bien tout cela devrait changer grâce à l’impulsion donné par l’éducation nationale. Voulant impulser à tout prix le développement de l’apprentissage, le ministère explique dans ce « vade-mecum » comment faire. Pour atteindre l’objectif il organise la contrainte. Exactement ce que craignaient les syndicats.
Les conseils d’administration dépossédés
Pour que l’apprentissage entre dans des lycées professionnels qui n’en veulent pas , le vade-mecum annonce que » les EPLE peuvent créer une unité de formation par apprentissage (UFA) par convention avec un CFA sans consultation obligatoire de leur conseil d’administration… Les EPLE peuvent réaliser des actions de formation par apprentissage sans mettre en place d’UFA… La carte des formations par apprentissage est désormais établie par le recteur pour ce qui concerne l’apprentissage organisé dans les établissements de l’éducation nationale CFA en EPLE ou en GRETA ».
En clair, les recteurs vont ouvrir le CFA et imposer ensuite dans les établissements les apprentis. Les conseils d’administration sont dépossédés de leur pouvoir en ce qui concerne la gestion de l’établissement. Une belle décision pour une administration qui, par ailleurs, parle du développement de l’autonomie des établissements…
Mixité des parcours et mixité des publics
La vade-mecum décrit la mise en place de la mixité des parcours et surtout des publics. « La mixité des parcours : il s’agit, pour les jeunes, au cours d’un même cursus, de changer de statut entre celui de scolaire, celui d’apprenti et celui de stagiaire de la formation continue », explique le vade mecum. Le guide explique bien de quoi il s’agit : » La mixité de parcours concerne aussi le retour en cours d’année vers le statut scolaire après une rupture de contrat ». Autrement dit cette mixité des parcours est là pour adapter l’établissement à la réalité d’un marché de l’apprentissage qui ne se développe pas au niveau scolaire.
Mais le pire cauchemar des enseignants c’est la mixité des publics. Jusque là le discours officiel mettait l’accent sur la mixité des parcours, pas celle des publics qui consiste à mélanger dans les mêmes classes apprentis et scolaires.
» Pour les enseignants, les mixités permettent d’avoir un nouveau regard sur les méthodes pédagogiques avec la mise en place d’une véritable pédagogie de l’alternance et d’une diversité de modalités pour répondre à une plus grande variété d’apprenants », écrit sans sourciller le vade-mecum. « Pour l’EPLE, les mixités permettent la diversification de l’offre de formation, le maintien de formations à faible flux pour des métiers en tension et contribuent à améliorer les relations avec le monde professionnel (qui peut se concrétiser par l’apport de la taxe d’apprentissage) ».
L’annualisation des services imposée
Le guide en tire tout de suite la conséquence. Apprentis et scolaires ont des rythmes de formation complètement différent (20 semaines en établissement pour les apprentis contre 28 pour les scolaires). Par conséquent il va falloir réunir toute la formation générale sur les semaines où les apprentis ne sont pas en entreprise. Autrement dit, le ministère va généraliser dans les lycées professionnels l’annualisation des services, permise maintenant par la loi Blanquer.
» La mise en oeuvre de la mixité demande une nouvelle approche dans la construction des emplois du temps qui doivent permettre le regroupement des apprentis et des élèves sur la totalité des semaines de cours des apprentis en privilégiant sur ces périodes les cours d’enseignements généraux », dit le vade-mecum. « Pour les enseignements professionnels, les domaines dans lesquels l’entreprise apportera aux apprentis les savoir-faire et savoir-être seront définis afin d’assurer la complémentarité. Les apprentis devront être en entreprise durant les périodes de formation en milieu professionnel et les vacances scolaires des élèves. Une certaine flexibilité des services sera à prévoir ».
Il faudra aussi adapter les emplois du temps scolaires aux 35 heures , comme le permet un arrêté de 2018. « L’horaire maximal est fixé à 35 heures hebdomadaires, avec une limite de 8 heures par jour de formation en EPLE ». Une fiche donne les instructions pour construire les emplois du temps. Elle impose l’annualisation.
« C’est la mise en oeuvre de ce qu’on dénonce depuis des mois avec une attaque en règle des statuts », nous a dit Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du syndicat Fsu de l’enseignement professionnel (Snuep Fsu). « On y voit la volonté de développer l’apprentissage au détriment de la voie professionnelle ».
Pour S Gérardin, le texte attaque frontalement le statut des enseignants en généralisant l’annualisation des services. « Ca fait des années que les rapports de l’Inspection générale et des branches disent que le gros frein au développement de l’apprentissage en EPLE c’est le temps de travail des enseignants. L’article 8 de la loi sur l’école de la confiance a ouvert une grosse brèche en permettant de déroger au statut sur le temps de travail ».
Du travail supplémentaire sans moyens supplémentaires
Ce qui fait bondir le Snuep c’est aussi la mixité des publics. « On sait que les jeunes en scolaire ont un taux de diplomes meilleur que les apprentis et que la voie scolaire coute moins cher aux contribuables que l’apprentissage. Mais le gouvernement a choisi de développer l’apprentissage », dit S Gérardin. En fait en 2018 les taux de réussite aux examens sont inférieurs à ceux des scolaires de − 1,6 point pour le CAP, de − 4,8 points pour le BTS mais supérieurs de + 1,6 point pour le bac professionnel, selon la Depp. Pour S Gérardin, la mixité des parcours est surtout imposée pour pallier aux ruptures de contrat des apprentis, les entreprises étant peu demandeuses d’apprentis de niveau scolaire.
Mais le pire c’est la mixité des publics. « Les élèves vont être sous des statuts différents dans la même classe. Il faut une organisation compliquée pour les temps pédagogiques. Et en cas de problème les élèves ne sont pas gérés selon les mêmes règles. Pour les scolaires c’est le conseil de discipline. Pour les apprentis il faut appliquer le code du travail ». Autrement dit le rapport pédagogique dépend de codes totalement différents alors que les LP sont les établissements qui déclarent le plus d’incidents.
Le pompon , que dénonce S Gérardin, c’est que ces apprentis vont aussi gonfler les classes. « Ils ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs. Ils s’ajoutent », dit-elle. Alors que toute l’organisation pédagogique est revue pour eux, y compris le temps de travail des enseignants, les apprentis n’entrent pas dans le calcul des moyens des établissements. « C’est du travail supplémentaire sans moyens supplémentaires », selon S Gérardin.
« On sait que les places disponibles à la rentrée sont réservées aux apprentis », dit-elle. « Les jeunes éloignés de l’emploi ne sont plus prioritaires. Il va y avoir une concurrence brutale dans les classes entre les apprentis et les élèves qui n’auront pas de salaire. Tout cela va renforcer les difficultés dans les classes ». Pour les PLP le vade-mecum gâche déjà les vacances.
François Jarraud
Note Depp