La question des deux heures d’aides du « 24+2 » fait plus que poser question dans les écoles. On frôle souvent le psychodrame pour caler les horaires. Et les contenus ?
Les discussions sont vives sur « Et à quoi ça sert ? »…
Parce que ces questions sont essentielles, le Café propose un zoom sur la manière de voir d’un mouvement pédagogique, le GFEN. Avec une illustration concrète : une groupe d’enseignants planchent sur la question, répondant à l’invitation du groupe local de Chartres.L’aide personnalisée en question
Fin septembre, un samedi, à école Jean Zay de Lucé, près de Chartres. En pleine effervescence de la mise en place des deux heures de soutien dans les écoles, une trentaine d’enseignant-e-s ont répondu à l’invitation du groupe local du GFEN (Groupe Français pour l’Education Nouvelle). Menu relevé : faire le point sur la mise en place concrète de ces deux heures, et envisager des objectifs, contenus, dispositifs à mettre en place pour que ce soutien soit efficace. Un paille.
Le tour de table est long, et les constats fusent. D’abord, les modalités de mise en œuvre, différentes d’une école à l’autre : ½ h le matin ici, deux heures là ; le midi, le soir, le mercredi… Avec souvent la sensation d’avoir à résoudre une équation impossible : les contraintes de cars et d’activités post-scolaires des élèves (et des adultes !), les enfants fatigués, ballottés…
Ensuite, le « choix » des élèves à prendre en charge : les dispositifs multiples s’enchevêtrent, du PPRE au RASED (jusqu’à quand !?), de l’accompagnement éducatif aux études dirigées… Pas facile de mettre en place des évaluations qui permettent de faire les bons choix, au bon moment. Beaucoup d’enfants ont des problèmes, certes, mais les enseignants présents témoignent de l’enchevêtrement des situations, du poids du social, des comportements difficiles à gérer… Alors, choisir les élèves en difficulté plus « légère » pour mieux voir les résultats ?
Face à tous ces dilemmes, plusieurs témoignent de leurs difficultés à faire face aux « pressions » des parents, qui parfois refusent que leur enfant soit montré du doigt, ou au contraire demandent plus de temps de prise en charge…
« On se sent seul, sans aide pour la mise en place des activités, on doute du bénéfice que pourrait apporter une aide personnalisée hors de la classe ». Alors, donner plus de lecture, plus de maths à des élèves qui ont intériorisé leur manque de confiance en eux ? Les plus chevronnés rappellent que les années 80 ont pourtant montré la limite de la « pédagogie de soutien », qui s’est montrée incapable de combler les écarts, amenant les réformes successives de programmes en 1989, 1995 puis 2002 !
« Que se passera-t-il lorsque les parents, qui ont une attente forte envers l’Ecole, ne percevront pas d’évolution significative des progrès de leur enfant ? » L’absence de la réussite promise par le ministre et les médias provoquera déception, ressentiment, voire colère et violence contre l’institution et ses représentants : les enseignant-e-s.
Face à ces dilemmes, certains sont tentés de jouer le bras de fer avec l’administration. Mais les interrogations sur la force du « collectif » sont réelles, face à une institution qui semble rester sourde à toute négociation.
Dans la classe ou hors de la classe ?Progressivement, la réunion prend un tour plus dense, le fond prenant le pas sur la forme. Sous l’impulsion des animateurs de la journée, on tente de préciser le contenu de la notion d’aide : dedans, dehors, après, avant… Lorsqu’on demande aux enseignants de préciser les pratiques en matière d’aide, vient immédiatement la question des modalités, des lieux et du temps. On peut aider un élève dans la classe, mais on pense souvent « hors la classe ». On pense aussi « répétition », « simplification », « remédiation ». Il semble même que ce dernier vocable ait totalement envahi l’espace lexical, tant il forme désormais un couple solide avec son double «évaluation ». Pourtant, les expériences rapportées par les enseignants sont nombreuses, qui rappellent que les résultats des «groupes de soutien » sont souvent décevants, et en tout cas sans rapport avec l’énergie qu’on y a investi, tant sur le plan organisationnel que réflexif. On a souvent l’impression d’avoir « tout tenté », sans succès. Bref, la tentation de baisser les bras n’est jamais loin dans les échanges, tant le défi semble insurmontable : ce sont toujours les mêmes qui ont besoin d’aide…
Changer de point de vue pour pouvoir penser le problème L’aide individuelle est souvent appréciée par les élèves surtout sur le plan affectif. Mais cette aide crée une dépendance à l’adulte qui va à l’encontre d’une des missions fondamentales de l’école : la mise en place de l’autonomie. Les animateurs du groupe proposent donc de renverser le point de vue, et posent une question qui va transformer le point de vue : l’aide : comment faire… pour qu’ils s’en passent ? Ils proposent donc de s’interroger moins sur les origines que sur la nature exacte des difficultés des élèves.
Le réunion prend donc un nouvel objet : on va essayer de démêler ce qui semble si mélangé. Jean est à la baguette au tableau. Il note, organise, relance après les digressions. Chacun raconte ce qu’il constate dans sa classe. On ose parler des réussites minuscules qu’on connaît au quotidien. On prend des notes, on gribouille. Bref, on travaille. Il faudra plusieurs allers-et-retours pour qu’on puisse commencer à classer, qu’on puisse « discipliner » (au sens propre comme au figuré) ce qui est parfois inextricable dans l’urgence quotidienne de la classe. Plusieurs sources de difficultés émergent. Elles valent ce qu’elles valent, mais elles permettent d’imaginer des actions, des directions de travail concrètes pour l’activité de l’enseignant.
Globalement, les participants tombent d’accord sur deux grands domaines de difficultés des élèves, souvent entremêlées, mais qu’on va chercher à distinguer pour mieux identifier les leviers possibles :
– ce qui relève de la maîtrise des savoirs, des connaissances, des modes d’action, des stratégies de résolution de problème…
– et ce qui est plus relatif au domaine identitaire : manque de confiance en soi ; sentiment d’impuissance ou de toute-puissance ; malentendus sur ce qu’on vient faire à l’Ecole, sur ce qu’il faut faire pour « réussir ») ; élèves qui sont dans la subjectivité de la relation (« je travaille avec toi parce que je t’aime bien » sous-entend vite « je ne travaille pas si tu n’es pas tout à côté de moi »), qui renvoie en implicite la question du regard qu’on porte sur eux. Qui n’a jamais fait classe ne peut savoir combien les élèves en difficulté peuvent s’auto-handicaper (ou se faire remarquer…) simplement pour que quelqu’un vienne s’occuper d’eux, tellement ils sont « insécures »…
Pour reprendre une expression qui lui est chère, Jean Bernardin rassemble par une formule : « nous parlons de remédiation, mais parfois nous devrions centrer notre action sur une « re-médiation » : lever des malentendus, dans la tête des élèves, quant au but des activités et aux moyens à mettre en œuvre pour réaliser les tâches prescrites… »
Et le langage ?Mais le réel résiste à cette trop simple dichotomie entre maîtrise des savoirs et comportement : ainsi, on prend l’exemple du langage, en maternelle et après. Est-il crédible d’imaginer qu’on va développer le lexique par des « leçons de mots » à l’ancienne ? Un enfant qui n’ose pas prendre la parole a sans doute une maîtrise insuffisante du lexique et de la syntaxe, mais se pose aussi sans doute bien des questions : « qu’est-ce que l’enseignant(e) attend que je dise et sous quelle forme ?… Ma mère m’a dit qu’il faut être sage et écouter le maître et la maîtresse… je ne suis pas sûr de savoir, autant ne pas prendre le risque de dire une bêtise… ». Les participants du stage touchent du doigt combien cette intériorisation de sur-normes nécessite que l’enseignant clarifie ce qui est attendu, les moyens à mettre en œuvre pour le faire, mais aussi adopte une éthique sans faille sur le droit aux erreurs, une expérience de « l’apprendre ensemble » où la moquerie est interdite et la pratique d’entraide entre pairs généralisée. Tout un programme…
Les empêcher de faireAu cours de l’atelier, on revient sur ces élèves qui se précipitent pour « faire » avant même que la consigne soit dite… ou au contraire sont « perdus » devant leur tâche. On en vient donc à proposer une attitude paradoxale : retarder le moment du faire pour les obliger à penser, par quelques questions préalables : « A ton avis, que faut-il faire ? Pourquoi ? » . Ainsi, « on peut rendre explicite le but de l’activité, faire préciser les moyens d’y parvenir, les opérations à réaliser, pour les aider à prendre conscience que les tâches scolaires ne valent pas pour elles-mêmes, mais ne sont qu’un prétexte pour apprendre/comprendre quelque chose d’autre… »
Mais quand ils ne savent pas ?Cherchant à explorer les causes possibles du manque de « savoir », le groupe au travail met en commun ce que les uns ou les autres apportent, et tente une typologie :
– Parfois, les élèves n’identifient pas dans quelle situation scolaire on se trouve : recherche ? entraînement ? évaluation ? approfondissement ? Selon les cas, ce qui est autorisé et interdit est très différent…
– Du coup, des élèves peuvent ne pas anticiper : mémoriser en triant les indices pertinents, découper une tâche complexe en opérations plus simples, savoir ce qu’il y avait avant et ce qu’il y aura après… Autant de compétences qui ne sont pas innées, mais peuvent s’apprendre, s’expliquer, s’entraîner, en utilisant des dessins, des schémas, des notes intermédiaires, en faisant des rappels de la démarche, en contextualisant la séance du jour dans un continuum…
– Parfois, ce qu’on a appris fait écran pour aller plus loin : le « truc » dont on se sert pour comparer les nombres entiers n’est pas opératoire pour les parties décimales, et le COD ne se limite pas au « quoi ? » posé après le verbe… A l’enseignant de faire vivre des «situations impasses » où les « trucs » ne suffiront pas, afin que les élèves passent de l’apprendre (des mécanismes) au comprendre (les notions) dans un processus de déconstruction – reconstruction de leurs savoirs.
– Parfois, ce sont les stratégies qui sont coûteuses en temps et en efforts. Savoir comment les autres s’y sont pris pour réaliser une tâche peut être l’occasion de spectaculaires prises de conscience…
– Parfois, c’est le défaut d’automatisation de procédures de base qui occupe toute la mémoire de travail : c’est la « surcharge cognitive ». Il faut donc insister sur les techniques de mémorisation, ou entraîner l’apprentissage d’une copie efficace : loin d’être des «pensums», ce sont des moments où l’enseignant peut expliciter la nécessité de se «relever les manches» pour avancer, ou faire un recul historique sur la construction des tables de multiplication, ou aider à confronter les stratégies qui peuvent permettre d’aller plus vite…
– Parfois, c’est la difficulté à gérer les outils de l’écolier : cahier de brouillon, sac, cahier de texte ne sont pas des objets clandestins, mais de véritables instruments. « Préparer son sac » ou «Apprendre sa leçon » ne va pas de soi : la savoir par cœur ? La comprendre ? Répondre à des questions ? Faire un résumé ? La reformuler avec ses propres mots ? Là encore, et si ce qui est implicite pour les « bons élèves » devait aussi s’apprendre à l’Ecole ?
– Parfois, le niveau de compétence sur la tâche prescrite ne peut permettre de réussir sans un petit coup de pouce préalable, une aide avant la difficulté : « si je lui raconte en deux minutes le sens de l’histoire avant la lecture, ou si je lui demande de faire attention à un personnage, il pourra lire malgré son retard, et a plus de chances d’oser montrer aux autres ce qu’il a compris »…
– Parfois, c’est le temps de manipulation, de construction de la notion qui a été trop raccourci : on passe en quelques semaines au cycle II les étapes de la construction de la numération décimale, alors que l’humanité a mis plusieurs siècles (et fait collaborer plusieurs civilisations !) pour y parvenir… Ne faut-il pas prendre le temps de ne pas brûler les étapes ?Une éthique, une posture professionnelleConcluant cette partie, l’animateur du groupe insiste donc sur quelques grandes principes susceptibles de faire progresser la «mobilisation intellectuelle » des élèves :
– Faire verbaliser les actions effectuées avant de vouloir formaliser.
– Instaurer des pauses au moment de l’activité pour la réguler (rappel du but, des moyens à mettre en œuvre, pertinence des hypothèses, etc.).
– Prendre le temps de la réflexion une fois la tâche effectuée : « Qu’avez-vous appris ? Où avez-vous rencontré des difficultés ? Qu’est-ce qui vous a aidé/gêné ? Comment vous y prendrez-vous la prochaine fois ? »
Pour échapper aux « risques » de l’aide …Parce que l’aide peut ne rien changer, voire maintenir la dépendance de l’aidé, la synthèse du groupe d’enseignants propose donc de renverser quelques principes qui semblent « frappés au coin du bon sens » lorsqu’on parle d’aider les enfants en difficultés à l’Ecole :
– Intervenir après pour compenser/rattraper/remédier ? Et si c’était avant que c’est le plus opératoire.
– « Aide personnalisée « sur mesure » Et si c’était surtout dans les activités menées en groupe qu’on pouvait faire prendre conscience de ce qui se passe dans les apprentissages ?
– « Groupes homogènes » ? Et s’il fallait préserver au contraire une certains hétérogénéité pour ne pas enfermer les plus en difficulté dans des seules tâches de «bas niveau » ?
– « Simplifier les tâches ? ». Sans doute, parfois, mais en gardant à l’esprit la nécessité de proposer des situations d’une certaine complexité, nécessitant recherche, exploration, échange… et jubilation d’y arriver.
Là encore, Jean Bernardin résume avec une formule : « apprendre collectivement, à voix haute, lentement, de manière explicite ce que l’élève devra savoir faire plus tard, seul, silencieusement, rapidement et de manière implicite voire automatisée…. »
La fin de la réunion approche. Une journée dense, mais riche de nouveaux éclairages construits ensemble. Et une question tourne dans les conversations qui se poursuivent en petits groupes : « Mais… Tout ça… On parlait des deux heures d’aide… Mais en fait, on peut faire aussi ça dans la classe ? ». Bonne question pour la prochaine fois.
Merci à Cathy Soler, François Cauchon, Jacques et Jean Bernardin, Valérie Sevestre pour leurs notes.