Par Antoine Maurice
Mardi 15 Mai, aux tuileries, le président de la république, dans un véritable hommage à l’école, s’est engagé à « rétablir la formation des enseignants ».
Comment, en effet, percevoir aujourd’hui la formation des enseignants en France, et surtout vers quelle formation irons-nous demain ? A la veille de l’incontournable réforme de la formation des enseignants, il nous a semblé indispensable d’ouvrir le débat.
Nous avons ainsi rencontré Didier Delignières, directeur de l’UFR STAPS de Montpellier, vice-président de la conférence des directeurs STAPS, professeur des universités, professeur agrégé d’EPS et ancien formateur IUFM. Il a accepté de nous donner sa vision sur la formation des enseignants. Au programme : la fin du concours d’aptitude à l’enseignement pour un recrutement plus classique à la fin de licence et surtout 2 ans de formation professionnelle en Master !
Quel constat faites-vous de la réforme de la formation des enseignants, et du principe de mastérisation ?
Le principe premier de la mastérisation était d’élever le niveau de recrutement des enseignants. Jusque-là ces derniers étaient recrutés après concours au niveau licence, il s’agissait de repousser ce recrutement au niveau master, soit après la validation de cinq années universitaires.
On sait qu’un des objectifs de cette réforme était de pouvoir envisager une revalorisation ciblée des rémunérations des enseignants. Mais il était aussi attendu d’élever leur niveau de formation. La dévolution de principe des masters enseignement aux universités contenait en germe l’idée de confier la formation des enseignants aux institutions garantissant la maîtrise des savoirs disciplinaires, et son adossement à la recherche. Cette réforme avait aussi le but de dessaisir de cette mission les IUFM, présentés comme le creuset d’un pédagogisme verbeux et inutile. Il est sans doute inutile de disserter sur ces deux aspects de la réforme dite de mastérisation, teintés d’idéologisme à courte vue. Ils ont institué une situation de fait, dont il convient maintenant d’analyser les conséquences.
Le passage d’une formation au niveau licence à l’exigence d’un master correspond dans la logique universitaire à un message fort, qui n’était sans doute pas dans l’esprit des promoteurs de la réforme.
Vous parlez de la mastérisation comme un « message fort », quoique sans doute involontaire : qu’entendez-vous par là ?
Il faut rappeler que, traditionnellement, une licence universitaire forme des professionnels de niveau technicien supérieur. Ces personnels doivent être capables d’appliquer des procédures complexes et de les adapter le cas échéant aux situations auxquelles ils sont confrontés. Les masters sont sensés former les étudiants à un autre niveau: le titulaire du master doit être capable de construire des procédures, d’en piloter la mise en œuvre et la régulation. Il occupe dans les entreprises ou institutions qui l’emploient des postes d’ingénieur, de cadre, dont le rôle est avant tout de concevoir et mener à bien des projets. En d’autres termes, le titulaire de la licence applique des programmes qui ont été élaborés par d’autres, le titulaire du master est supposé avoir la main sur l’élaboration des programmes.
L’Ecole a toujours été marquée par une logique jacobine et programmatrice. Chaque discipline possède une généalogie d’Instructions Officielles et de Programmes qui édictent les notions, concepts, connaissances et compétences que l’enseignant doit faire acquérir aux élèves. C’était vrai dès les origines de l’Ecole Publique obligatoire, quand il s’agissait d’instaurer de manière homogène sur le territoire national un socle d’Instruction Publique. Cette logique a été relancée dans les années 80, sous l’impulsion du ministre de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, dans un processus de réécriture générale des programmes de l’Ecole. Il est clair que si le métier d’enseignant n’est conçu que comme une logique d’application de programmes définis centralement, une formation de niveau technicien est amplement suffisante.
Mais l’Ecole, même si les nostalgiques d’une époque toujours révolue peuvent le regretter, n’est pas cette institution simple, avec un maître respecté, des élèves dociles, et un savoir circonscrit et légitime. L’Ecole est un système infiniment complexe où chaque établissement, chaque classe, chaque séquence d’enseignement instaure une situation originale, souvent imprévisible et variable à l’infini. Il est vain d’espérer gérer un système si complexe en édictant des préconisations générales, et en tentant d’appliquer de manière monolithique des programmes nationaux. L’Ecole a moins besoin de programmes que de capacités d’initiative locale, de flexibilité, d’adaptation, et ce d’autant que la massification scolaire a introduit dans le système une forte diversité des publics. On sait que l’échec scolaire a été justement généré par cette indifférence aux différences.
Vous appelez, ainsi, à une nouvelle vision du métier d’enseignant ?
Le métier d’enseignant est avant tout de gérer de la complexité. Il ne s’agit pas d’appliquer quelques recettes avérées, comme voudraient parfois le laisser croire quelques idéologues réactionnaires, mais de s’adapter en permanence à une réalité mouvante et fuyante. Et cette adaptation ne doit pas se résumer à une perpétuelle fuite en avant, dans l’objectif d’intéresser momentanément les élèves, mais s’inscrire dans un projet politique de formation des élèves, pour construire la société de demain.
Ceci requiert une formation des enseignants sans doute plus exigeante, moins linéaire, associant une confrontation nécessaire aux réalités du métier, à une prise de recul théorique, philosophique, politique, épistémologique, et une formation à et par la recherche. C’est cette construction de compétences enseignantes complexes que devrait viser la mastérisation.
Nouvelle vision du métier d’enseignant, mais du coup également une nouvelle formation ? Le concours aurait-il encore sa place ?
Force est de constater que cet objectif d’élévation du niveau de formation est un échec manifeste. Le plus souvent, les masters « Enseignement » se sont contentés d’étaler sur deux années la préparation au concours auparavant réalisée lors de la première année d’IUFM. Le concours occupe la seconde année du master, avec les écrits en novembre et les oraux en juin. Les étudiants n’ont guère le loisir de penser à autre chose qu’à bachoter les épreuves du concours, et les exigences des équipes pédagogiques, relatives notamment à la formation méthodologique, la maîtrise des langues, la formation à et par la recherche, sont souvent vécus comme une perte de temps par les étudiants. Faire cohabiter formation professionnelle et préparation aux concours est un non-sens total.
On pourrait bien sûr aussi envisager de supprimer purement et simplement les concours : les étudiants titulaires d’un master enseignement iraient simplement vendre leur diplôme sur un marché du travail où les chefs d’établissements recruteraient librement leurs équipes. Cette logique libérale a été adoptée par nombre de pays en Europe. La tradition française des concours nationaux a le mérite de respecter le principe d’égalité nationale face à l’offre de formation, et il s’agit certainement d’un principe à préserver.
On pourrait aussi repousser le concours au-delà de l’obtention du master. Mais combien d’étudiants accepteraient de poursuivre leurs études jusqu’à cinq années après le baccalauréat, pour obtenir un master sans réelle utilité si l’on ne réussit pas ensuite le concours de recrutement ? Cette solution aurait un coût social inacceptable, et par ailleurs aurait du mal à assurer le recrutement massif qui semble se profiler dans les années à venir.
Une solution quelquefois envisagée serait de placer le concours lors de la première année de master. La conférence des Directeurs d’IUFM s’est notamment prononcée dans ce sens. Solution de compromis assez insatisfaisante, dans la mesure où le concours ne pourrait réellement être considéré comme attestant de compétences professionnelles installées, et qu’il ne resterait alors que la seconde année de master pour assurer la formation professionnelle des enseignants.
La meilleure solution serait sans doute de déconnecter totalement concours et Master, en plaçant le concours en fin de Licence. Evidemment, il ne pourrait s’agir alors de recruter des enseignants en évaluant leurs compétences professionnelles. Le concours porterait essentiellement sur une maîtrise académique de la discipline enseignée, et sur la motivation des candidats à embrasser la carrière d’enseignant. On peut cependant envisager la mise en place de Licences orientées vers les métiers de l’enseignement, telles que les licences « Education et Motricité » de la filière STAPS, qui permettent la construction précoce de compétences à l’enseignement.
La formation professionnelle se déroulerait donc au sein des universités en lien avec les établissements ?
Cette solution aurait l’avantage de permettre dès lors aux masters de travailler essentiellement à la formation professionnelle, ce qui nous semble être la vocation essentielle des masters à l’université. Débarrassés de l’incertitude du concours, les étudiants, certains de consolider leur recrutement dès lors qu’ils obtiendraient le master, pourraient réellement engager une formation professionnelle, et bénéficier de l’encadrement universitaire pour que cette formation aille au-delà de la simple application de procédure, mais débouche sur cette compétence à maitriser la complexité.
Ceci évidemment reposerait sur un contrat de confiance entre le ministère de l’Education Nationale et l’Université : le Ministère pré-recruterait les futurs enseignants, et confierait à l’université leur formation. Il est vrai que dans ce cas, le ministère devrait faire le deuil des concours actuels, censés évaluer des compétences professionnelles que par ailleurs les candidats n’ont pas eu l’occasion de construire. Je sais que l’inspection générale est très attachée à cette prérogative, et aussi à ce qui représente une sorte de rituel initiatique pour l’entrée dans le métier d’enseignant. Mais les concours actuels coûtent aussi très chers, et laissent sur le pavé de nombreux candidats, après des années de formation. Un concours plus précoce devrait être considéré comme une procédure d’orientation, évitant de placer des étudiants dans des impasses aux débouchés professionnels incertains.
Dans ce dispositif, l’Inspection Générale, en tant que futur employeur, devrait évidemment être un partenaire fort de la formation en master, au niveau de la définition des maquettes d’enseignement, et des modalités de délivrance des diplômes. On peut aussi ajouter que ceci permettrait la mise en place effective d’une formation en alternance. Si les masters en alternance sont en soit une bonne idée, ils ne peuvent effectivement se mettre en place que si le master est déconnecté de la préparation aux concours, et s’attelle exclusivement à une formation professionnelle de haut niveau. Dans ce cadre, les établissements scolaires et les tuteurs de stage pourraient retrouver un rôle essentiel dans la formation.
Cette proposition heurte sans doute des habitudes anciennes et des prérogatives instituées. Mais l’avenir de l’Ecole mérite sans doute de remettre en cause certaines logiques institutionnelles décalées.
Didier Delignières, Merci
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