Plutôt que condamner d’office, comprendre. C’est ce à quoi invite un nouveau Cahier du Girsef (n°128), signé par Hugues Draelants et Caroline De Pascale. En Belgique presque la moitié des élèves a redoublé au moins une fois en fin de collège. Le redoublement reste massif et est au coeur d’un débat entre partisans et adversaires. L’intérêt de cette étude c’est de regarder de près la construction du redoublement et de prendre en compte les pratiques des enseignants et des directions. Pour les auteurs c’est à cette condition que l’on peut faire évoluer des pratiques.
Une décision qui n’est pas prise à la légère
« Comment tendre vers un usage réflexif du redoublement quand les acteurs de terrain ne se retrouvent pas dans ce que la recherche avance, quand les recommandations de réduction des taux de retard scolaire sont sans cesse trop vagues, quand la recherche elle-même ne prend pas au sérieux les expériences et savoirs professionnels des enseignants, quand elle établit une hiérarchie entre savoirs savants (sensés plus justes) et savoirs de terrain au mépris des résultats contradictoires de la recherche sur les effets du redoublement ? » Hugues Draelants a déjà beaucoup écrit sur le redoublement en France et en Belgique. Et toujours en s’intéressant à la place du redoublement dans la machine école. Cette nouvelle étude ,co signée avec Caroline De Pascale, apporte de vraies nuances sur les jugements portés sur cette pratique.
En Belgique le redoublement atteint encore des taux très élevés.S’il a fortement diminué au primaire, ce recul disparait au collège où , en fin de collège, le taux actuel est à peine inférieur à celui des années 1990. Il y a donc une sorte de « rattrapage » qui se produit particulièrement lors de la 3ème année du collège qui est étudiée par les auteurs. Ils ont suivi de près les conseils de classe de 3 établissements sociologiquement différents et se sont entretenus avec des enseignants et des directions pour approfondir leurs observations.
Et cela les amène à nuancer des idées bien établies par d’autres travaux sur le redoublement. En observant la façon dont la décision de redoubler est prise, ils concluent qu’elle n’est pas prise à la légère. » Nous avons pour notre part observé que 1) la note scolaire occupait une place prépondérante dans la décision de redoublement ; 2) le comportement de l’élève pouvait être pris en compte, mais souvent quand il était perçu par les enseignants comme cause de l’échec scolaire ; 3) si certaines décisions sont prises rapidement, il faut éviter de les considérer trop vite comme prises à la légère… La qualité «objective» des productions de l’élève, c’est-à-dire la teneur des points obtenus, est un élément central dans le processus amenant au redoublement puis à sa négociation ». Pour les auteurs le fait que les décisions soient prises rapidement montrent un consensus et en veut pas dire que la décision est prise à la légère.
Une décision prise dans un contexte social
Les auteurs s’attardent aussi à monter qu’il n’y a pas « une culture du redoublement » en Belgique. Au contraire, les enseignants, quand ils sont interrogés, expriment leurs doutes sur les vertus du redoublement. » Aucun enseignant ne montre une adhésion pleine et entière au redoublement et tous expriment ouvertement leurs doutes quant aux effets qu’il produira ».
Dernier apport : la décision est prise dans un contexte social. Celui d’établissements où les enseignants ne sont pas seuls à décider mais où d’autres professionnels, les directions par exemple, interviennent. Celui d’établissements qui doivent aussi veiller à maintenir les postes ce qui peut passer par des redoublements. » Par ailleurs, le redoublement a aussi une fonction (latente) de préservation de l’emploi : ce qui signifie par exemple que l’on peut viser la réduction du nombre de redoublements pour garantir l’emploi des collègues des années suivantes. En effet, la présence d’un important turn-over n’est pas sans conséquences pour les équipes : répétition du recrutement, absence d’enseignants en début d’année, embauche de professeurs inexpérimentés qui sont autant de causes pouvant conduire à une dégradation de l’enseignement ».
La conclusion de H Draelants et C De Pascale c’est que » le contexte est un élément crucial pour comprendre le sens de l’agir enseignant par rapport au redoublement. Trop souvent, la focale des études sur la question n’intègre pas la dimension sociale de la décision des équipes et les contraintes effectives, les fonctions latentes qu’il remplit ».
Le redoublement négatif ou positif ?
Cette étude intéresse les enseignants français car le redoublement reste important en France (22% contre12% pour l’OCDE) et est un élément du débat éducatif. Après avoir été fortement réduit, on a vu JM BLanquer en 2018 inviter les chefs d’établissement à l’utiliser.
En 2018, H Draelants, dans un Cahier du Girsef, était revenu sur une question qui semblait tranchée : celle de la nocivité du redoublement. En 2015, dans une remarquable étude, le Cnesco avait fait un point négatif sur le redoublement. » Dans la majorité des études, le redoublement n’a pas d’effet sur les performances scolaires à long terme », écrivait le Cnesco. « Quelques études obtiennent des effets positifs à court terme dans des contextes très particuliers (notamment lorsque le redoublement est accompagné d’autres dispositifs de remédiation comme des écoles d’été). Le redoublement a par contre toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage. Il semble également impacter négativement le revenu futur du jeune adulte en agissant comme un signal de faible performance du salarié pour les entreprises ».
Aussi le travail de H Draelants se démarquait nettement. « Dans le monde de la recherche en éducation, l’idée que le redoublement est une pratique globalement négative s’est largement imposée suite à un certain nombre de synthèses, déjà anciennes, de la littérature de recherche américaine sur la question », écrivait-il. « Le ré-examen de cette littérature montre que ses conclusions qui aboutissent à la dénonciation pédagogique du redoublement sont fondées sur des études méthodologiquement fragiles et des méta-analyses qui tendent à occulter les débats au sein de la communauté scientifique sur les effets du redoublement. Par ailleurs, les résultats des recherches plus récentes qui utilisent des méthodologies beaucoup plus sophistiquées montrent que les études antérieures ont sous-estimé les effets positifs du redoublement. Si les résultats des recherches scientifiques actuelles sont nettement plus favorables au redoublement, il reste néanmoins impossible dans l’état actuel des connaissances de départager de manière incontestable le redoublement et le passage automatique de classe », concluait-il. Cette opinion était reprise en France dans une publication réalisée pour la Fcpe, principale association de parents d’élèves. » Il nous semble important d’arrêter de prétendre que la Science détient la vérité sur le sujet et qu’elle plaide de manière unanime pour le passage obligatoire plutôt que pour le redoublement… Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques », écrivait-il.
En 2019, une nouvelle synthèse dirigée par Benoit Galand, Dominique Lafontaine, , Ariane Baye, Dylan Dachet et Christian Monseur (université catholique de Louvain et Université de Liège) tranche sur les effets négatifs du redoublement. Elle établit à partir de Pisa , qu’il y a un lien « négatif assez faible » entre les taux de redoublement et les performances moyennes des systèmes éducatifs. Conclusion : » un système éducatif encourt-il un risque de voir ses performances diminuer, comme on l’entend souvent affirmer par ceux qui agitent le spectre de la baisse de niveau ? La réponse est clairement non. Les exemples sont nombreux de systèmes éducatifs où le redoublement est rare et qui atteignent un excellent niveau de performances dans PIRLS et PISA ». Par contre les auteurs observent un lien fort entre la pratique du redoublement et des systèmes éducatifs inégaux socialement. » Le redoublement amplifie les écarts de performances en fonction de l’origine sociale… Le redoublement creuse aussi les inégalités entre écoles. » Aussi bien dans le primaire que dans le secondaire, le niveau de performances d’une école à l’autre varie nettement plus quand les taux de retard sont plus élevés. Si le redoublement ne crée pas les différences entre écoles, il participe d’une logique de séparation ou de tri qui est à l’origine des différences entre écoles… Un recours plus fréquent au redoublement s’accompagne ainsi d’une exacerbation des différences entre écoles et d’une homogénéisation des élèves à l’intérieur des écoles », écrivent-ils. Enfin leur étude montre que le redoublement augmente fortement le risque de décrochage.
Une décision de politique éducative
Hugues Draelants n’est pas de cet avis. Dans une Note de la Fcpe il nuance fortement, sauf en ce qui concerne le risque de décrochage. » Si le redoublement n’est pas la panacée pédagogique il est encore plus clair que la promotion n’est pas une solution aux difficultés des élèves, on ne voit d’ailleurs tout simplement pas en quoi la promotion automatique serait pédagogique. Rappelons en effet qu’il ne suffit pas d’interdire le redoublement pour faire disparaître l’échec ».
Finalement le redoublement reste une pratique sociale et politique. Une majorité de parents et d’élèves y est attachée d’autant que le redoublement peut aussi être une tactique pour améliorer son orientation. Pour H Draelants, le redoublement renvoie au politique. « Le choix consistant à privilégier l’un ou l’autre (le redoublement ou le passage automatique) doit donc fonder pour l’instant sa légitimité sur des bases autres que scientifiques, en l’occurrence des bases politiques et assumer ainsi le fait que cette question relève aussi et peut-être avant tout d’un débat idéologique autour du type d’école que nous souhaitons pour nos enfants. Une école demeurant sélective, mêmes dans les petites classes, ou une école assumant clairement la mise entre parenthèse de la logique méritocratique dont le redoublement reste un symbole fort ? » Un rappel qui n’est pas inutile au vu des programmes électoraux…
François Jarraud