« Faire mentir le passé pour mieux faire haïr au présent ». Seize historiens passent au crible de la connaissance historique les propos d’Eric Zemmour. Dans un petit livre (Zemmour contre l’histoire, Gallimard) ils mettent en évidence les mensonges, les erreurs, les interprétations tendancieuses. Parmi ces historiens, André Loez, professeur en CPGE. Il explique pourquoi il participe à cet ouvrage.
Pourquoi seize historiens prennent-ils la parole dans un livre contre un candidat à l’élection présidentielle ? Du coup ce livre est-il un ouvrage militant ou historique ?
C’est un livre d’histoire. Mais il s’inscrit dans la campagne électorale car il y a des usages de l’histoire qui semblent faux et dangereux pour le débat démocratique. C’est la première fois qu’un tel degré de manipulation systématique est atteint chez un candidat.
Vous êtes enseignant. Cela a t-il compté dans votre décision de participer à cet ouvrage ?
Pas fondamentalement. Evidemment quand on est enseignant on est habitué à expliquer les choses, à rétablir la vérité face au complotisme. Mais je l’aurais fait aussi comme chercheur. Ce livre n’est pas un ouvrage pédagogique pour la classe.
Zemmour parle plus du « roman national » que de l’histoire. Quel regard un historien a t-il sur le roman national ?
En fait il parle des deux et plutôt de l’histoire en général. Le roman national est une lecture nostalgique et réductrice du passé. Mais le roman national traditionnel ne valorise pas Vichy. E Zemmour rompt avec ce roman national traditionnel. Et il le fait pour réhabiliter des figures de Vichy.
Dans les thèmes chers à E. Zemmour reviennent régulièrement deux personnages : Pétain et Clovis. Vous pouvez nous en parler ?
C’est pour lui une façon de postuler la continuité de l’histoire de France alors qu’on sait qu’il n’y a rien de commun entre la France de 2022 et celle du royaume des Francs. La discontinuité est plus forte que la continuité. L’autre idée d’E Zemmour c’est qu’il faut assumer l’histoire de France y compris dans ses figures criminelles comme Pétain. Cela permettrait de faire l’union des droites. Evidemment on ne peut pas assumer ce passé si assumer veut dire qu’on doit déclarer que c’était bien. Ou s’il faut mentir en disant que Pétain a sauvé des juifs. On ne peut pas laisser passer cela.
Le personnage de Clovis mérite aussi qu’on s’y arrête. E Zemmour prétend que les historiens ne travaillent pas sur Clovis. En réalité, il y a de gros progrès dans l’étude de Clovis et il continue à être étudié. Là aussi ce que dit Zemmour ce sont de faux arguments pour mieux dénoncer l’histoire universitaire.
Zemmour est il unique ou a t-on des exemples précédents de manipulation électorale de l’histoire ?
Il y a eu des cas précédemment. Mais jamais avec cette échelle et cette violence. Ce qui est unique ce n’est pas un candidat qui parle d’histoire. De nombreux candidats ont écrit des livres sur l’histoire. Ce qui est la nouveau c’est la violence des propos d’E. Zemmour. Par exemple quand il dit que les répressions d’état sont toujours justifiées, y compris la Saint Barthélémy. En général les hommes politiques rassemblent. Lui il assume le clivage. On n’a jamais vu un candidat aussi relayé médiatiquement.
Enfin on n’a aussi jamais vu quelqu’un construire sa carrière politique sur l’histoire. C’est pour cela qu’il est très important de montrer que sa vision du monde est très largement faussée.
Propos recueillis par François Jarraud
Zemmour contre l’histoire. Collection Tracts (n° 34), Gallimard. ISBN : 9782072988370. 3.90€