Fleuron de la réforme du bac, le « grand oral » commence le 21 juin dans les lycées. L’épreuve veut former les jeunes à prendre la parole en public, un objectif qui est partagé avec de nombreux autres systèmes éducatifs. Mais elle est contestée depuis des mois par des associations et syndicats enseignants qui soulignent son impréparation et son caractère socialement discriminant. Le retard apporté à envoyer les convocations, reflet de la difficulté à organiser l’épreuve, ajoute aux difficultés de cette épreuve totalement nouvelle.
20 minutes devant un jury
« Le grand oral vous forme à prendre la parole en public de façon claire et convaincante » assure le site du ministère de l’éducation nationale. L’épreuve comporte trois temps. Elle commence par une présentation d’un des deux sujets préparés durant l’année par le candidat dans ses spécialités (ou dans sa spécialité pour le bac technologique). Le jeune doit exposer durant 5 minutes. Il y a ensuite un temps de questionnement avec le jury qui dure 10 minutes sur le sujet préparé. Le jury comprend deux examinateurs : un professeur d’une spécialité et un autre enseignant de l’autre spécialité ou d’un enseignement du tronc commun ou encore un professeur documentaliste. Enfin 5 minutes sont réservées à l’orientation envisagée par le candidat sous forme d’un entretien avec le jury. L’épreuve est importante : elle compte pour 10% des points du bac, ce qui n’est pas rien.
Cette nouvelle épreuve a remplacé les TPE, un exercice qui préparait à l’enseignement supérieur en faisant travailler les élèves sur la façon de traiter une question. On est passé à un exposé oral , inspiré des concours d’entrées de grandes écoles. Derrière cette forme il y ale souci de faire travailler l’expression orale des élèves , une des compétences transversales poussées par les organismes internationaux comme l’OCDE.
Disfonctionnements dans la mise en place
L’épreuve est contestée. Le 21 juin, date de début de l’épreuve, qui va durer jusqu’au 2 juillet, quelques lycées seront en grève. Ainsi au lycée Parc des loges à Evry, le Snes, la Cgt et le Sgen Cfdt locaux dénoncent l’absence d’heures pour préparer l’épreuve durant l’année, les inégalités entre établissements et « des consignes d’évaluation très floues ». La CGT a appelé à la grève durant l’épreuve. Des associations enseignantes, l’APMEP, l’APSES par exemple, demandent l’annulation du grand oral depuis des mois, jugeant que les élèves ne sont pas préparés et que l’épreuve est injuste socialement.
De nouvelles sources de mécontentement sont venues se greffer. La préparation de l’épreuve est délicate. Elle consomme beaucoup d’heures et de moyens : il faudra 175 000 heures d’examen , multiplié par deux examinateurs, pour faire passer les 526 000 candidats. Et pour organiser les vacations il faut recueillir les spécialités préparées par les candidats pour affecter les bons examinateurs. Visiblement plusieurs rectorats ont des difficultés à faire ce travail. Le Sgen Cfdt parle d' »une grande confusion » dans l’organisation. Le Snpden Unsa, premier syndicat de personnels de direction signalait le 16 juin au Sénat 4 académies où les convocations sont très en retard. Apparemment des convocations pour lundi sont encore parties ce week end…
Une épreuve injuste socialement ?
Le grand oral n’avait pas besoin de ce couac final. Depuis des mois il essuie les critiques. Le Snes Fsu, qui parle d’un « totem du bac Blanquer », signale le manque de préparation des professeurs, mal compensé par des conférences au dernier moment en distanciel. Le syndicat souligne les inégalités entre lycées du fait de la situation sanitaire, le manque de cadrage. Pour lui cette épreuve « n’est qu’une mascarade ».
En mars dernier, Pierre Merle soulignait des difficultés de cette épreuve. « Si, conformément aux souhaits du ministre, le professeur souhaite, dans une classe de 36 lycéens, permettre à chacun de s’entraîner au moins une fois, avec 20 minutes d’oral et 10 minutes de conseils indispensables, il lui faudrait supprimer 18 heures d’enseignement. Cet objectif est impossible à atteindre compte tenu de programmes majoritairement jugés « trop lourds » », écrivait il. Les enseignants du lycée Par des Loges demandent deux heures de préparation en mi groupe.
Mais P Merle soulevait surtout la question des inégalités face à l’épreuve. « Evaluer des compétences, effectivement « fondamentales » dans la vie, sans former au préalable les élèves est contraire aux missions de l’école et des professeurs. En l’absence de préparation spécifique, les élèves vont être livrés à eux-mêmes. Les parents diplômés de l’enseignement supérieur vont pouvoir conseiller leurs enfants. À l’inverse, les enfants d’origine populaire ne pourront guère profiter d’un tel accompagnement parental. Lorsque le ministre affirme que le grand oral va « compenser les inégalités entre élèves en préparant tout le monde à la réussite de l’examen » alors même qu’il n’accorde pas aux professeurs les moyens de compenser celles-ci, il contribue à accroître les inégalités qu’il souhaite réduire ».
Un pilotage par l’épreuve d’une grande violence
La Revue internationale d’éducation de Sèvres a consacré son dernier numéro à la préparation à l’oral dans le monde. « Partout l’idée est qu’existe un mouvement irrépressible et d’origines diverses » en faveur de l’enseignement de l’oral », notent les deux coordonateurs du numéro, Daniel Coste et Roger François Gauthier. Certains pays ont construit un vrai curriculum pour cet apprentissage comme le Lehrplan de Suisse alémanique par exemple. La leçon de cette comparaison internationale c’est que cet apprentissage nécessite une organisation pédagogique, des groupes réduits et même une autre disposition des salles de classe. Comme le remarque D. Coste, dans le monde, l’évaluation se pose « moins en terme d’épreuve finale avec effets à rebours mais comme quelque chose donnant lieu à construction progressive ».
L’argument ministériel en France c’est qu’en imposant une épreuve au bac les enseignants du lycée anticiperont la préparation dès la seconde. Cet argument sera peut-être valable dans quelques années. En attendant les élèves ont été très peu préparés à une épreuve où le biais d’évaluation est plus important qu’à l’écrit et marqué socialement. Autrement dit , quelque soit la gentillesse des examinateurs, et on peut penser qu’elle sera grande, cette épreuve est d’une grande violence pour les candidats les plus fragiles.
François Jarraud