Le Conseil constitutionnel s’est prononcé. Et depuis quelques jours, les langues régionales sont au centre des débats, tout particulièrement l’enseignement immersif. Mais c’est quoi l’enseignement immersif ? En quoi serait-il contraire à la constitution ? Quelle est l’originalité pédagogique des calendretas, les écoles occitanes ? Auròra Baillet et Melania Issartier, toutes deux regentas – enseignantes en occitan comme elles se plaisent à le dire – à l’école Bel Soleh de Bergerac répondent à nos questions.
Le 21 mai dernier, le conseil constitutionnel déclarait anticonstitutionnel l’enseignement immersif des langues régionales. « En vertu des dispositions de l’article 2 de la Constitution, l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public (…) Si, pour concourir à la protection et à la promotion des langues régionales, leur enseignement peut être prévu dans les établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci, c’est à la condition de respecter les exigences précitées de l’article 2 de la Constitution. Or, il résulte notamment des travaux préparatoires de la loi déférée que l’enseignement immersif d’une langue régionale est une méthode qui ne se borne pas à enseigner cette langue mais consiste à l’utiliser comme langue principale d’enseignement et comme langue de communication au sein de l’établissement (…). Par conséquent, en prévoyant que l’enseignement d’une langue régionale peut prendre la forme d’un enseignement immersif, l’article 4 de la loi déférée méconnaît l’article 2 de la Constitution. Il est donc contraire à la Constitution ». Une décision inattendue, tout particulièrement lorsque l’on sait que ce sont des parlementaires LREM, dont un membre du cabinet Blanquer, qui avaient saisi le conseil constitutionnel contre la loi Molac qu’ils ont eux-mêmes porté et voté.
C’est l’incompréhension à l’escola Bel Soleh. Annexe de l’école Calandreta Pergosina de Périgueux, la petite école de deux classes est affiliée à la confédération des Calendretas. Sous contrat avec l’éducation nationale, c’est l’association de l’école qui gère le budget (dont le recrutement de l’ATSEM et du service civique). En partenariat avec l’équipe pédagogique elle aide également à organiser des événements, mettre en place les temps périscolaires, et tout ce qui aide au fonctionnement du petit établissement. Elle a aussi et principalement un rôle de promotion de la langue et de la culture occitane avec l’organisation de fêtes, la proposition de cours, etc. Dans cette école, 38 élèves et trois regentas (dont une sur deux jours par semaine pour assurer l’enseignement du français aux plus grands), parlent exclusivement l’occitan.
On parle beaucoup de l’enseignement de langues régionales en immersion, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
« Dans notre cas, l’immersion signifie que la langue de vie de notre école est l’occitan. Dès leur première année de maternelle, nos élèves font leurs apprentissages en occitant, en suivant les programmes bien évidemment. Les regentas ainsi que les employés sont initiés à l’occitan afin de pouvoir échanger dans notre langue le plus possible et de permettre un bilinguisme précoce pour nos élèves. Bilinguisme qui leur permettra par la suite d’apprendre plus de langues, et qui favorise également un bon niveau scolaire selon de nombreuses études scientifiques.
Pour autant, l’originalité de notre pédagogie ne s’arrête pas là. En Calandreta, nous avons donc l’immersion dès le plus jeune âge mais nous fonctionnons également dans nos classes avec une pédagogie active. Nous mettons en place plusieurs institutions qui font partie des pédagogies Freinet et institutionnelle. Nous encourageons l’autonomie chez les enfants mais aussi beaucoup la collaboration. Nous avons également de nombreux moments collectifs qui régulent la vie de classe durant lesquels les enfants sont encouragés à prendre la parole ».
Une journée type dans votre école ?
« Les journées sont très différentes mais, en général, dans la classe de maternelle, il y a un moment avec des ateliers, puis les rituels. Après la récréation, une activité est proposée suivant l’emploi du temps. L’après-midi les petits font la sieste et les grands sont avec la maîtresse et font du travail d’écriture et de lecture. Après la récréation une autre activité est proposée et la classe se termine avec le bilan météo.
Dans la classe des grands c’est un peu différent. La classe commence par les rituels et ensuite, comme il y a beaucoup de niveaux, quand certains font des maths avec l’enseignante d’autres sont en autonomie, ils ont un plan de travail à remplir. Ensuite on alterne. Toutes les autres activités se font collectivement. La classe se termine également avec le bilan météo.
Dans les deux classes, en début de semaine on fait le « Qué de nòu ?» qui veut dire « Quoi de neuf ? ». C’est un moment durant lequel chaque enfant peut s’inscrire et, quand vient son tour, raconter quelque chose à la classe, en occitan bien entendu.
En fin de semaine il y a également le conseil où la vie de classe s’organise et lo mercat, le marché, durant lequel les enfants peuvent tenir un stand et vendre des créations aux autres enfants. Ils utilisent la monnaie de la classe qu’ils gagnent pendant la semaine ».
La décision du conseil constitutionnel doit être un coup dur pour votre association ?
« La décision du conseil constitutionnel nous paraît évidemment absurde et s’attaque encore aux langues régionales qui sont déjà bien malmenées. L’article 2 était censé protéger le français de l’anglais et nous voyons bien que ce n’est pas le cas. Aujourd’hui l’anglais est partout, et les langues régionales ne sont pas assez reconnues alors qu’elles font partie du patrimoine français ».
Du côté politique, certains soutiens se manifestent, qu’en est-il ?
« Effectivement nous avons eu beaucoup de soutien des politiques et dans les médias, ce qui n’a pas toujours été le cas. Cela vient certainement du contexte électoral actuel, mais les Français soutiennent généralement les langues régionales de toute manière. A Bergerac, les élus locaux nous soutiennent depuis la création. La mairie nous aide beaucoup, nous, ainsi que d’autres associations occitanes. Ce n’est pas le cas partout et nous nous estimons déjà chanceux ».
Samedi dernier, le 29 mai, des milliers de défenseurs des langues régionales et de leur enseignement en immersion ont battu le pavé à travers la France. Dans le contexte des élections régionales qui se profilent, l’occasion pour certains élus, particulièrement de droite, d’avoir une visibilité plus importante sous prétexte de défense du patrimoine français.
Lilia Ben Hamouda
Langues régionales : le gouvernement doit assumer le recours Blanquer