« Ce qui se joue à travers la place de l’éducation dans le débat politique c’est une certaine confiance en l’avenir, le contraire du populisme ». Pédagogue, président des CEMEA, Philippe Meirieu se retrouve au centre de deux événements importants cette semaine. Le 30 juin, le lancement d' »Ambition éducation » et de son appel. Le 3 juillet celui de Convergence(s) pour l’éducation nouvelle. A un an des présidentielles, l’ambition est de ramener l’éducation dans le débat politique. Pour Philippe Meirieu, l’avenir de la démocratie en dépend.
Vous êtes au coeur de deux événements importants cette semaine : Convergence(s) pour l’éducation samedi et Ambition éducation aujourd’hui. Après 4 années de ministère Blanquer où le ministre a démontré qu’il peut faire ce qu’il veut sans rencontrer de vraie résistance, il y a t-il encore une place pour l’action ?
C’est à nous de démontrer que l’on peut agir et mobiliser autour de la question de l’éducation. Il faut le faire d’autant plus urgemment que ce qui semble s’imposer dans le débat public en France n’est plus un idéal éducatif mais le controle et la répression comme outils majeurs des politiques publiques.
Convergence(s) pour l’éducation nouvelle veut relier 8 mouvements pédagogiques. Dans quel but ?
Cette convergence correspond au 100ème anniversaire du congrès de Calais qui voulait mobiliser pour l’éducation à la paix. Nous vivons aujourd’hui un moment qui est aussi crucial avec la nécessite de mobiliser ceux qui croient en une éducation à une société authentiquement démocratique.
On doit faire face à la montée de l’individualisme et du communautarisme, à la marchandisation de l’éducation, au travestissement ou à l’abandon des politiques publiques d’égalité des droits. Toutes ces menaces font peser de lourds dangers. Il est plus que jamais nécessaire que des mouvements pédagogiques unissent leurs forces pour faire entendre leur voix.
Concrètement, Convergence(s) va aboutir à quoi ?
Cela a déjà abouti au fait que ces mouvements travaillent ensemble. Ils rédigent un manifeste. Au lieu de se livrer aux exégèses de nos différences, on va pouvoir faire entendre un propos clair et rallier à l’éducation populaire et ses valeurs d’autres que nous. A Calais, le 3 juillet, il y aura les 8 mouvements fondateurs mais aussi d’autres mouvements français, belges, espagnols, des syndicats, des organisations professionnelles. On travaillera avec eux pour voir comment agrandir le cercle.
« Ambition éducation » est un projet plus large. Il réunit aujourd’hui des syndicats enseignants (Sgen Cfdt, Snuipp Fsu, Se-Unsa), des mouvements d’éducation populaire (Cemea, Francas, Ligue), des collectivités locales (Rfve et Andev) et d’autres associations. Ambition éducation veut peser sur la présidentielle. L’éducation était bien au coeur de l’élection de 2012. Elle était déjà marginalisée en 2017. A t-elle une chance d’avoir une place en 2022 ?
Je ne sais pas. Mais pour moi c’est une exigence. Ce qui se joue à travers la place de l’éducation c’est une certaine confiance en l’avenir, la capacité des personnes à prendre en main leur destin. Il faut nous battre pour que l’éducation ait une place forte dans le débat public et qu’il ne soit pas dominé par la question de la sécurité.
On voit bien qu’entrer dans la politique par la question de l’éducation représente un choix idéologique fort. Il est essentiel de traiter les questions de société à travers le prisme éducatif. C’est faire le choix de s’attaquer aux causes plutôt qu’aux effets et de construire un avenir choisi collectivement et non mis dans les mains d’hommes providentiels.
L’idée d’alliances éducatives locales, qui sous tend Ambition éducation, a t-elle fait la preuve de son efficacité ?
Je ne crois pas. Pas encore. Car les tentatives, l’appel de Bobigny, la refondation, ne sont pas allés jusqu’au bout. On n’a pas vraiment réuni les acteurs éducatifs locaux. La notion de projet éducatif de territoire a été dévoyée. L’école reste la seule instance éducative légitime alors que l’enfant est un tout. Il faudrait que les différents acteurs construisent un éco système éducatif qui permette à l’enfant de se développer.
L’école ne peut pas résoudre seule tous les problèmes surtout quand on lui demande de porter des valeurs que la société refuse, comme l’effort ou la probité. Il faut donc une prise de conscience des acteurs locaux pour qu’ils collaborent. Or ce qui est devant nous aujourd’hui c’est une politique de la suspicion réciproque.
Cette mobilisation des acteurs locaux n’est pas contradictoire avec le renforcement des solutions de l’Etat. Il faut réfléchir aux impulsions nationales et à leur complémentarité avec les initiatives locales.
Ambition éducation se réunit aujourd’hui. Concrètement à quoi va t-il aboutir ?
Dans un premier temps nous allons lancer des débats avec tous les partenaires pour afficher des finalités communes. Cette mobilisation de parents, de syndicats, de mouvements pédagogiques, de collectivités territoriales pourrait contribuer à donner une impulsion au débat national.
Vous participez aussi à La primaire citoyenne qui veut réunir la gauche pour les présidentielles. Pourtant les français semblent dégoutés de la politique. Quelle leçon tirez vous de l’abstention massive aux régionales ?
J’en tire une grande inquiétude. Il faut à la fois remobiliser les citoyens et avoir un autre type de discours politique sortant de la logorrhée sécuritaire d’un coté et de la démagogie de l’autre. Il faut que ce discours permette d’avoir une vision d’avenir.
Sans vision d’avenir il n’y a pas de démocratie. C’est cette vision qui est à construire. L’éloge constant du pragmatisme est mortifère pour la démocratie. La démocratie a besoin de clarté sur les projets de société en jeu. Et ce qui se joue dans les mois à venir c’est moins des points de vue techniques sur telle ou telle mesure que de dévoiler les projet de société qui sont derrière. Il faut donner aux citoyens la possibilité de choisir. J’espère que l’on pourra changer cela pour la présidentielle.
Propos recueillis par François Jarraud