Les évènements organisés autour du numérique en éducation ont-ils un impact sur les pratiques effectives en classe et plus généralement sont-ils porteurs de dynamiques et de réflexion pour l’introduction des moyens numériques en éducation ? A entendre leurs organisateurs la réponse est oui, au moins dans l’intention. Mais dans le quotidien des établissements ces évènements sont très éloignés de la très grande majorité des enseignants. Alors quelles idées exprimées à Ludovia peuvent être utiles aux enseignants ?
Aspirations et réticences
Cette jeune enseignante de la région d’Evreux est venue à Ludovia cette année de sa propre initiative et à ses frais. Intéressée par l’évolution de sa pratique d’enseignement elle est soucieuse de rencontrer d’autres personnes qui partagent les mêmes questionnements. Or dans son établissement elle se sent bien seule. Elle est venue à l’enseignement (elle est professeure des écoles) après une dizaine d’année dans l’entreprise et les relations internationales. Si elle y trouve de quoi enchanter son quotidien autour de sa passion des langues et de son choix de les enseigner aux jeunes enfants, elle a aussi besoin de se ressourcer. Si je n’étais pas venue ici, je n’aurais eu que les échos de ce qui s’y passe et je suis pas certaine de pouvoir le traduire dans ma pratique pense-t-elle. Mais elle sait aussi qu’au retour dans ses lieux de travail elle hésitera à parler de sa participation à Ludovia à ses collègues et à sa hiérarchie qui ne semble pas intéressée.
Si 900 personnes ont participé à ces journées de l’université d’été à Ax les Thermes, ils sont nombreux ceux qui n’y vont pas, et parmi eux aussi, ceux qui n’osent pas y aller. « C’est trop technologies numériques » témoignait hier une participante rapportant la défiance de certains enseignants devant cet évènement dont le sens peut ne pas apparaître immédiatement, même si on y est présent. C’est pourquoi il est intéressant de se demander quelles sont, parmi toutes les propositions présentées ici, celles qui peuvent concerner tous ceux et toutes celles qui ne sont pas venu(e)s.
Changer l’Ecole ?
Roberto Gauvin est Canadien de la province du New Brunswick, il dirige un établissement scolaire (Centre d’apprentissage du haut Madawaska) d’une manière très originale (on trouve une présentation sur le site de l’école branchée ). Ses convictions pédagogiques et humanistes l’amènent à penser l’école comme un espace de responsabilisation du jeune. Il va de soi que les moyens numériques, qui sont le quotidien de ces jeunes, sont des objets et des moyens de travail dans son école. Il a aussi inclus dans sa réflexion l’organisation des espaces de travail (pas seulement physiques). L’idée directrice est de ne pas chercher à contrôler, de réfléchir à ce qu’on veut faire, de chercher des forces de la communauté proche pour aider à l’aménagement de l’établissement et maximiser les idées de projet. Il propose de travailler la « Culture organisationnelle » de l’établissement autour du droit à la prise de risque. Roberto Gauvin explique qu’il faut identifier les règles non dites (élément central de cette culture) présentes dans la tête de chacun des membres de la communauté éducative et ainsi amener chacun à se sentir responsable et donc à oser prendre des risques dans sa pratique.
Bruno Vergnes, enseignant de Lettres bien connu au travers d’Internet et des activités menées avec ses élèves est depuis l’an passé dans un collège expérimental dans la ville de Pau nouvellement créé, le collège Pierre Emmanuel. Dans les échanges que nous avons eus avec lui, nous avons mesuré combien il ne faut pas séparer la question des usages du numérique de leur contexte, en particulier social. En effet pour la première année, le recrutement des élèves de ce collège est un peu atypique et certains parents attendent beaucoup de l’établissement qui est montré comme innovant. La réponse institutionnelle d’un recrutement des enseignants « motivés » (on dit plus prosaïquement un poste à profil) permet de constituer une équipe qui va essayer de proposer de nouvelles manières de travailler en collège. Il s’est questionné sur la manière de rendre les élèves plus impliqués et pour cela il a tenté de libérer les contraintes habituelles en y associant les élèves : comment organiser physiquement la classe pour faciliter l’apprentissage ? Quelles modalités pédagogiques pour que le travail des élèves soit pertinent ?
Interroger le métier
Les enseignants rassemblés pour l’évènement CLICx ont apporté eux aussi de nombreux témoignages. Une grande variété de formes de mise en place en est la caractéristique première. La place des moyens numériques est, elle aussi, variable (selon les établissements). On comprend aisément l’insistance de Marcel Lebrun sur le pluriel à employer pour parler de ces pratiques de « classes inversées ». Ce qui est à retenir, en particulier, c’est qu’en abordant la problématique de l’inversion dans une équipe on interroge plusieurs aspects du métier et même de l’organisation scolaire : Comment concevoir la mise en activité des élèves, ses modalités, ses lieux, son accompagnement ? Le simple fait d’engager une réflexion sur ce thème est porteur d’une réflexion beaucoup plus large sur l’acte d’enseigner et l’acte d’apprendre.
Pour la première année des enseignantes de maternelle ont pu présenter ce qu’elles font avec leurs élèves. Séverine Haudebourg et Laetitia Vautrin utilisent des tablettes en classe. Leur école, située en milieu rural (entre le 64 et le 65) accueille des enfants dont les familles ont peu accès à Internet et utilisent assez peu l’informatique à la maison. Le projet d’utiliser des écrans en maternelle peut faire peur et interroge. En réalité les enfants n’utilisent que rarement plus de quinze minutes les tablettes dans une journée. L’un des meilleurs résultats de ces pratiques c’est l’impact positif sur les familles qui trouvent dans les propositions des enseignants le moyen de prolonger la vie des enfants à la maison.
Les Gafam pour que ça marche ?
Plusieurs cadres et personnels de direction sont aussi présents à Ludovia. L’un des témoignages les plus significatifs est celui de cette proviseure de la région de Nancy qui exprime le « faut que ça marche » comme ligne directrice du développement du numérique dans l’établissement : ENT, Pronote, matériels, réseaux, il y a tout dans l’établissement qu’elle dirige. Il ne suffit pas d’équiper, mais il « faut que ça marche » ! Alors on a recours aux matériels des jeunes (BYOD) aux sites de réseaux sociaux et de moteurs de recherche grand public, bref on a recours à ce qui marche quitte à faire doublon en termes de fonctionnalités. Evidemment se pose alors la question des « GAFAM » : respecte-t-on l’identité et les données des élèves ? Si on autorise les enseignants et les élèves à utiliser leur matériel personnel et les services qui ne sont pas fournis par l’établissement, l’académie ou la collectivité, n’y a-t-il pas deux dangers : d’une part la sécurité, d’autre part la dévalorisation (voire la disparition) des services coûteux mis en place (ENT).
Si les personnels de direction ont pu prendre du temps pour venir, il semble bien que cela ait été plus difficile pour les corps d’inspection. D’ailleurs nombre d’enseignants nous ont témoigné leur déception et ont souvent ajouté que dans leur quotidien d’enseignement, les inspections ne sont pas toujours un soutien efficace et réel.
Numérique et pédagogie
La principale conclusion qui traverse l’ensemble des témoignages des participants de Ludovia c’est le besoin ressenti et exprimé d’une « vision » éducative. Ce besoin n’est pas l’attente d’un pilotage politique, mais plutôt la volonté de s’engager personnellement au-delà de simples réalisations ponctuelles avec ou sans numérique. Les enseignants rencontrés tentent de le vivre, de l’incarner. Maintenant ils souhaitent aussi le partager, non pas pour que d’autres fassent la même chose, mais pour chacun puisse prendre le risque de l’évolution, voire de l’innovation. Une autre conclusion de niveau global est la nécessité de réfléchir à sa propre « culture numérique ». Chaque éducateur doit clarifier la place qu’il donne aux pratiques du numérique dans sa vie quotidienne, personnelle et professionnelle pour pouvoir ensuite l’intégrer dans ses pratiques d’enseignement. Enfin une dernière conclusion s’impose : des évènements comme Ludovia doivent réfléchir à la manière de faire en sorte que tous ceux qui ne peuvent pas participer puissent non seulement accéder aux contenus, mais surtout se donner « envie de faire » dans son quotidien professionnel…
A suivre aussi bien l’année prochaine, que dans les autres évènements similaires.
Bruno Devauchelle