Que disent les professeurs du mouvement #pasdevagues ? Après avoir entendu les syndicats de personnels de direction puis Benjamin Moignard, la commission de l’éducation du Sénat a écouté le 12 décembre 5 professeurs particulièrement actifs sur ce mouvement qui a agité Twitter. Ces échanges étaient tenus secrets. Ils sont maintenant révélés dans le rapport d’information officiel du Sénat. Ecoutez les enseignants…
Une étude inédite de #pasdevagues
L’audition des 5 enseignants a été précédée de la publication d’une étude sur les 150 000 tweets de #pasdevagues, mobilisant 35 385 utilisateurs dont 8300 ont publié de nouveaux tweets. Parmi ces utilisateurs du hashtag, on compterait 84% d’enseignants du second degré et 5% du premier. » Les témoignages portent principalement sur le comportement d’élèves et notamment pour des faits de violence (physique, verbale) envers des professeurs », explique l’étude. « On note que s’agrègent toutefois autour du #hashtag plusieurs problématiques distinctes : comportement des élèves envers les professeurs et entre eux, relations avec les parents, critique du système hiérarchique. Le message principal ne vise pas tant à dénoncer ces violences, mais plutôt à dénoncer l’(in)action de la hiérarchie (rectorat, conseil de discipline) face à celles-ci. Quelques comptes particulièrement véhéments utilisent des termes tels que “omerta” et “culture du silence” ».
Le Sénat mis en cause
Le 12 décembre la Commission de l’éducation du Sénat reçoit , en toute discrétion, 5 enseignants particulièrement actifs dans le mouvement : Guillaume P. professeur d’anglais en lycée, Clara F. professeure de lettres classiques en collège et en lycée, Alexandre B. est professeur agrégé d’histoire en collège et en lycée, Émilie T. contractuelle d’anglais en lycée professionnel et Marie L., professeure agrégée de lettres modernes en lycée. Une sélection qui donne à penser que certaines disciplines sont davantage concernées.
Les enseignants n’ont pas hésité à mettre en cause le Sénat. » C’est assez ironique, pour nous, d’en témoigner devant vous alors que le Sénat nous apporte des réponses peu adaptées : vous avez voté récemment l’augmentation du nombre de jours de carence pour réduire l’absentéisme. Le point d’indice est gelé, alors que le coût de la vie et notamment des loyers augmente… Toutes les institutions, Sénat, ministère, rectorat et autres nous tournent le dos voire nous pointent du doigt », témoigne un enseignant.
Abandonné par la hiérarchie
Toutes les interventions mettent en cause la hiérarchie dans la gestion de la violence scolaire et parfois aussi les collègues. « Certains enseignants se trouvent abandonnés par leurs collègues qui les jugent avec mépris. Nous avons tous assisté à des scènes de cet ordre en conseil de classe », rapporte un enseignant. « Pourquoi la gestion est-elle aussi laxiste ? Les CPE et les chefs d’établissement s’appuient sur un texte officiel, stipulant qu’on ne peut pas exclure un élève de cours sauf en cas de « danger pour lui-même ou pour autrui ». S’il hurle ou vous insulte, on vous répond « pédagogie ». Comment un professeur peut-il avoir de l’autorité lorsqu’après une exclusion du cours, le CPE ramène, pendant la même heure, l’élève dans sa classe ? Selon les inspecteurs, il n’y a pas de mauvais élèves, seulement de mauvais professeurs », dit un autre. » Comment avoir entièrement confiance si nos difficultés peuvent nous être reprochées ? »
Une formation insuffisante
Les enseignants sont-ils correctement formés ? Pour les intervenants la réponse est claire. « J’ai appris à réaliser des traductions d’ancien français, de moyen français, de latin. Je n’ai pas appris à gérer les « sale pute » ou autres violences ». « J’ai appris la version latine, le thème grec, la dissertation mais je ne suis pas psychologue, ni éducatrice spécialisée ». « Nous n’avons pas été formés à la communication non-violente, il n’y a pas de référent des ressources humaines », dit une troisième enseignante.
Manque de moyens
La plupart des interventions mettent en cause les moyens. » Il suffit de se rendre une journée dans un établissement pour constater le manque de moyens évident : l’infirmière et le psychologue travaillent sur plusieurs établissements, nous n’avons plus d’AVS et trop peu d’AED. Il faudrait plus de postes encadrant ces élèves et non des gendarmes comme proviseurs adjoints. Il faut mettre fin aux classes surchargées de trente-sept élèves en lycée », dit un professeur. » Lorsque je suis rentrée dans l’éducation nationale, mes élèves de sixième avaient six heures de français par semaine contre quatre heures et demie aujourd’hui. En collège, j’avais huit heures hebdomadaires de latin ; désormais nous sommes heureux lorsque nous en avons quatre », affirme une autre. » Certains enfants relèvent des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) mais se retrouvent en classe normale où ils n’arrivent pas à suivre et où les autres se moquent d’eux. Nous n’avons pas assez d’auxiliaire de vie scolaire (AVS). Qu’avez-vous fait avec les AVS ? Nous en avons tant besoin ! » Le manque de mixité sociale dans les établissements est aussi montrée du doigt.
Pasdevagues et la loi Blanquer
« Si l’on nous reproche parfois d’être déconnectés de certaines réalités, nous nous attachons à être proches du terrain », conclut C. Morin-Desailly, la présidente de la commission. » La loi Fillon et la loi de refondation de l’école en 2013 ne se sont pas accompagnées d’une réflexion sur les conditions du métier d’enseignant. Vos témoignages sont très importants alors que se profile l’examen du projet de loi pour une école de la confiance ». C’est dans le débat sur la loi Blanquer sur « l’école de la confiance » que ces auditions et cette question devraient réapparaitre.
François Jarraud